Pour se distinguer sur la forme, le gouvernement canadien agrémentait ses politiques par des déclarations moralistes sur les droits humains. Washington et ses alliés pouvaient assassiner, torturer, détenir (sans procès la plupart du temps), mais il fallait le faire en « respectant les droits humains ». D’autres fois, le Canda semblait se distinguer de la politique américaine comme lors de son opposition à endosser l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003 (ce qui n’a pas empêché l’armée canadienne de se joindre aux efforts de « pacification » des États-Unis plus tard). Ou encore, Ottawa se « permettait » d’avoir des relations diplomatiques avec Cuba, la Chine, etc. Sans être cyniques, ces mesures étaient négociées discrètement avec les États-Unis qui, pour plusieurs raisons, acceptaient que le Canada joue le jeu du « good cop ».
De Harper à Trudeau, la continuité
Sous le terrible règne des Conservateurs (2006-2015), le roi est devenu tout nu car le cher Stephen Harper s’est avéré, plus souvent qu’autrement, plus « catholique que le pape », en endossant et en commettant le Canada formellement avec l’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan, en procédant à d’ignobles mesures contre l’Amérique latine « émergente » (à l’époque de Lula), pour augmenter les dépenses militaires et renforcer l’OTAN comme dispositif guerrier à la défense de l’Empire, et également pour défendre la grande stratégie israélienne visant à anéantir le peuple palestinien et à s’imposer comme le bras armé des États-Unis dans toute la région.
Après cette grande récession dont le résultat a été de diminuer l’influence du Canada dans le monde (y compris à l’ONU), le retour des Libéraux de Justin Trudeau annonçait avec fanfares et trompettes un virage. « We are back » clamait un premier ministre que les médias adulaient, ici comme ailleurs. Rapidement, cependant, le désenchantement a été à la hauteur de l’espoir. Sur les grands dossiers, Ottawa s’est rangé derrière Washington, y compris sous Donald Trump. Au-delà de ses délires, le voyou à la tête de la Maison-Blanche a accentué la posture agressive qui était déjà là avec Obama, notamment contre la Chine, l’Iran, Cuba et d’autres récalcitrants. Il a bien sûr appuyé l’extrême-droite partout dans le monde, en Israël, au Brésil, en Inde. À l’époque, Ottawa, sous l’influence de la ministre Christa Freeland, avait cloué le bec à tout le monde en prétendant que la seule priorité canadienne étaie la renégociation de l’accord de libre-échange avec les États-Unis. « Il fallait éviter à tout prix, nous disaient off-the-record des responsables des affaires extérieures, d’irriter Trump. C’est ce qui explique des comportements honteux comme celui entourant la détention de Meng Wanzhou, une cadre de la méga entreprise chinoise Huawei, dont les États-Unis réclament la déportation pour cause de « violation des sanctions contre l’Iran ». Il y a plusieurs de ces gestes honteux, mais pour le moment, contentons-nous d’attirer votre attention sur trois situations.
Laisser l’extrême-droite israélienne procéder à un génocide par étapes
Bien avant le carnage actuel, Israël depuis plusieurs années procède à la destruction du peuple palestinien et de ses institutions. Le soi-disant accord de paix auquel la diplomatie se réfère (accord d’Oslo) promettant une paix relative sous la gestion relative d’une « autorité palestinienne » (sans statut) a été déchiré 1000 fois, avec l’expansion des colonies, les attaques incessantes contre l’opposition, les tueries à distance contre les opposants, etc. Avec Trump, Tel-Aviv a eu tous les feux verts. Qu’est-ce qu’a fait Ottawa pendant cette période ? Il a tenté de démoniser la campagne de BDS et d’accuser les opposants à la politique israélienne d’antisémitisme. Pour Trudeau et le ministre Garneau, « Israël a le droit de se défendre », comme si l’occupation des territoires, le blocus contre Gaza, la détention sans procès de milliers de Palestiniens, la discrimination systémique des Palestiniens qui vivent sur le territoire israélien, étaient légitimes. Que les Palestiniens résistent à cela, c’est ce qui permet à Ottawa de dire qu’il y a des excès « des deux côtés ». Le virage récent du NDP sur la question (Jagmeet Singh se permettant de pointe du doigt les responsabilités israéliennes dans la guerre actuelle), de même qu’une certaine évolution de l’opinion publique au Canada (au Québec, l’opinion est demeurée critique d’Israël), pourrait-elle faire bouger les choses ? Il est probable que Biden va finir par accepter un « cessez-le-feu » qui atténuera temporairement le massacre, qui va laisser des centaines de Palestiniens dans la misère et la famine. Il est plus que probable qu’Ottawa va endosser cela. Quant au reste, il faudra attendre.
