Les métaphores de la mort et du rétablissement par la reconnexion aux valeurs anciennes tendent généralement à trouver écho chez les Autochtones en raison de leur vécu commun par rapport à la perte. Cette résonance témoigne de la nécessité de faire des traditions quelque chose de plus que des artéfacts, de ressusciter les valeurs traditionnelles et les façons d’envisager le pouvoir afin d’en faire des principes directeurs pour la gouvernance moderne. Nous devons prendre conscience du fait qu’aucune idée ou institution occidentale ne peut soulager la douleur de la colonisation ni nous aider à retrouver l’harmonie, l’équilibre et la coexistence pacifique qui étaient – et sont toujours – les idéaux promus par toutes les philosophies autochtones traditionnelles. En fait, il est impossible pour nous d’atteindre ces buts dans le contexte des institutions occidentales parce que celles-ci ont été conçues dans le cadre d’un système de croyances radicalement différent dont le dessein est tout autre.
Considérons, par exemple, la question de la justice, la source du concept du bien et du mal à la base de tous les débats sur la nature et l’utilisation du pouvoir. Alors que le concept de justice de la société occidentale dominante est ancré dans un idéal fondamentalement individualiste et matérialiste d’équité et d’uniformité, le concept de justice autochtone, lui, est né de la croyance en un lien universel entre tous les éléments qui composent notre monde. Ce concept autochtone est axé sur la nécessité d’une coexistence respectueuse et équilibrée entre les humains, les animaux et les esprits, ainsi qu’avec la Terre. La justice est considérée comme un processus continu visant à maintenir cet équilibre crucial et à garantir un véritable respect du pouvoir et de la dignité de chaque partie de ce cercle d’interdépendance.
L’injustice, quant à elle, est perçue comme un dérèglement, une érosion qui vient perturber cet équilibre crucial. Dans le domaine de la politique et des relations sociales, par exemple, un dérèglement peut être la conséquence d’une dégradation du pouvoir naturel d’une personne ou d’une communauté par la négligence de la sagesse traditionnelle ou par le manque de respect envers la dignité de la création (envers d’autres personnes, d’autres êtres, la nature, ou soi-même), ce qui bouleverse l’équilibre du pouvoir, de la paix et de l’harmonie. On pourrait définir le but de la justice autochtone comme l’accomplissement d’une coexistence respectueuse, le rétablissement de l’harmonie dans le réseau de relations, et un engagement renouvelé envers l’intégrité et la santé physique, émotionnelle et spirituelle de tous les individus et toutes les communautés. Trois différences fondamentales distinguent la conception autochtone de la justice de la conception occidentale : la principale préoccupation ne concerne pas l’équité du traitement ou de la répartition ; aucun impératif d’universalisation ou de nivellement ne peut justifier la limitation de la liberté ; et le cadre culturel servant à déterminer si le pouvoir est utilisé de façon adéquate ne se limite pas à l’ensemble des relations humaines formant notre société, mais comprend également toutes les autres relations.
Considérons l’étroite relation entre la politique, la moralité et l’économie. Alors que le concept occidental de justice traite ces trois éléments séparément, les sociétés autochtones envisagent le bien et le mal selon l’incidence globale qu’a une action précise sur tous les éléments qui composent l’univers. La justice consiste à maintenir l’état de coexistence harmonieuse qui est le but visé par toute action politique, spirituelle et économique.
Selon la perspective autochtone, il n’est pas possible de déterminer ce qui est bien ou mal en faisant abstraction du contexte particulier de l’action ou de la personne en question, parce que le rétablissement de l’harmonie exige non seulement de considérer les éléments en cause, mais également leur participation active à la résolution de la situation. Et cette résolution implique dialogue, explication et réparation du tissu de cette relation, ou, en d’autres mots, la guérison. La justice est le processus de guérison des relations permettant à chaque élément de la création d’assumer son pouvoir naturel et sa responsabilité.
Les approches autochtone et occidentale en matière de résolution de conflits illustrent bien la différence entre les deux concepts de justice. Aux yeux des Autochtones, l’injustice signifie l’absence d’équilibre et d’harmonie, et non pas la perpétration d’un acte en particulier, quelle qu’en soit la définition ; les actes peuvent être considérés comme injustes mais seulement par rapport à leurs effets. Les sanctions existent dans la société autochtone. Mais alors que les systèmes judiciaires occidentaux utilisent les sanctions pour punir, les systèmes autochtones les utilisent pour restaurer l’harmonie, pour rétablir la coexistence pacifique par rapport à l’intégrité de chaque élément de l’ensemble de relations touchées par l’enjeu en question.
Une des principales différences entre les conceptions occidentale et autochtone de pouvoir et de justice réside dans le fait que les valeurs culturelles occidentales servant à déterminer l’équité sont limitées (sauf quelques rares exceptions) à la société humaine. Chez les Autochtones, le cadre culturel servant à déterminer si le pouvoir est utilisé de façon adéquate comprend les relations sociales humaines ainsi que toutes les autres relations. La conception autochtone de la justice va bien au-delà de l’humanisme et de l’environnementalisme et touche le domaine de l’esprit. Elle considère que chaque élément naturel de l’univers a son propre pouvoir et son propre dessein qui doivent tous deux être reconnus et respectés. En effet, il y a un lien sacré non seulement entre les humains, ou entre les humains et le monde physique, mais également entre toutes les créatures et tous les éléments jusqu’au monde de l’esprit. Chacune de ces relations doit être honorée et préservée si le dessein de l’humain doit être accompli. La justice est l’accomplissement de l’équilibre dans toutes ces relations, et la démonstration, par la pensée et par l’action, du respect pour la dignité de chaque élément du cercle d’interdépendance qui forme notre univers.