15 novembre 2023 | tiré de l’Aut’journal
Le trust
Le projet TES Canada recrée en effet un fief dans la région de la Mauricie. L’entreprise veut produire de l’hydrogène à partir de l’électrolyse de l’eau, un procédé qui nécessite une grande quantité d’énergie.
Selon ses promoteurs, les deux tiers du courant nécessaire viendront de ses propres éoliennes et panneaux solaires. Hydro-Québec fournira l’autre tiers, soit 150 mégawatts. TES Canada envisage de construire de 140 éoliennes capables de produire 800 mégawatts (MW), combiné à un parc solaire de 200 MW. Le parc éolien sera implanté dans plusieurs municipalités et les éoliennes seront reliées à l’usine par un réseau de câblage souterrain privé. Le parc éolien couvrira une grande partie de la Mauricie, comme le trust de la Shawinigan Water and Power à l’époque.
Les deux tiers de l’hydrogène produit seront convertis en gaz naturel synthétique pour Énergir, qui alimentera par son réseau de gazoducs des entreprises réputées non « électrifiables » – c’est-à-dire impossible à décarboner avec l’énergie d’Hydro-Québec – comme les cimenteries et les aciéries.
Nous ne nous prononçons pas pour le moment sur la pertinence ou non du projet, mais bien sur son caractère privé, sur la résurgence d’un trust de l’électricité, comme l’est celui de l’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean, qui a échappé à l’époque à la nationalisation et qui détient toujours le privilège d’opérer des barrages hydroélectriques privés depuis longtemps amortis.
René Lévesque contre les trusts
L’annonce de TSE nous a amené à réécouter l’époustouflant plaidoyer de René Lévesque expliquant la nécessité et les bienfaits de la nationalisation de l’électricité en 1962. Son analyse est toujours aussi pertinente.
Reprenons quelques-uns de ses arguments contre les trusts de l’électricité et pour la nationalisation. Les tarifs de l’électricité diffèrent selon les régions ; les profits sont privés ; les dépenses des trusts sont privées ; le trust choisit ses clients parmi ses copains sans avoir à passer par des appels d’offres publics ; ils paient des impôts fédéraux, ce que ne fait pas Hydro-Québec ; la promotion des employés s’effectue dans le cadre restreint du trust plutôt que dans le grand ensemble d’une société d’État. Nous pouvons ajouter que rien ne garantit que ces emplois seront syndiqués. C’est tout le contraire de « Maîtres chez nous ».
Nous vous incitons fortement à visionner la vidéo de la présentation de René Lévesque, d’autant plus que nous constatons que le recours au privé annoncé par le tandem Legault-Fitzgibbon ne se limite pas à l’octroi de construction d’éoliennes reliées au réseau d’Hydro-Québec, mais à la constitution de trusts. Il pourrait en être ainsi pour la construction de barrages reliés à des entreprises industrielles ou minières. Pour visionner la vidéo, cliquez ici.
Power Corporation
TES Canada est une filiale de la firme belge Tree Energy Solutions, qui a des bureaux en Europe, aux États-Unis et aux Émirats arabes unis, et de FCD Inv. Inc. présidée par France Chrétien Desmarais, fille de l’ex-premier ministre Jean Chrétien et femme d’André Desmarais, président délégué du conseil de Power Corporation du Canada. Mme Chrétien Desmarais et l’entreprise européenne agiront à titre de bailleurs de fonds du projet.
D’après le Registre des entreprises, le plus haut dirigeant de TES Canada H2 est Éric Gauthier, un ex-dirigeant de la filière énergétique de Power Corporation, Power Sustainable Capital, un fonds d’infrastructure énergétique de 1,6 milliard de dollars.
Il est intéressant de signaler que l’implication de Power Corporation dans ce projet signifie un « retour aux sources » pour l’entreprise dans l’hydroélectricité. Power Corporation du Canada a été formé en 1925 en tant que holding pour gérer des investissements substantiels dans les entreprises d’utilité publique impliquées dans le secteur de l’énergie électrique dans les Cantons de l’Est ainsi qu’en Ontario, au Manitoba et en Colombie-Britannique.
