Édition du 17 décembre 2024

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Guatemala : assassinat, sorcellerie et Covid-19

Dans un village perdu de la forêt tropicale du Guatemala, au mois de juin, dans une atmosphère de peur, de faim et de discorde, Domingo Choc Che, un sage q’echí maya réputé a été battu pendant des heures puis immolé par le feu par ses propres voisins

photo : Domingo Choc Che, guide spirituel et herboriste maya

Daniel Hickey et James de Finney, professeurs à la retraite de l’Université de Moncton, auteurs de Mayas du Guatemala et capitalisme sauvage, 1978-2018.
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Sa mort est survenue au milieu de la lutte contre la Covid-19, une crise qui rappelle celle que connaissent la plupart des pays du monde, mais avec des mesures draconiennes : confinement à la maison, couvre-feux nocturnes, interdiction aux ONG de distribuer de l’aide dans les régions rurales. On a aussi divisé le pays en zones, avec interdiction de circuler sans laissez-passer officiel. Malgré tout, le 24 juin, le Guatemala enregistrait déjà 14 819 cas confirmés de Covid-19 et 601 morts.
Quel lien entre l’exécution du sage maya et la pandémie, direz-vous ? Surtout que, pour le moment, le pays semble réussir à éviter le pire, du moins si on le compare à ses voisins le Nicaragua ou le Honduras. C’est qu’on assiste à la détérioration d’une situation économique déjà critique au Guatemala et au développement d’une atmosphère de peur qui vient exacerber des inégalités et des conflits qui déchirent le pays depuis très longtemps.

L’économie s’est contractée de 2.5%. De nombreux Guatémaltèques ont perdu leur emploi et le confinement les empêche de voyager d’une région à l’autre à la recherche de travail, une pratique courante au pays. Selon les ONGs cette pandémie ne pouvait pas arriver à un pire moment, car les régions rurales font déjà face aux changements climatiques et à une disette qui ont décuplé le prix des denrées, en plus de fragiliser le système social des régions rurales. La santé, la sécurité alimentaire, l’eau, l’hygiène et les installations sanitaires se sont particulièrement détériorées.

L’aide gouvernementale aux villages et communautés isolées a été nettement en dessous de l’assistance donnée à la population urbaine. Dans ces villages atmosphère de peur et les effets de la faim créés par le confinement ont aussi réveillé de vieilles rivalités au sein de la population, chaque habitant et chaque famille devant lutter pour sa survie. On a ainsi connu une recrudescence de la violence et du racisme qui ont marqué la guerre civile qui a déchiré le pays de 1960 à 1996. Le cas le plus abject est sans conteste l’assassinat de Domingo Choc Che, ce guide spirituel maya. Le 6 juin, il a été enlevé de sa maison à Chimay dans le forêt tropicale du Petén au nord du Guatemala. Ses ravisseurs, tous membres d’une famille du village, l’ont tabassé pendant des heures, l’accusant d’être un sorcier et d’avoir jeté un sort qui aurait causé la mort de leur père José Pop Caal. Le lendemain, ils l’ont amené, affaibli, au champ de soccer du village et, devant une foule de villageois, ont procédé à un simulacre de justice populaire : le fils du défunt, Ovido Ramírez Chub, l’a arrosé d’essence et jeté une allumette. Domingo Choc, transformé en boule de feu, a couru entouré de villageois tantôt applaudissant, tantôt poussant des cris d’effroi. Tentant d’échapper à ses bourreaux, il est tombé mort à la limite du champ. Les images de sa torture et de sa mort sont rapidement devenues virales sur les réseaux sociaux du monde. La police a arrêté les quatre membres de la famille responsables de crime horrible.
Entre 2008 et 2018, on compte 1 312 morts ou blessés suite à ces pratiques de « justice sommaire », très répandues dans communautés paysannes, surtout durant et après les violences de la guerre civile. Elles ont affaibli le tissu social en faisant disparaître plusieurs « anciens » et sages, qui assuraient la justice traditionnelle maya au sein des communautés. Ceux-ci ont été parmi les premières victimes des fusils de l’armée et des paramilitaires.

Domingo Choc avait 55 ans. Herboriste et « sage » maya, il faisait partie d’une équipe de scientifiques travaillant sur des projets de recherche menés par la Universidad del Valle de Guatemala, l’Université de Zurich et l’University College de Londres. Le groupe cherche à documenter des pratiques médicales ancestrales, d’indentifier les plantes médicinales et de les localiser dans les forêts du Petén. Leurs recherches visent particulièrement les régions où la déforestation facilite la monoculture et l’élevage.

Loin d’être un sorcier, Domingo Choc était une victime du climat de peur engendré par la menace du virus, le confinement, le manque de nourriture et de travail. Isolés et abandonnés par l’État guatémaltèque, la famille Pop Caal et les habitants de Chimay rejetaient ce chercheur maya qui participait aussi à la lutte contre la déforestation de la région. Les villageois, dont plusieurs travaillent à « nettoyer » cette forêt, voyaient en Domingo une menace à leur gagne pain. On peut soupçonner que d’autres personnes n’étaient pas étrangères à cette attaque. Les cas de grands entrepreneurs qui éliminent la forêt pour agrandir leurs plantations de palme africaine ou encore ceux de gangs de narcotrafiquants qui « sécurisent » ainsi les voies de transit de la drogue et des émigrants payants sont légion.
L’assassinat de Domingo Choc n’est donc pas un incident isolé. Les ONG qui travaillent au Guatemala ont documenté une vingtaine d’incidents de violence contre les dirigeants du peuple maya au cours de la dernière année, surtout des militants impliqués dans la défense de l’environnement, qui tentaient de freiner les grandioses projets de barrages, de mines ou de forages pétroliers. D’ailleurs presque au moment de l’attaque contre Domingo Choc, le 8 juin, un guide forestier maya, Alberto Cucul Choc a été trouvé mort dans le Parc naturel de la Laguna Lachuá. On peut supposer que Domingo et Alberto ne seront pas les dernières victimes.

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