Tiré de la Revue Relations
https://cjf.qc.ca/revue-relations/publication/article/haiti-assez-dhypocrisie/
Catherine Caron
Depuis des mois, les États-Unis, le Core Group[1] et les Nations Unies font mine de ne pas savoir que la terreur semée par des gangs armés en Haïti se déploie parce qu’ils en nourrissent depuis longtemps le terreau. Ils persistent à soutenir le premier ministre Ariel Henry, autocrate non élu et illégitime, soupçonné d’être lié aux bandes à l’origine de l’assassinat du président Jovenel Moïse. La demande de ce dernier en faveur d’une intervention étrangère s’apparente à celle d’un pompier pyromane, mais on fait mine, là-aussi, de ne pas voir l’instrumentalisation politique de bandes armées par une élite corrompue et ses alliés. Le Réseau national de la défense des droits humains considère cette « gangstérisation de l’État » comme une nouvelle forme de gouvernance[2]. Elle vise l’accaparement du pouvoir, la spoliation de biens, ressources et terres ainsi que l’ébranlement des résistances courageuses de ceux et celles qui portent d’importantes revendications politiques et sociales, sans lesquelles il ne peut y avoir ni sécurité, ni liberté, ni démocratie ou justice en Haïti.
Ces résistances se sont fortement manifestées (pour ce qui est de l’histoire récente) face au méga-scandale de corruption lié au détournement du Fonds PetroCaribe[3], puis contre l’augmentation du prix du carburant (dictée par le Fonds monétaire international), la vie chère et la dégradation critique des conditions de vie dans le pays. Et malgré l’insécurité généralisée qui y règne, les forces vives de la société haïtienne (mouvements paysans et de femmes, organisations de droits humains, syndicats, églises, etc.) s’expriment et refusent toute intervention étrangère dans ce pays marqué par les conséquences délétères des précédentes. Elles insistent sur la nécessité non pas d’élections vouées à l’échec dans un contexte aussi miné mais d’une « transition de rupture » et de voies de sortie de crise qui doivent venir des Haïtien·nes.
L’Accord de Montana, signé le 30 août 2021, incarne leur force de convergence pour rebâtir des institutions et un système politique démocratiques, mettre fin aux violences et à l’impunité, stopper l’afflux d’armes en provenance des États-Unis et offrir réparation, cela « dans un contexte d’adversité nationale et internationale, malgré les mensonges et les manipulations des puissances dominantes sous-traitées par le BINUH, [où ces forces vives restent] fermement à la barre, luttant pour la démocratie et l’État de droit[4] ».
Jusqu’à quand va-t-on les ignorer, comme le fait le Canada en soutenant Henry et en cautionnant l’inacceptable comme il le fit lors du coup d’État contre Aristide en 2004 et lors des mascarades d’élections subséquentes, se mêlant du sort d’Haïti sans l’accord des Haïtien·nes ? Son attitude reste à scruter à la lumière des vérités qui dérangent, comme le rappelle le journaliste Owen Schalk : « Pendant des décennies, le Canada a dissimulé la force brute de ses actions en Haïti derrière le langage d’un Pearsonianisme bienveillant, derrière un prétendu engagement à aider toutes les parties à coopérer pour le bien. Mais Lester B. Pearson n’était pas un acteur désintéressé — il était un anticommuniste enragé et un colonialiste ardent — et l’intérêt du Canada pour Haïti n’a jamais été une entreprise désintéressée non plus[5] ». De fait, la politique étrangère du Canada continue de privilégier scandaleusement les intérêts de ses compagnies au détriment des droits et du bien-être du peuple haïtien.
Cela doit cesser et si nul ne prétend qu’enrayer la spirale des violences en Haïti soit chose facile, l’hypocrisie est à son comble lorsque les États-Unis et le Canada prétendent favoriser une « solidarité africaine » en ralliant le Kenya — connu pour sa police ultraviolente et corrompue — à la tête d’une soi-disant force multinationale d’intervention. Une réelle solidarité avec le peuple haïtien passe plutôt par l’écoute de ses propositions, le respect immédiat de son droit à maîtriser librement son destin et la fin d’une sorte de tutelle qui ne dit pas son nom.
Notes
[1] Composé des ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des États-Unis, de France et de l’Union européenne en Haïti, ainsi que des représentants de l’OEA et des Nations unies pour Haïti.
[2] Lire Frédéric Thomas (notamment sur le massacre de La Saline), « Haïti, État des gangs dans un pays sans État », CETRI, 7 juillet 2022.
[3] Lire Ambroise Dorino Gabriel, « Haïti : pour un 17 octobre citoyen », Relations, 16 octobre 2018.
[4] Déclaration à l’occasion du sommet inter-haïtien de la CARICOM à Kingston, Rezo Nòdwès, 12 juin 2023.
[5] O. Schalk, « Haiti deserves respect, not another invasion », Canadian Dimension, 17 octobre 2022 [en ligne], (traduction libre).
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