Tiré de À l’encontre.
Mais cette posture « anti-impérialiste » du régime ne trompe plus personne en Iran : elle ne peut plus dissimuler l’entière responsabilité de ce régime réactionnaire et corrompu et de ses politiques économiques et sociales anti-populaires dans la grave crise qui frappe le pays. Ce sont bien les conséquences désastreuses de ces politiques qui condamnent plusieurs dizaines de millions d’Iranien.nes à la pauvreté et à la misère. La gravité de la crise économique et sociale actuelle et ses caractères structurels – qui accentuent l’impact de l’embargo – sont fortement liés au fondement profondément réactionnaire et anti-démocratique de la République islamique et de ses politiques économique et sociale menées depuis 1979, dont nous allons sommairement analyser ses traits essentiels, dans la suite de cet article.
Le 11 février 1979 le peuple iranien, dans un élan révolutionnaire, a renversé le régime corrompu du chah d’Iran
Il a mis fin à 37 ans de règne d’un régime oligarchique, protecteur des intérêts de l’impérialisme états-unien au Moyen-Orient afin de mettre en place un régime démocratique, indispensable pour diriger le pays sur la voie du développement économique et la justice sociale. Mais en l’absence de mouvements radicaux et progressistes organisés – démantelés et liquidés pendant le règne du chah – la révolution iranienne a été confisquée par le courant le plus réactionnaire de la petite bourgeoisie traditionnelle qui, sous la bannière de l’Islam politique, impose à ce pays un régime dictatorial et anti-populaire. Ainsi le court rêve de la démocratie des Iranien.nes, exprimé au cours de la révolution de 1979, s’est transformé en un long et terrible cauchemar d’une théocratie qui utilise l’islam comme étendard idéologique.
La guerre Iran-Irak
La longue guerre criminelle entre et l’Iran et l’Irak, qui a opposé les deux régimes réactionnaires de Saddam Hussein et de Khomeiny au cours de la décennie 1980, a eu des conséquences humaines et économiques dévastatrices pour les deux pays (1,2 million de morts dont 800’000 côté iranien). Mais elle a été une aubaine pour le régime des ayatollahs qui en a profité pour détruire toutes les institutions démocratiques (les partis politiques, les syndicats, les associations) et liquider surtout les mouvements et les militants politiques radicaux, surgis avec la période révolutionnaire. On évalue au minimum à 30’000 le nombre d’exécutions des prisonniers politiques à la fin de la guerre. Ces mesures répressives, en détruisant toutes les instances démocratiques de contrôle et en réduisant au silence tous les esprits critiques, ont créé les conditions nécessaires permettant au régime des ayatollahs de soumettre le pays à la politique ultra-libérale d’ajustement structurel, formulée par le consensus de Washington, et imposée par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Autrement dit, deux organismes financiers du système capitaliste mondialisé. En fait les mesures imposées par ces institutions aux pays fortement endettés du Sud devaient permettre à ces pays de dégager des moyens financiers nécessaires pour faire face à leurs engagements vis-à-vis des gouvernements et des banques des pays capitalistes.
Mais, dès le début de la décennie 1990, la République Islamique, malgré l’absence d’un endettement extérieur significatif, était parmi les rares régimes dans le monde qui acceptaient volontairement cette thérapie de choc comme une stratégie de développement économique. Le court rapport publié par les représentants du FMI et de la BIRD [1], de retour de leur voyage en Iran en 1990, résume ainsi la volonté « réformatrice » des dirigeants iraniens : « Les dirigeants iraniens ont annoncé leur ferme volonté de mettre en œuvre une adaptation profonde de la politique macroéconomique du pays, en renforçant la place du secteur privé et en supprimant des contraintes économiques qui sont incompatibles avec cette orientation. » [2]
Sur le plan économique : inflation, chômage et dépression
Ainsi au cours des 30 dernières années, quel que soit le gouvernement, soi-disant réformiste ou radical, la pratique a été d’appliquer des mesures prescrites par la politique d’ajustement structurel (privatisation des entreprises publiques, dévaluation de la monnaie nationale, ouverture complète du pays aux importations, suppression des subsides sur les produits de première nécessité, etc.). Ce fut la principale orientation de la politique économique de la République Islamique. La posture « anti-impérialiste » de toutes les factions du régime des ayatollahs n’est que le cache-misère de cette politique réactionnaire, au service d’une bourgeoisie rentière et corrompue, au pouvoir depuis la révolution iranienne de 1979. Les conséquences de cette politique en matière économique et sociale démontrent son impact désastreux sur la situation de toutes les couches populaires en Iran.
