Édition du 19 novembre 2024

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Syndicalisme

Investir dans la lutte, pas dans le maraudage !

L’encre des dernières conventions collectives résultant des négociations du secteur public de l’automne 2021 n’est pas encore sèche qu’une période de maraudage est déjà imminente. Une lutte de maraudage à l’été 2022 représenterait un énorme gaspillage de ressources et nous détournerait de l’organisation commune de la lutte contre le gouvernement Legault.

26 février 2022 | tiré d’Alternative socialiste

Une période de maraudage – c’est-à-dire de compétition entre organisations syndicales pour le droit de représenter des travailleurs et travailleuses – viendra miner nos capacités combatives. Il est urgent que nos organisations syndicales ratifient le plus rapidement possible une entente de non-maraudage. Il faut dès maintenant élargir la collaboration intersyndicale et libérer les ressources pour mener des luttes de terrain en organisant nos membres dès maintenant contre les plans de la Coalition avenir Québec (CAQ).

Pour les syndicalistes du terrain ainsi que pour les travailleuses et travailleurs de la base, une entente de non-maraudage serait comprise comme une étape indispensable à la construction de nos luttes pour la prochaine négociation. Il est probable que pour certaines directions syndicales le calcul soit différent. L’échiquier syndical dans le secteur public s’est transformé dans la dernière décennie, en témoigne la croissance d’organisations syndicales indépendantes des grandes centrales comme l’APTS, la FIQ et de la FAE.

Souvent, ces organisations indépendantes se sont construites au détriment d’un certain monopole autrefois détenu par la CSN et la CSQ. Les périodes de maraudage peuvent donc être l’occasion pour certaines organisations de récupérer des membres perdu⋅es. Le maraudage de l’été 2022 risque de nuire à la création de luttes communes entre travailleurs et travailleuses des différentes organisations.

Préparer la lutte, pas le maraudage !

Les syndicalistes de la base l’ont expérimenté lors de la dernière négociation du secteur public : pour être en mesure de mobiliser nos membres correctement (ex. piquet, grève, manifestations, etc.), il faut préparer la lutte à l’avance. Si la période de négociation est le seul moment où une personne membre entend parler du syndicat et de la mobilisation, il y a fort à parier qu’elle n’aura pas le temps d’assimiler l’importance de participer à la lutte.

Pour que les personnes membres soient combatives au moment des négociations du secteur public à l’automne 2022, il faut nous organiser dès maintenant ! Un maraudage viendra saper nos efforts. Or, ce n’est pas les enjeux qui manquent pour nous mobiliser dès maintenant. En voici trois :

Maintenir notre pouvoir d’achat

Notre pouvoir d’achat diminue rapidement avec l’inflation, soit la hausse des prix à la consommation (ex. essence, loyer, épicerie). Lors des négociations 2020, une forme d’indexation des salaires au coût de la vie a été intégrée aux cahiers de revendications des centrales syndicales. Mais elles l’ont toutes abandonné en cours de route. Le choix des revendications prioritaires est crucial pour mener et gagner nos batailles. Les formes d’augmentations salariales ont un impact direct sur la mobilisation et par conséquent sur le rapport de force potentiel.

L’indexation automatique des salaires au coût de la vie doit être remise de l’avant comme revendication cardinale des prochaines négociations. Son mécanisme peut être établi par le mouvement syndical et défendu pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses du Québec. Une telle lutte a le pouvoir de fédérer l’ensemble des secteurs de la classe ouvrière pour résister à la poussée inflationniste actuelle.

Pour des milieux de travail sécuritaires

Les travailleuses de la santé et de l’éducation ont payé le gros prix de la pandémie au niveau de leur santé et sécurité au travail (SST). La lutte pour avoir accès aux masques N95 comme équipement de protection dans le réseau de la santé ou pour une ventilation adéquate dans les écoles a été l’objet de combats soutenus. Ces problèmes ne sont toujours pas réglés. Dans le réseau de la santé, les employeurs adoptent des stratégies kamikazes en écourtant les durées d’isolements et en autorisant le retour au travail de membres encore positifs à la COVID-19.

Même si les hypothèses les plus optimistes se réalisent et que la crise sanitaire touche à sa fin, l’usure psychologique des travailleuses et travailleurs de première ligne aura des impacts à long terme. La protection de la santé psychologique est ainsi un champ de bataille à investir syndicalement. La SST est une lutte qui se mène sur le terrain et qui peut facilement mobiliser les membres. La SST est aussi propice au travail de comités intersyndicaux.

« Mobilisées pour être payées »

Pour les infirmières notamment, la dernière négociation a été l’occasion d’arracher des montants intéressants, surtout des primes. Les arrêtés ministériels, malgré leur caractère toxique et antisyndical, ont aussi octroyé des sommes importantes. On pense au temps supplémentaire à taux double et au 15 000$ pour les infirmières à temps complet.

Mais malgré ces gains, les employeurs tardent encore à payer des rétroactions et des primes suite à la signature de la dernière convention. Pour plusieurs membres, cela peut représenter des milliers de dollars. Les membres de la FIQ ont d’ailleurs lancé une campagne intitulée « mobilisées pour être payées », qui vise à dénoncer cette situation. Signer une convention, abdiquer son droit de grève et ne pas être payée en retour est complètement inacceptable. Même d’un point de vue libéral, c’est un principe élémentaire que pour disposer de la force de travail, les capitalistes doivent la payer !

