Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Inde. Narendra Modi étend sa domination. Les attaques aux droits constitutionnels historiques vont encore se renforcer

Malgré le rejet total du Bharatiya Janata Party (BJP) par les électeurs du Pendjab, l’électorat de l’Uttar Pradesh et de l’Uttarakhand a réaffirmé de manière spectaculaire la domination hégémonique de Narendra Modi au sein et en dehors du Sangh Parivar [mouvement nationaliste qui préconise l’idéologie de l’Hindutva, l’hindouisme politique].

Tiré de À l’encontre.

Certains ministres de l’Union ainsi que certains fonctionnaires de Nagpur [grande ville du centre de l’Inde dans le Maharashtra] espéraient que les électeurs de l’Uttar Pradesh leur permettraient d’essayer de circonscrire l’influence du Premier ministre. Mais cela ne s’est pas produit. La terrible défaite de Modi au Bengale-Occidental [en mai 2021, Etat de plus de 90 millions d’habitants] n’est plus qu’un lointain souvenir. Les différentes cliques au sein du BJP vont devoir attendre leur heure pour se ressaisir. Toutes les discussions sur « qui après Modi » devront être remises à plus tard.

La campagne vaste et systématique de Modi dans l’Uttar Pradesh est réputée avoir, à elle seule, détourné l’attention de l’impopulaire Yogi Adityanath [moine hindou ministre de l’Uttar Pradesh depuis 2017]. Modi est maintenant en mesure de manœuvrer l’éviction du moine en chef du temple Gorkhanath Math. Ce sera le principal défi pour Modi, s’il veut renouveler ses références en tant que « modernisateur ». En tant que ministre en chef, Yogi Adityanath n’est pas seulement le symbole d’une mentalité médiévale. Il a aussi réussi sans effort à agacer presque toutes les couches de la société. Et le premier ministre a dû se démener pour récupérer une cause perdue.

L’implication immédiate pour la politique à l’échelle nationale est claire. A quatre mois de l’élection présidentielle, l’électorat de l’Utar Pradesh a aidé le premier ministre à s’assurer que le Rashtrapati Bhavan [résidence officielle du président de l’Inde] ne passe pas entre des mains politiquement hostiles. Ensuite, son triomphe dans l’Utar Pradesh donnera une raison à des gens comme K. Chandrashekhar Rao [chef du gouvernement] dans le Telangana [Etat créé en 2014, cette région relevait auparavant de l’Andhra Pradesh] ou même Naveen Patnaik dans l’Etat d’Odisha de reconsidérer leurs plans pour sortir de l’orbite d’influence et de contrôle du BJP. En outre, Modi donnera certainement le feu vert aux intrigants de l’Etat du Maharashtra qui s’efforcent de faire tomber le gouvernement d’Uddhav Thackeray [qui est à la tête du Shiv Sena, mouvement de droite dure ultra-régionaliste]. Enfin, il est maintenant bien placé pour réaliser son rêve de franchir la barre historique des 145 sièges fixée par le parti du Congrès, ce qui se réaliser lors des élections au Gujarat en décembre 2022 [ce 11 mars, Modi s’est déjà déplacé dans cet Etat pour discuter de la stratégie électorale avec le dirigeant « local » du BJP]. Enfin – et peut-être sans le vouloir – Modi deviendra le catalyseur d’un nettoyage très attendu au sein des cercles internes historiques du parti du Congrès.

La victoire électorale ne blanchit pas les tactiques du BJP

La dernière victoire électorale n’exonère pas le BJP de l’accusation d’utiliser des tactiques et des astuces amorales. Les dividendes électoraux ne sont pas synonymes de capital moral. Bien sûr, comme tous les vainqueurs du passé, le BJP va chercher à imposer un grand récit sur le vote de l’Uttar Pradesh. Il a le droit de se vanter, mais c’est à peu près tout.

En particulier, la domination électorale incontestée de Modi ne peut pas être considérée comme une autorisation d’être un suzerain pour un premier ministre. Dans une démocratie, les mandats électoraux ne sont que cela : un mandat pour travailler dans le cadre constitutionnel avec ses restrictions et ses contraintes.