La conjugaison entre l’application des mesures de la politique d’ajustement structurel et la corruption d’une bourgeoisie commerçante et rentière enfonce l’économie iranienne dans une crise structurelle profonde qui en 2018 atteint son niveau le plus important. Selon le FMI et la BIRD, en 2018 la croissance de l’économie était inférieure à 1.5% et en 2019 sera inférieure à 3.8%. Le secteur industriel, victime de l’ouverture du marché iranien aux importations des produits bon marché asiatiques, traverse actuellement une crise sans précédent. Ainsi, sur 37’000 entreprises situées dans les zones industrielles, plus de 7000 sont à ce jour à l’arrêt. De plus, 40% des autres entreprises ont une activité en dessous de 50% de leurs capacités productives. Et selon les prévisions les plus optimistes, au cours des deux prochaines années, et pour la première fois, la production du secteur industriel du pays sera en baisse.
En République Islamique, la stagflation (l’existence conjointe de l’inflation et du chômage) devient une maladie récurrente de l’économie du pays. Ainsi, au cours de 40 ans de régime islamique, le taux d’inflation annuel n’a jamais été en dessous de 10%. Et en 2018 ce taux est supérieur à 30%. Dans une lettre ouverte, des dizaines d’économistes et universitaires iraniens prévoient un taux d’inflation de 40 à 50% pour l’année 2020. Au cours de la même période, l’économie iranienne est frappée par un taux de chômage structurel de 15 à 20%. Ainsi selon l’évaluation de la banque centrale iranienne, en 2018 ce taux était de 20% de la population active, et pour les jeunes de 16 à 25 ans il a atteint 25 à 30% de la population, en tenant compte du fait que quelqu’un qui travaille plus de deux heures par semaine n’est officiellement pas considéré comme un chômeur. Ce taux de chômage élevé est la conséquence, d’une part, d’une forte croissance démographique favorisée par le régime islamique, et d’autre part, de l’incapacité du secteur industriel en crise à faire face à une telle demande de travail.
L’Iran est actuellement le deuxième pays producteur de gaz naturel et le quatrième pour ses réserves de pétrole. Cela a permis au régime des ayatollahs d’avoir plus de 700 milliards de dollars de revenu grâce à l’exportation du gaz naturel et du pétrole entre 1980 et 2018. Malgré ces immenses ressources financières, la politique économique de la République islamique n’a pas permis au pays de mettre en place une véritable politique de développement industriel. L’Iran reste un pays producteur de matières premières, très dépendant de la production et de l’exportation du pétrole. Ainsi, en 2018, le pétrole a représenté 80% des exportations et 40% de ses recettes budgétaires. Par contre la redistribution de cette manne pétrolière et le transfert de pans entiers des biens publics, par une privatisation en faveur d’individus ou de fondations inféodées au régime, ainsi que de holdings appartenant à des forces armées, ont favorisé le développement d’une bourgeoisie rentière corrompue et parasite.
Sur le plan social : pauvreté, famines, inégalités
Au cours de l’année 2018, la crise récurrente de l’économie iranienne atteint son paroxysme. Ainsi la monnaie iranienne, victime d’un quintuplement du volume des liquidités entre 2005 et 2016, a perdu 90% de sa valeur vis-à-vis du dollar. Cet effondrement entraîne une très forte inflation par le coût des importations, par l’augmentation des coûts de production et par les faillites de plusieurs centaines d’entreprises, ce qui s’est traduit par une forte aggravation du chômage.
Sur la pauvreté
En l’absence de données statistiques fiables publiées par les sources officielles, quelques chiffres cités par des chercheurs et universitaires indépendants nous permettent d’avoir une certaine idée de la situation sociale iranienne.
