Le Comité interministériel chargé de l’analyse des conclusions du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur la filière uranifère a reçu, le 22 janvier dernier, une présentation truffée d’informations hautement contestables donnée par Mme Patsy Thompson, de la Direction de l’évaluation et de la protection environnementales et radiologiques de la CCSN. Il est inhabituel pour un comité interministériel de faire ainsi appel à des intervenants de l’extérieur. La CCSN a eu amplement l’occasion de présenter sa position lors des audiences du BAPE sur la filière uranifère. Madame Thompson, physiquement présente aux audiences du BAPE, a en effet pu émettre sans entrave ses commentaires aux commissaires du BAPE à la fin de chaque session. Par conséquent, ce traitement de faveur est inadmissible.
Rappelons qu’en août dernier, le président de la CCSN, Michael Binder, avait fait parvenir une lettre au ministre David Heurtel, dans laquelle il fustigeait le rapport du BAPE portant sur les enjeux de la filière uranifère, qui selon lui, « manque de fondement scientifique et de rigueur ». Or, voici quelques faits que nous croyons utiles de rappeler en ce qui concerne la CCSN, un organe chargé de réglementer l’industrie du nucléaire mais qui s’immisce de plus en plus dans le débat public sur la question, au mépris de son devoir de réserve.
Apparence de conflit d’intérêt et d’influence politique
Des sept commissaires permanents qui forment le conseil d’administration de la CCSN, au moins trois sont en apparence de conflit d’intérêt par leurs activités présentes ou passées, liées aux intérêts miniers ou nucléaires. Sachant que la CCSN est censée jouer le rôle d’un quasi tribunal visant à protéger la santé, la sécurité et l’environnement, on est en droit de se questionner sur une telle représentation de l’industrie en son sein.
La CCSN se doit d’être indépendante du pouvoir législatif. Or, en 2008, sa présidente de l’époque, Linda Keen, a été limogée par le gouvernement Conservateur pour avoir ordonné la fermeture de l’installation nucléaire de Chalk River, car celle-ci était « non conforme et présentait un risque d’accident 1000 fois supérieur aux standards internationaux » .
Son remplaçant, Michael Binder, a développé une toute autre attitude. Il intervient fréquemment dans les journaux en faveur de l’industrie et n’hésite pas à fustiger publiquement les ONG qui critiquent le développement de la filière uranifère, ou à féliciter l’industrie pour l’obtention de permis, ce qui est assez inusité pour le président d’une Commission ayant un rôle d’arbitre.
Un chien de garde... pour l’industrie ?
De toutes les décisions concernant des centrales nucléaires ou des mines d’uranium rendues par la CCSN depuis 2013, soit aussi loin que le site Web de la commission nous permet de les retracer, pas une seule n’a été négative . Est-ce à dire que l’industrie nucléaire canadienne est irréprochable ? Un juge fédéral a pourtant renversé une récente décision de la CCSN concernant la centrale de Darlington, arguant que l’évaluation environnementale comportait d’importantes lacunes, concernant notamment le risque d’un accident extrême et la gestion de ses déchets nucléaires . Largement utilisés au pays, les réacteurs CANDU sont rejetés par la plupart des pays de l’OCDE , qui dénoncent leurs caractéristiques jugées inacceptables.
En 2014 et 2015 seulement, Michael Binder s’est porté pas moins de neuf fois, publiquement, à la défense de l’industrie du nucléaire. Sous prétexte de « rétablir les faits », il a manqué au devoir de réserve le plus élémentaire exigé par sa position et s’est fait le porte-étendard d’une filière pourtant hautement critiquée de par le monde.
En conclusion, nous invitons le gouvernement à cesser de donner préséance à l’avis d’un seul intervenant dont la neutralité est fortement mise en doute et à se fier plutôt aux conclusions du rapport du BAPE sur la filière uranifère, qui a permis de tracer un portrait complet de la situation. Nous exigeons sans tarder un moratoire complet sur l’exploration et l’exploitation d’uranium sur le territoire québécois.
Signataires
Coalition pour que le Québec ait meilleure mine
MiningWatch Canada
Nature Québec
Conseil régional de l’environnement Abitibi-Témiscamingue
Regroupement pour la surveillance du nucléaire
Artistes pour la Paix
Association de Protection de l’Environnement des Hautes-Laurentides
Fondation Rivières
Sept-Îles sans uranium (SISUR)