Avec les voleurs et les tueurs en Haïti
Voilà une autre situation scandaleuse. Depuis des mois, le peuple haïtien est dans la rue contre le gang criminalisé dirigé par Jovenel Moise et son compère Michel Martelly. Il n’y a pas 56 solutions, mais juste une, selon à peu près tout le monde en Haïti, mouvements sociaux, institutions, partis de l’opposition, église catholique : il faut forcer le retrait le plus rapidement possible de ces deux bandits. Ottawa et aussi, quelle surprise, Washington, bloquent cela. Ils soutiennent les tueurs, en soupçonnant le peuple haïtien de vouloir aller plus qu’un simple changement à la tête de l’état. Le nouveau consensus haïtien va dans le sens d’une refondation structurelle de grande envergure, ce qui est très compliqué par ailleurs. Au lieu d’appuyer cet héroïque effort de rebâtir le pays, Justin Trudeau encourage son ami Jovenel à « faire des réformes » tout en se lavant les mains de tout le reste. C’est une honte…
La Colombie de tous les dangers
Comme tout cela n’était pas assez, voici une autre crise prévue et prévisible qui plonge ce pays de 50 millions d’habitants vers un régime militarisé, inspiré par l’extrême-droite qui se permet de tuer et de violer en toute impunité. Je vous passe les détails car on en a parlé sur PTAG et aussi sur la Plateforme altermondialiste (alter. Québec). Bien avant cette crise, Ottawa sous Harper et depuis, sous Trudeau, entretenait d’intimes rapports avec ce gouvernement de droite. Quand celui-ci a renié aux accords de paix qui devaient ramener le pays vers la paix, Ottawa n’a rien dit alors que le duo Duque-Uribe a relancé la chasse aux dissidents, permis l’invasion des terres des paysans e des autochtones et renforcé les politiques néolibérales qui ponctionnent encore plus les couches moyennes et populaires. Des organismes de défense des droits et des syndicats au Québec et au Canada demandaient la suspension de l’Accord de libre-échange avec la Colombie, qui permet à une poignée de grandes entreprises canadiennes minières de piller le territoire en connivence avec les paramilitaires et le régime colombien. Ottawa n’a rien voulu savoir et aujourd’hui, devant la violation massives des droits, on affirme, sans rire qu’il faut « ramener le pays dans l’ordre ».
Le temps est venu
Cette situation, à la fois honteuse, inacceptable et contre-productive, doit cesser. Malheureusement, sur l’échiquier politique et dans notre univers médiatique, tout cela compte très peu pour madame-monsieur-tout-le-monde. Des partis politiques progressistes hésitent à mettre l’accent sur cela de peur de passer inaperçus ou incompréhensibles. C’est un peu la même chose du côté des mouvements populaires. Évidemment, et c‘est très positif, on a un consensus assez fort au Québec en faveur de la lutte des droits des peuples, en Palestine, en Colombie et en Haïti (au Canada et aux États-Unis, les préjugés sont plus forts et entretenus par une droite décomplexée). Cependant, quand on regarde plus concrètement, l’action et les revendications mises de l’avant par nos mouvements sont souvent timides, occultées par d’autres priorités plus « naturelles » comme la santé, l’éducation, l’environnement.
