Raphaëlle Besse Desmoulières – Le NPA a eu du mal à réunir ses 500 parrainages. Pourquoi était-ce si important d’avoir un candidat à la présidentielle ?
Philippe Poutou – Parce qu’on veut faire entendre une voix anticapitaliste. Et dire aussi qu’il y en a ras-le-bol du discours sur l’austérité et la rigueur, qu’autre chose est possible. Il faut aller prendre l’argent là où il est, dans la poche des capitalistes. En 25 ans, c’est 10 % du PIB qui est passé des poches des salariés vers celles des capitalistes. Cela représente environ 200 milliards d’euros par an qu’il faut récupérer. Cela passe par l’expropriation des banques et l’annulation de la dette.
Le travail reste une préoccupation majeure des Français. Que leur proposez-vous ?
La politique menée depuis trente ans n’a fait que se traduire par l’augmentation du chômage, de la précarité et de la pauvreté. Il y a urgence à stopper les licenciements et à répartir le travail entre tous, non seulement avec les 35 heures mais aussi en allant vers les 32 heures hebdomadaires. C’est aussi le retour à la retraite à 60 ans, avec 37,5 annuités, et à 55 ans pour les travaux pénibles. On souhaite enfin un plan massif d’embauche dans les services publics, dans la santé et l’Education nationale et en faveur d’un service public de l’énergie rendue nécessaire par la sortie du nucléaire.
Vous dénoncez la professionnalisation de la politique. Pourquoi ?
On nous parle de démocratie, de représentation du peuple et on se retrouve avec une caste politique déconnectée de la population. Nous sommes pour limiter les revenus des élus : ce n’est pas normal de gagner 6 000 ou 10 000 euros par mois quand on est élu. Nous sommes contre la spécialisation d’une caste. Qu’il y ait une représentation, c’est normal, mais il faut limiter à un ou deux le nombre de mandats qu’un élu peut faire. Et il n’en faut qu’un en même temps : c’est complètement anormal de cumuler deux, trois, quatre mandats comme la plupart le font.
Pour vous, cela alimente l’abstentionnisme...
Oui, d’autant plus qu’on assiste à un vrai cirque électoral où les préoccupations de la vie quotidienne de la population ne sont pas prises en compte. Le plus caricatural, c’est Sarkozy, le président des riches qui devient le candidat du peuple. Il y en a qui se font avoir et après, c’est de la désillusion, de l’écœurement. Dans les milieux populaires, personne ne pense que les élections peuvent changer les choses. Aujourd’hui, il va y avoir un vote pour se débarrasser de Sarkozy, mais il n’y aura pas un vote pro-Hollande qui ne suscite aucun espoir.
Comment vous jugez la campagne de Jean-Luc Mélenchon ?
Il y a un succès qui est positif dans le sens où ça peut donner la pêche aux militants du PCF et du PG, mais si c’est pour en faire un gros coup électoral ou pour nous refaire le coup de la gauche plurielle, ça pose un problème. Derrière, c’est forcément des désillusions. Avec le Front de gauche, il y a des revendications communes, mais il y a aussi une solution qui n’est pas la nôtre. C’est celle de fonctionner avec le PS. On n’est pas d’accord avec cette perspective de soutien même critique à la gauche.
Le Front de gauche n’est-il pas en train de réussir ce que le NPA ambitionnait de faire ?
Non ! Construire un PS bis, un peu plus radical que celui d’aujourd’hui, c’est moins compliqué que de construire un parti anticapitaliste. Hollande est sur une ligne très à droite et il y a un espace à gauche qu’occupe le Front de gauche. Nous, nous discutons d’un outil politique qui permette demain de se battre contre le capitalisme. On discute d’expriopriation des banques, d’une véritable démocratie, d’une remise en cause du pouvoir des capitalistes sur l’économie. On ne construit pas la même chose même s’il y a toujours possibilité de discuter entre nous, de résister ensemble.
Quel regard portez-vous sur les cadres de votre parti qui ont appelé à voter pour M. Mélenchon ?
Depuis le début, ils ne soutiennent pas ma candidature. Avec Bové [en 2007], on avait vécu exactement la même chose. Il y a des désaccords mais on n’est pas des adversaires, on se retrouvera plus tard dans les luttes.
Mais quand on en vient à se déchirer sur des questions d’argent, c’est que ça ne va pas bien...
Ce qui ne va pas bien, c’est la crise du monde capitaliste, ce n’est pas le NPA. Tout le monde a ses histoires. C’est de bon ton de parler du NPA. Dès qu’il y a une petite histoire croustillante, on la ressort. C’est intéressant, ça passionne du monde sauf les électeurs. Ce sont nos affaires, on essaie de les gérer au mieux mais on ira jusqu’au bout malgré ces difficultés.
Comment voyez-vous l’avenir du parti ?
Il faut qu’on tienne parce qu’il faut une force anticapitaliste. On verra comment on reconstruira. Dans nos meetings, des gens reviennent, adhèrent. Ce n’est pas massif mais il y a quelque chose qui se passe, qu’on n’avait pas connu depuis trois ans.
Un rapprochement avec LO est-il possible ?
On verra bien. Pour l’instant, ils jouent la carte solitaire. Nous, on pense qu’il n’y a pas le choix, qu’il faut discuter avec l’ensemble de la gauche de la gauche pour organiser une riposte. Si la gauche gagne, il faudra construire une opposition à ce gouvernement-là. Aujourd’hui, dans le programme de Hollande, sur la précarité, le chômage, il n’y a rien. C’est dramatique. Et cette opposition là, le NPA ne peut pas la construire à lui tout seul.
Appelerez-vous à voter Hollande au deuxième tour ?
Il faudra qu’on en discute collectivement à l’issue du premier tour pour savoir comment on formule la position du NPA. Aujourd’hui, ce qu’on dit, c’est qu’il faut dégager Sarkozy et toute sa bande. Ça redonnerait la pêche à des millions de gens.
Vous avez dit que vous ne vous représenterez pas. C’est difficile une présidentielle ?
Il faut se rendre compte qu’on n’est pas des politiciens professionnels. Je suis ouvrier dans une usine. Etre dans la lumière, c’est compliqué. Il y a une pression parce qu’on a envie de bien faire le boulot. Demain, je vais retrouver ma vie et mes potes. Ça me fait très plaisir de retrouver cette vie-là. Et ce n’est pas parce que je dis ça que je regrette tout le reste. La vie, ce n’est pas la présidentielle.
Propos recueillis par Raphaëlle Besse Desmoulières
Article tiré du journal Le Monde.fr du 11 avril 2012