Édition du 19 novembre 2024

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Israël - Palestine

Hypocrisie : le conflit des faucons et des vautours sionistes

Sur quoi porte le conflit au sein de l’élite sioniste du pouvoir ? N’allez pas croire qu’il s’agit d’un conflit entre faucons et colombes comme le dépeignent les médias occidentaux...

4 septembre 2024
Gilbert Achcar
Professeur, SOAS, Université de Londres

Sur quoi porte le conflit au sein de l’élite sioniste du pouvoir ? N’allez pas croire qu’il s’agit d’un conflit entre faucons et colombes comme le dépeignent les médias occidentaux. Non, ne croyez même pas que les masses israéliennes qui manifestent pour exiger un accord menant à un nouvel échange de captifs entre leur gouvernement et le Hamas, cherchent en majorité à mettre fin à la tragédie de Gaza et à en retirer l’armée d’occupation. Non, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, l’armée sioniste ne se retirera pas de la bande de Gaza une deuxième fois, puisque même les « modérés » dans ses rangs croient qu’un nouveau retrait signifierait une répétition de la même erreur.

Le conflit politique israélien n’est pas entre ceux qui appellent à un retrait complet de la bande de Gaza et ceux qui insistent pour y rester, mais plutôt entre l’extrême droite, qui appelle à l’annexion de la bande de Gaza à l’État sioniste en expulsant la plupart de ses habitants de la majeure partie de son territoire et en les remplaçant par des colons juifs, et le « centre » sioniste qui se rend compte que le prix de l’annexion et de l’expulsion est plus élevé que ce que son État peut supporter, et préfère donc adhérer au cadre du « Plan Allon » de 1967 qui régit la situation en Cisjordanie, où Israël contrôle des sites stratégiques et des routes entourant les zones de concentration de la population palestinienne.

En d’autres termes, le conflit politique au sein de l’élite du pouvoir sioniste, comme nous l’avons déjà dit, n’est pas entre faucons et colombes, mais entre faucons et vautours. C’est le cas du conflit entre Benyamin Netanyahou et le « centre » sioniste, qui comprend les partis d’opposition au gouvernement actuel, ainsi qu’une minorité du Likoud lui-même, représentée dans le gouvernement par le ministre de la Guerre Yoav Galant. La presse israélienne a rapporté la récente confrontation qui s’est déroulée lors d’une réunion du cabinet entre Galant et Netanyahu, en soulignant que le ministre exprimait le point de vue des appareils militaires et sécuritaires. Quel était l’objet de la confrontation ? La discussion a porté sur l’accord de cessez-le-feu que Washington, avec l’aide du Caire et de Doha, cherche à conclure entre le gouvernement et le Hamas.

Nous avons mis en garde dès le début contre toute illusion que cet accord pourrait mettre fin à l’occupation israélienne de Gaza, soulignant que le principal enjeu du point de vue israélien est l’acceptation d’une trêve temporaire avec un retrait limité des forces d’occupation de certaines parties de la bande de Gaza, afin de permettre la libération de la majorité des personnes détenues par le Hamas, et cela avant de poursuivre l’agression pour chercher à réaliser pleinement ses objectifs. Dans ce contexte, nous avons décrit le dilemme de Netanyahu comme suit :

«  Ce dernier est pris entre deux feux dans la politique intérieure israélienne : le feu de ceux qui appellent à donner la priorité à la libération des Israéliens détenus à Gaza, naturellement menés par les familles des détenus, et le feu de ceux qui rejettent toute trêve et insistent pour poursuivre la guerre sans interruption, menés par les ministres les plus extrémistes de l’extrême droite sioniste. La plus grande pression à laquelle Netanyahu est exposé vient de Washington. Elle coïncide avec les souhaits des familles des prisonniers israéliens dans la quête d’une trêve “humanitaire” de quelques semaines qui permettrait à l’administration Biden de se montrer soucieuse de paix et préoccupée par le sort des civils, après qu’elle a été et reste coresponsable à part entière de la guerre génocidaire que mène Israël, qu’il n’aurait d’ailleurs pas été en mesure de mener sans le soutien militaire des États-Unis.  »

