Il faut, bien sûr, être indulgent. Des erreurs, qui n’en commet pas ? De gauche comme de droite, tous les gouvernements se sont illustrés par des bévues plus ou moins grossières ou plus ou moins ridicules. Alors, cette pantalonnade de la taxe à 75 %, dont l’Elysée faisait si grand cas mais qui a finalement été censurée fin décembre par le Conseil constitutionnel, on pourrait être enclin de ne pas en faire durablement des gorges chaudes. L’affaire est certes particulièrement consternante, puisque c’est la promesse phare du candidat.
François Hollande qui passe du même coup (provisoirement ?) à la trappe, celle à laquelle il tenait le plus et qui a grandement contribué à sa victoire, en donnant des accents de gauche à sa campagne. D’autant plus consternante que ce n’est pas sur le fond que la réforme a été rejetée, mais parce qu’elle était techniquement stupide, construite en violation des règles les plus élémentaires de l’équité fiscale. Mais, encore une fois, à quoi bon accabler le gouvernement de Jean-Marc Ayrault ? Il a ouvert d’autres chantiers, et c’est sur l’ensemble de son action qu’il devra être jugé, n’est-ce pas ? Bien sûr ! Sauf que… cette vision des choses bute sur une réalité pour le moins embarrassante pour les socialistes. Cette taxe à 75 % était, en vérité, la caution de gauche d’une politique économique et sociale d’inspiration libérale, pour ne pas dire franchement de droite. Que l’on fasse en effet le bilan de toutes les autres réformes engagées depuis l’alternance, et on aura tôt fait de mesurer que la politique économique n’a guère changé depuis l’éviction de Nicolas Sarkozy. Ou alors seulement à la marge.
D’abord, il y a eu le cap maintenu de l’austérité budgétaire et salariale. Pour le Smic, le gouvernement a juste consenti une aumône au 1er juillet 2012, en accordant un « coup de pouce » ridiculement faible, équivalant à 20 centimes d’euro par jour. Mais, dès le 1er janvier de cette année 2013, plus de « coup de pouce » ni de largesses, même dérisoires : la rigueur est redevenue la règle, même si le pouvoir d’achat s’effondre.
Et, pour la politique budgétaire, le couperet a été aussi violent. Afin d’abaisser à marche forcée dès cette année les déficits publics sous la barre des 3 % de la richesse nationale, Bercy a multiplié les mesures d’économie, au risque d’étouffer un pays déjà au bord de la récession.
Il y a eu ensuite le « choc de compétitivité ». Là encore, le gouvernement a pratiqué la politique économique du coucou, en mettant en oeuvre une réforme dont Nicolas Sarkozy s’était fait le champion et que le candidat François Hollande avait vivement critiquée. Et, sans le moindre scrupule, les socialistes ont même annoncé qu’ils useraient de la TVA pour financer la réforme – TVA qu’ils ont toujours vouée dans le passé aux gémonies.
Cap à droite toujours, avec la modernisation du marché du travail. Même si la négociation entre les partenaires sociaux n’a pas encore abouti, l’inspiration de cette autre réforme est transparente : elle trouve sa source dans les pamphlets ultralibéraux concoctés par l’OCDE et le FMI qui depuis des lustres font campagne pour une flexibilité accrue en faveur des entreprises. Et puis, au bilan économique de cette année 2012, il faut encore inscrire une cascade de reniements. Il y a eu ainsi le manquement à la parole donnée aux ouvriers sidérurgistes de Florange, qui ont été aussi maltraités par la gauche que ceux de Gandrange l’avaient été sous le quinquennat précédent.
Autre promesse bafouée – et de quelle manière : alors que François Hollande avait promis de faire la guerre à la finance et en conséquence de séparer les activités de banque de dépôt et de banque d’investissement, la loi bancaire, qui vient d’être dévoilée, tourne quasiment le dos à ce projet. Et on pourrait poursuivre longtemps cette triste litanie des réformes de droite conduite par un gouvernement de gauche. En mentionnant le maintien des scandaleux avantages consentis aux plus grandes fortunes, au travers de systèmes de défiscalisation dans les DOM-TOM ou pour le cinéma (Sofica)… Du coup, à suivre toutes ces palinodies de la politique économique socialiste, on se rend compte que l’indulgence, en fait, n’est pas de mise. La stupide impréparation qui a conduit à la censure de la taxe à 75 % ne serait qu’une péripétie, n’entachant qu’à peine une politique économique cohérente et réformatrice, on serait enclin à ne pas y attacher d’importance.
Mais, dans le cas présent, il en va différemment. Cette taxe à 75 %, sortie à la va-vite par François Hollande en pleine campagne présidentielle pour draguer les voix de la gauche de la gauche, n’était pas en cohérence avec la politique économique qui est aujourd’hui la sienne. C’était la seule mesure un tantinet de gauche, même si elle était très mal construite et n’avait en vérité rien à voir avec la « révolution fiscale » promise ces dernières années par les socialistes.
Alors, que cette réforme soit maintenant censurée semble logique : de la part des socialistes, cela ressemble presque à un acte manqué. Ils rêvaient de se délester d’une promesse inconsidérée ; le Conseil constitutionnel les y a aidés ! Si François Hollande était honnête, il ne devrait donc pas cacher sa satisfaction, car, même si ce n’est pas de son fait, la politique économique qu’il impulse a enfin trouvé sa cohérence.