Lors de la nationalisation de l’électricité en 1962, les dirigeants de Power Corporation ne se sont pas opposés au principe de la nationalisation. Le taux de profit du secteur de l’électricité était tombé entre 2% et 6% et le gouvernement offrait de payer 20% de plus que la valeur réelle des actions. L’entente fut conclue et l’argent encaissé a servi à édifier l’empire, dont s’est porté acquéreur Paul Desmarais en 1968.
La Presse
Paul Desmarais était déjà propriétaire de La Presse en 1967. L’histoire de Desmarais et de La Presse est riche en coups fourrés contre le mouvement indépendantiste québécois. Pour son rôle dans les années qui précédent le référendum de 1980, nous vous recommandons la lecture de ce chapitre de L’autre histoire de l’indépendance.
Il y a quelques années, la famille Desmarais a largué le journal La Presse. Mais son influence demeure. À preuve, l’article du chroniqueur Francis Vailles sur l’investissement de TES Canada dans le projet d’hydrogène vert intitulé « J’étais contre les projets d’hydrogène vert ».
Il était contre, il est maintenant pour. Il écrit : « J’étais contre, donc, mais je me suis prononcé pour à une condition : que les promoteurs de tels projets produisent eux-mêmes leur propre énergie verte. »
Autrement dit, j’étais contre, mais si c’est privé, je suis pour.
Voyons ses arguments. « D’abord, toute sa production sera destinée aux besoins locaux. Et l’entreprise alimentera son électrolyseur en produisant sa propre énergie renouvelable ». Besoins « locaux », vous dites ? Elle ne va pas vendre son hydrogène ?
Il ajoute : « Oui, d’accord, Hydro-Québec fournira 150 mégawatts, soit le tiers des besoins, mais les deux tiers du courant viendront des propres éoliennes et panneaux solaires de TES, ce qui apparaît comme un compromis acceptable. » Deux tiers privés, un tiers public, un compromis acceptable ?
Il poursuit : « Il l’est d’autant plus que l’entreprise utilisera son propre réseau de transport d’électricité, qu’elle veut enfouir sous terre. » Trois tiers privés, c’est encore mieux !
Que cela constitue une privatisation d’Hydro-Québec, le retour des trusts de l’électricité, la fin du « Maîtres chez nous », cela ne semble pas lui effleurer l’esprit.
Le Parti libéral du Canada
Le Parti libéral du Canada et la famille Desmarais sont liés par cent mille fibres depuis que le patriarche a organisé la campagne électorale de 1968 de Pierre Elliot Trudeau dans les bureaux de Power Corporation sur la rue Saint-Jacques à Montréal. Une alliance qui a atteint un sommet avec le mariage de la fille de Jean Chrétien avec le fils Desmarais.
Et le désengagement des Desmarais dans La Presse n’a pas empêché que l’histoire d’amour entre le Parti libéral et La Presse se poursuive.
Le gouvernement de Justin Trudeau a adopté une loi, qui octroie au journal le statut de donateur reconnu par l’Agence de revenu du Canada. Ce statut permet de délivrer des reçus à des fins fiscales à ses donateurs, quels qu’ils soient.
En fait, la possibilité de déduire dans la Déclaration de revenus annuelle les dons à La Presse équivaut à une subvention déguisée et, donc, à une certaine dépendance – voire une dépendance certaine – à l’endroit du gouvernement fédéral et, plus particulièrement à l’endroit du gouvernement Trudeau, d’autant plus que le chef du Parti conservateur, Pierre Poilièvre, a fait savoir qu’il abolirait cette loi.
Alors, bienvenue au retour des trusts et à leurs valets, comme les qualifiait René Lévesque dans son plaidoyer en faveur de la nationalisation de l’électricité et du « Maîtres chez nous ».
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