Ce qui précède a été publié il y a exactement quatre mois (« La partie de poker entre le Hamas et Netanyahu », 7 mai 2024) et rien n’a changé dans l’équation politique depuis lors. L’administration Biden doit encore réaliser quelque chose qui prouve sa bonne foi devant l’opinion publique américaine et internationale, et cela est maintenant devenu un besoin de la campagne électorale de Kamala Harris en faveur de laquelle Biden s’est retiré de la course. Le « centre » sioniste est toujours désireux de créer une opportunité de libérer le plus grand nombre possible d’otages, d’autant plus que la pression populaire en ce sens implique principalement ses partisans. Cependant, ils sont tous d’accord sur le maintien du contrôle israélien sur Gaza à long terme. Ils diffèrent sur la forme et l’étendue du contrôle, et non sur son principe.

Il n’y a pas de preuve plus claire de la vérité du désaccord entre Galant et Netanyahou que ce que le ministre de la Guerre est reporté avoir dit lors de la réunion du cabinet sioniste au cours de laquelle les deux hommes se sont affrontés. La discussion a porté sur la demande du Hamas, soutenue par Le Caire, de retrait de l’armée d’occupation du « couloir de Philadelphie » à la frontière entre Gaza et l’Égypte. Alors que l’armée et les appareils de sécurité sionistes sont favorables à ce retrait, l’extrême droite sioniste représentée au cabinet le rejette catégoriquement et menace de dissoudre sa coalition avec Netanyahou s’il acceptait l’accord, ce qui forcerait de nouvelles élections qui pourraient mettre un terme définitif à la carrière politique de ce dernier. Nous avons donc vu Netanyahou s’accrocher à sa position de refus du retrait du couloir frontalier avec des arguments de sécurité qu’aucun membre de l’élite du pouvoir sioniste ne peut réfuter, car ils savent tous que des armes et du matériel de construction de tunnels sont entrés dans la bande de Gaza depuis le Sinaï égyptien et ils n’ont aucune confiance dans la partie égyptienne en ce qui concerne la surveillance du couloir, ni d’ailleurs en n’importe qui d’autre.

La réponse de Galant et de l’opposition sioniste n’a pas été qu’il n’était pas nécessaire qu’Israël contrôle le couloir. Au lieu de cela, certains se sont appuyés sur la proposition des services de sécurité d’effectuer une surveillance électronique de la bande frontalière sans déploiement permanent de troupes israéliennes, tandis que Galant a résumé le désaccord entre lui et Netanyahu, selon ce qui a été rapporté par les médias israéliens, comme un choix « entre la vie des otages ou rester dans le couloir de Philadelphie pendant six semaines ». En d’autres termes, selon Galant, il ne s’agit que d’un retrait du corridor durant six semaines, pour permettre la libération de la plupart des personnes détenues par le Hamas, sachant que l’armée d’occupation reprendrait le contrôle direct de la frontière après l’achèvement de la première étape de l’accord souhaité par Washington. Tout le monde sait que la deuxième étape hypothétique de cet accord, qui porte sur le retrait complet de l’armée d’occupation de la bande de Gaza, ne se produira jamais. Ils sont tous hypocrites.

Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 3 septembre en ligne et dans le numéro imprimé du 4 septembre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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Gilbert Achcar

Originaire du Liban, professeur à l’Ecole des études orientales et
africaines (SOAS) de l’Université de Londres. (https://gilbert-achcar.net/
— @gilbertachcar)
Auteur de plusieurs ouvrages, dont *Le Choc des barbaries* (3e édition,
2017), *La Poudrière du Moyen-Orient *(avec Noam Chomsky, 2007),* Les
Arabes et la Shoah* (2010), *Le Peuple veut* (2013), *Symptômes morbides*
(2016) et *La Nouvelle Guerre froide* (2023).

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