Dans la campagne électorale du BJP dans l’Uttar Pradesh, le bulldozer était une métaphore du pouvoir exécutif débridé. Mais ce n’est pas parce que quelqu’un remporte un vote qu’il peut prétendre à une quelconque immunité vis-à-vis des structures qui exigent de rendre des comptes.

Cela signifie que la Cour suprême et le reste du pouvoir judiciaire supérieur ne sont pas libérés de leur obligation institutionnelle de sauvegarder la structure de base de la Constitution. Le premier magistrat de l’Inde et ses collègues doivent se méfier des intimidations subtiles ou non de l’exécutif et agir rapidement si nécessaire. Les citoyens se tourneront vers le pouvoir judiciaire supérieur pour protéger leurs droits fondamentaux et leurs libertés civiles contre un régime qui reste sous l’emprise de son propre dadagiri [pratiques d’intimidation].

Cette injonction est également valable pour d’autres institutions constitutionnelles. La Commission électorale de l’Inde et les forces armées du pays, en particulier, doivent faire preuve de lucidité et de courage pour s’opposer aux exigences antidémocratiques et anticonstitutionnelles qui leur seront adressées par la clique nouvellement renforcée. Les victoires et les pertes électorales sont temporaires, les obligations constitutionnelles sont permanentes.

Compte tenu de la forme entièrement sectaire du vote de l’Uttar Pradesh, la droite radicale pourrait être tentée d’accélérer encore la marginalisation des Indiens musulmans, la plus grande minorité du pays. De tristes voix se sont déjà élevées pour réclamer leur privation du droit de vote. Outre le fait qu’il s’agit d’un affront à l’ordre constitutionnel, un tel discours est tout simplement contre-productif. Tout arrangement qui prive sa très importante minorité d’une voix et d’une place digne reste intrinsèquement contre les droits civiques et déstabilisant. Bien sûr, tout stratagème qui repose sur un majoritarisme brutal risque d’être contesté par la minorité mise le dos au mur. Un leadership avisé est obligé de tendre la main à toutes les parties et régions de la réalité du pays ; une négligence politique prolongée engendre la résistance et la contestation en dehors de l’arène démocratique.

Le vote du Pendjab, à l’autre bout du spectre, est un merveilleux rappel que la structuration fédérale de l’Inde reste ancrée dans la diversité et les particularités régionales. Le BJP a peut-être enregistré sa pire performance électorale au Pendjab. Et ce, sous la direction de Modi. L’art oratoire et la démagogie du Premier ministre n’ont pas réussi à émouvoir les électeurs du Pendjab. La région la plus patriotique du pays ne s’est pas non plus laissé duper par ses grandes prétentions à être le seul rempart contre les ennemis de la nation [1].

Personne ne sait si l’opposition se laissera embobiner par les résultats impressionnants du BJP, mais le parti au pouvoir ne peut certainement pas s’arroger le droit de museler les voix de la dissidence et du désaccord. De même, la société civile ne doit pas renoncer à sa mission de défense des secteurs sociaux sans voix de notre société. Une victoire du BJP ne signifie pas que nous abandonnons notre quête collective d’un ordre civilisé.

La nécessité pour la république d’avoir une politique équilibrée reste inchangée. S’il y a très peu de choses que quiconque, à l’intérieur ou à l’extérieur du Sangh Parivar, peut faire pour ralentir les impulsions mégalomaniaques de Narendra Modi, cela ne signifie pas qu’il a le droit de se défaire de l’injonction de l’exercice raisonnable d’une autorité raisonnable. (Article publié par le site The Wire, le 10 mars 2022, publication se situant dans une orientation centriste de défense des droits démocratiques ; traduction rédaction A l’Encontre)


[1] Au Pendjab, l’AAD (Parti de l’homme ordinaire), pouvant être considéré de centre gauche, a construit sa popularité sur des thèmes tels que le pouvoir d’achat, le prix de l’électricité, la lutte contre la corruption et la défense des femmes victimes, très nombreuses, de viols. (Réd. A l’Encontre)

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