En prenant en compte le seuil de pauvreté et le salaire minimum en Iran, plus de 40% des salarié.es iranien.nes sont pauvres. Selon M. Raghfar, universitaire iranien, sur la base des mêmes hypothèses 50% des 80 millions d’Iranien.nes sont dans une situation de pauvreté. Selon M. Torabi, chercheur universitaire, en 2016 le revenu minimum mensuel nécessaire pour une famille de 4 personnes était de 4 millions de tomans, tandis que le salaire minimum mensuel était de 800’000 tomans, autrement dit 20% du revenu minimum. Un parlementaire de la région de Sistan (au sud-est de l’Iran), explique ainsi la situation économique de la population de cette région : « En Sistan et Baloutchistan, plus de 90% de la population survivait sous le seuil de pauvreté. Plus de 70% d’entre eux sont en situation de pauvreté absolue et plus de 30% souffrent de malnutrition. »
Le travail des enfants est un autre indicateur de la misère en Iran. Les chiffres officiels parlent de 2 millions d’enfants obligés de travailler. Mais les chiffres officieux évaluent à plus de 7 millions le nombre d’enfants travailleurs en Iran. Enfin, la gestion calamiteuse des ressources en eau a aggravé les sécheresses, et favorisé l’exode massif de la population rurale et le développement des bidonvilles autour des grandes villes du pays. Ainsi, au cours des dernières décennies, plus de 33’000 villages du pays ont été abandonnés par leurs habitants. Selon Noriman Mostafai, directeur général d’une organisation d’aide aux sans-abri, « actuellement les bidonvilles iraniens comptent 11 millions d’habitants, c’est-à-dire l’équivalent de la moitié de la population villageoise ayant fui ses terres et ses foyers ».
Les fortes inégalités sociales sous le régime monarchique furent la principale cause de la révolution des peuples d’Iran en 1979.
La justice et l’égalité sociale étaient la principale promesse avancée par le courant islamiste pour confisquer la révolution iranienne au profit d’une clique réactionnaire. Mais quarante ans plus tard, l’Iran reste un pays fortement inégalitaire. Les statistiques de la banque centrale iranienne révèlent une aggravation de cette inégalité au cours des six dernières années. Ainsi, en 1990, 10% des ménages les plus riches disposaient de 37% du revenu distribué et en 1996, ce chiffre dépasse 40% de ce revenu. De plus, selon l’Institut des statistiques iranien, les dépenses de consommation des 10% des ménages les plus riches sont 11 fois plus importantes que celles des 10% des ménages les plus pauvres du pays.
Conclusion
En 1979, les peuples iraniens, par une révolution héroïque, ont mis fin au règne despotique du Chah en espérant mettre en place un régime démocratique et de justice sociale. Mais, l’absence d’organisations démocratiques de masse et la complicité des pays impérialistes, a permis à la clique islamiste-réactionnaire de confisquer la révolution. La République islamique a transformé notre pays en laboratoire d’expérimentation de l’idéologie réactionnaire qu’est l’islam politique. Pour imposer, cette funeste idéologie, les ayatollahs et leurs hommes de main ont établi un régime de terreur. Pour briser la résistance des militants politiques, syndicaux et démocratiques, le pouvoir islamique a utilisé toutes les méthodes moyenâgeuses. Ainsi, au cours de cette période noire, plusieurs dizaines de milliers d’Iranien.nes ont été sommairement exécuté.es, torturé.es, violé.es ou emprisonné.es.
Parallèlement à ces méthodes répressives, le régime islamique a mis en place un vaste système de propagande, pour justifier et légitimer la domination et le pillage des richesses du pays par une bourgeoisie rentière parasite. Tout ceci au nom de l’islam. L’habillage religieux réactionnaire est utilisé par le régime pour faire accepter ce système d’exploitation et de domination.
Mais malgré toute sa capacité répressive, le régime n’a pas réussi à éteindre les aspirations à la démocratie, à la justice sociale et à l’égalité.
Régulièrement, les luttes sociales et démocratiques occupent le devant de la scène. Régulièrement les femmes, la jeunesse, les travailleurs et les minorités nationales s’affrontent courageusement à la violence de l’État.
Malgré les emprisonnements, les tortures et les exécutions, les peuples d’Iran expriment à chaque fois que cela leur est possible leur soif de liberté et de justice. Quarante après la chute du Chah, il est plus urgent que jamais d’en finir avec le régime anti-populaire, corrompu, réactionnaire et criminel de la République Islamique.
Notes
[1] Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement, une des institutions composant la Banque mondiale
[2] Pour plus d’information sur cette première décennie de la République islamiste, on peut consulter l’ouvrage de Chapour Haghighat “Iran, la révolution islamiste”, Bruxelles, éditions Complexe, 1985.
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