C’est compréhensible, mais est-ce que cela est acceptable ? Penser qu’on pourra améliorer sensiblement nos vies dans notre village d’Astérix, en dehors de ce monde, est une terrible illusion. L’Assemblée nationale du Québec, et encore plus le gouvernement de droite aujourd’hui dominant, se confortent généralement dans un comportement « provincialiste », en acceptant que la politique extérieure (comme d’autres dimensions centrales de la gouvernance) reste sous l’autorité fédérale. De temps en temps mais rarement, on se permet de dénoncer ces situations (on l’a fait récemment à Québec), mais sans engagement et sans action qui pourrait aider, même de manière modeste, à la résolution de ces crises. Il y a longtemps de cela déjà, le premier gouvernement péquiste avait décidé de retirer les vins sud-africains des magasins de la SAQ. Acte symbolique certes, mais témoignant d’une certaine conscience internationaliste. Est-ce possible maintenant ? Nos amis Solidaires essaient de le faire et il faut les encourager à aller plus loin.
Un pas en avant avec Québec Solidaire
Lors de son dernier Conseil national les 15-16 mai dernier, la Commission altermondialiste (CT) a fait adopté trois propositions qui vont dans le bon sens.
Sur la Colombie,
• QS salue le courage et la détermination du peuple colombien à résister à la guerre menée par le gouvernement Duque et Uribe contre les classes populaires, via des réformes qui s’attaquent aux services publics et appauvrissent la population déjà affectée par la pandémie ; dénonce la violente répression qui a fait des dizaines de morts et des centaines de personnes blessées, un millier d’arrestations arbitraires et de disparitions, des violences indues sur les manifestant-es, notamment des agressions sexuelles ;
• demande au gouvernement canadien de condamner fermement et officiellement et d’exiger, à l’instar de l’ONU, que cessent la répression et la criminalisation des manifestations et des mouvements sociaux et qu’il mette un terme à la violence et aux atteintes systématiques portées aux droits humains ; exige du Gouvernement canadien de retirer son soutien aux entreprises canadiennes, en particulier aux minières extractivistes qui profitent des richesses de la Colombie notamment par le traité de libre-échange mis en œuvre en 2011 et qui maintiennent leur appui à l’actuel gouvernement colombien.
Sur la Palestine
• QS demande au gouvernement canadien de dénoncer la répression et d’exiger l’arrêt des tirs et bombardements menés contre les civils à Gaza ; de s’efforcer avec l’ONU et d’autres institutions régionales et internationales de redémarrer un processus de négociation équitable pour instaurer une paix véritable, la création d’un État palestinien viable, dont Jérusalem-Est sera la capitale, et le retrait des milliers de colonies israéliennes, qui constitue un véritable apartheid israélien ; de suspendre le traité de libre-échange avec Israël et de mettre fin aux projets dans le domaine militaire et les importations de produits israéliens venant des colonies dans les territoires occupés ; d’apporter une aide d’urgence aux populations palestiniennes éprouvées ; Également, QS appelle ses membres et ses alliés-es à se solidariser avec la population palestinienne via les campagnes en cours pour faire pression sur Israël, notamment la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS).
Sur Haïti
• QS partage les profondes inquiétudes de la communauté haïtienne du Québec quant à la situation en Haïti ; condamne fermement la position du gouvernement canadien qui soutient la dictature en Haïti ; se solidarise avec la population haïtienne, avec ses mouvements et ses syndicats, avec l’opposition politique qui cherche à se regrouper et d’abord et avant tout, avec ces dizaines de milliers de jeunes qui affrontent, sans arme, la répression chaque jour et qui réclament leur droit à l’autodétermination ; encourage ses membres et ses instances à agir en solidarité avec la lutte du peuple.
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