Une lutte intersyndicale immédiate pour exiger qu’on nous verse ce qui nous est dû aurait un écho certain chez nos membres. Elle pourrait paver la voie à la mobilisation pour une prochaine négociation combative.

Des négociations en pleine campagne électorale

La prochaine ronde de négociations du secteur public se tiendra en partie durant les élections provinciales de l’automne 2022. Si la CAQ est réélue majoritaire, ce sera interprété comme un chèque en blanc fait aux sections les plus réactionnaires du patronat et de la bourgeoisie. Dans le secteur privé, on peut anticiper un durcissement des relations de travail (ex. lock-out, menaces, représailles).

La CAQ a aussi esquissé son idée de réforme du Code du travail. Ce projet antisyndical n’a pas été opérationnalisé durant le premier mandat. Dans un second mandat majoritaire, et avec la pression que pourrait exercer un Parti conservateur du Québec encore plus à droite, une offensive législative antisyndicale est à anticiper. Dans sa pire forme, cette offensive pourrait être semblable à ce qui s’est vécu dans plusieurs États américains avec les lois Right-to-work.

Lutte pour le climat, lutte pour l’emploi

Les dangers liés aux changements climatiques sont devenus immédiats durant les dernières années (ex. feux de forêt, inondations, sécheresses). Les désastres environnementaux sont un des facteurs à l’origine de l’inflation. La construction effrénée de tours à condos luxueux entraîne aussi des problèmes de santé et d’aménagement du territoire. La création d’emploi de qualité dans des services publics accessibles (ex. transport, logement, énergie) représente un des leviers dont la classe ouvrière dispose pour contrer les politiques autodestructrices des élites politiques capitalistes. La prochaine négociation du secteur public sera un moment charnière dans cette bataille.

La question environnementale est aussi un des meilleurs terreaux pour mobiliser nos membres au-delà du seul horizon économique, surtout les plus jeunes. Pour que le mouvement syndical puisse mener une lutte efficace à ce chapitre, la collaboration intersyndicale sera absolument nécessaire. L’action des syndicats locaux sur des enjeux concrets d’aménagement du territoire l’est tout autant.

Par conséquent, il est impensable que le mouvement syndical se limite à un horizon purement économique ou technique durant la prochaine négociation. Elle doit s’enraciner dans les enjeux concrets qui touchent les travailleurs et travailleuses, mais aussi avoir une portée sociale plus large, un caractère politique.

Un syndicalisme de combat, c’est un syndicalisme politique

Les syndicalistes d’Alternative socialiste luttent pour un syndicalisme démocratique de lutte de classe. Il ne s’agit pas de rhétorique et de course à la radicalité. Le travail des marxistes révolutionnaires est d’analyser l’état des rapports sociaux et de dégager des pistes stratégiques pour que la lutte de la classe ouvrière la mène à la conquête du pouvoir politique. L’enjeu immédiat est de poser les bases d’un rapport de force favorable aux travailleuses et travailleurs du secteur public, dans l’intérêt des toutes celles et ceux du Québec.

Cette approche transcende les appartenances syndicales et les identités professionnelles. Elle s’attaque aux largesses octroyées aux compagnies privées par toute une élite politique complaisante. Elle pose la question du pouvoir politique que peut exercer la classe ouvrière contre cette élite.

La prochaine négociation offre un potentiel de politisation qu’on n’a pas vu depuis longtemps. Pour être en mesure de mobiliser nos membres avec l’intensité que la conjoncture commande, il faut mener des luttes communes dès maintenant. Nous devons combattre les illusions à l’effet que les prochaines négociations peuvent déboucher sur une victoire syndicale tout en respectant les routines bureaucratiques, la quête d’attention médiatique et le cadre légal imposé par le gouvernement. Établir un vrai rapport de force nécessite de dépasser ces limites.

La « bonne entente » avec les gouvernements d’austérité et le patronat nous a-t-elle donné quelque chose, mis à part des reculs sociaux historiques et des subventions pharaoniques aux grandes compagnies ? Est-ce que la stratégie de pression sur les partis des boss – grands et petits – nous a déjà garanti une amélioration de notre qualité de vie ?

L’amélioration réelle de nos conditions de vie dépend de notre capacité à construire un rapport de force grâce à la lutte. Pourtant, une partie des directions syndicales ne reconnaît pas cet état de fait. À preuve, plusieurs leaders syndicaux changent de camp comme de chemises. Ces gens partagent la même vision du monde que le patronat lorsqu’on les voit joindre les rangs de la CAQ, des libéraux de Justin Trudeau ou encore de l’Équipe Coderre. N’est-il pas venu le temps de bâtir une force politique indépendante des puissances de l’argent et provenant des rangs du mouvement ouvrier ?

Les syndicats sont placés dans une conjoncture où il devient possible de tourner la page à des décennies de concertationnisme et de bureaucratisme. Il existe maintenant un niveau de conscience dans la classe ouvrière capable de ramener nos organisations syndicales à un programme de lutte de classe.

par
Éric T.

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