Malgré notre sympathie pour les Ukrainiens, les dirigeants du monde font preuve de beaucoup de retenue pour éviter le déclenchement d’une troisième guerre mondiale. Parmi les effets négatifs que nous subissons ici, il y a l’inflation du prix des denrées alimentaires et des carburants. Deux dollars pour le litre d’essence, ça frappe !
Du coup, tous les « pétroleux » canadiens, de Jason Kenney en passant par l’Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ alias l’AEQ) et l’Institut économique de Montréal (IEDM),[1] ont crié haut et fort qu’il faut produire plus de pétrole et de gaz pour briser la dépendance malsaine de l’Europe face aux hydrocarbures russes. Ça fait populiste, mais ça manque de réalisme.[2] N’en déplaise à ces marchands de mirages, bâtir des infrastructures importantes comme le pipeline Énergie Est ou le Gazoduc vers le Saguenay, ça prend un minimum de trois ans, même en utilisant les raccourcis de la voie rapide (fast track). Fracturer 20 000 puits dans la vallée du Saint-Laurent, ça aussi ça prend du temps avant de faire une différence pour les pays européens. D’ici là, la guerre de M. Poutine sera terminée depuis belle lurette, mais nous serons pris avec ces infrastructures pétrolières pour au moins 40 ans. Ce qui ne peut qu’empirer les changements climatiques !
L’IEDM propose des actions qui ne peuvent pas être mises en œuvre rapidement. Par contre, l’Agence internationale de l’Énergie (AIE), où se trouvent les vrais experts en matières énergétiques depuis une génération, « a évalué qu’il manquerait jusqu’à trois millions de barils russes par jour à partir d’avril » et prédit que la « perspective de perturbations à grande échelle de la production russe menace de créer un choc mondial de l’offre pétrolière ».[3] Pour pallier à cette baisse de l’offre, l’AIE propose 10 actions concrètes qui pourraient réduire la consommation mondiale de 2,7 millions de barils par jour d’ici 4 mois. [4] Leur premier point, c’est de réduire la limite de vitesse sur les autoroutes de 10 km/h. Un autre point, c’est de réduire les tarifs des transports en commun pour en augmenter l’achalandage. Huit autres petites actions simples réduiraient immédiatement la rareté de l’énergie. Et en prime, ces actions réduiraient également la production de gaz à effet de serre (GES) qui enclenchent les changements climatiques.
Quant à la suggestion de « remplacer le pétrole du dictateur Poutine », Chris Hatch du National Observer fait remarquer que le marché du pétrole est planétaire et que même une station d’essence située à quelques kilomètres d’un puits de pétrole canadien vendra son essence selon le cours quotidien du « Brent ». Pire ! Le marché mondial du pétrole est dominé par des régimes qui font fi des droits de l’homme. Peu importe d’où la molécule provient, les pétrolières transnationales engrangent des profits faramineux avec la complicité active des pires régimes dictatoriaux.[5]
Le jupon de l’IEDM dépasse. Sa mission est de faire la promotion du pétrole : « Selon le Vancouver Observer, les frères Koch ont financé l’IEDM par l’entremise de leurs fondations. L’IEDM est formellement associé à l’Heritage Foundation, une des nombreuses fondations soutenues par les frères Koch et qui font la promotion du pétrole, selon le dernier rapport annuel de la Fondation. » [6]
Si nous voulons sérieusement réduire le chantage énergétique de la Russie sur les économies européennes, nous devons immédiatement réduire notre consommation, comme le suggère l’AIE. Ce serait un bon départ vers un déclin planifié de la demande de pétrole. Ce serait aussi un pas vers une transition permanente au profit des énergies vertes et d’une réduction des GES qui nous permettrait de respecter l’Accord de Paris. Les pénuries temporaires causées par la guerre en Ukraine agiraient comme un accélérateur vers une économie sobre en carbone, pour le grand bien de l’humanité mais au grand dam des promoteurs des énergies fossiles comme Jason Kenney, les frères Koch ou l’IEDM.
La sagesse veut que nous imitions les Norvégiens. Lorsqu’ils étaient de grands producteurs de pétrole, ils en ont engrangé les profits dans le fonds souverain de la Norvège. Ils font maintenant une transition agressive vers la mobilité électrique. Plus de 83% des voitures neuves vendues en Norvège sont des véhicules électriques qui n’ont pas besoin d’une goutte de pétrole. [7 et 8] Avec une telle politique, les Norvégiens ne dépendent ni du gaz ni du pétrole de régimes peu respectueux des droits de l’homme comme celui de M Poutine. Cette indépendance des énergies fossiles les mettent à l’abri de tout chantage implicite.
Gérard Montpetit
Membre du CCCPEM (Comité des citoyens et citoyennes pour la protection de l’environnement maskoutain)
1] https://www.iedm.org/fr/combler-les-besoins-en-energie-du-quebec-2022/
4] https://www.iea.org/reports/a-10-point-plan-to-cut-oil-use
5] « Your weekly newsletter on the climate crisis » de Chris Hatch dans le National Observer du 20 mars 2022 . Le titre était « Pumping up Tyrants »
https://mail.google.com/mail/u/0/#inbox/FMfcgzGmvVBnWvqzZxBlcWDRtGPWHpTn
6] https://ricochet.media/fr/2334/youri-chassin-la-caq-et-le-lobby-du-petrole
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