Édition du 19 novembre 2024

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Europe

Grèce : « Nous voilà donc en guerre. Une vraie guerre sociale, une guerre contre la société, une guerre entre les composantes de cette société, une guerre qui peut devenir guerre civile »

La Grèce et l’Attique effacées sous les nuages hier, le spectacle à l’atterrissage était finalement beau, et je dirais même significatif. Après deux semaines passées à Paris deux « grosses semaines » comme on dit au pays du travail existant, le blog retrouve sa vie habituelle, racontant nos petites et grandes mortes mais aussi les signes de vie, de courage et de résistance. Ce qui est déjà certain, c’est que Paris, appartient à une autre temporalité historique. Nous, nous avons pris de la distance, et suffisamment, pour réaliser enfin combien nous sommes très à l’étroit dans cet accélérateur de particules de l’histoire qui nous propulse à marche forcée vers l’utopie. Déjà qu’à Roissy, la publicité faite par une banque, annonce que « maïs et coton seront en concurrence pour les investissements ».

C’est également à l’occasion offerte par cette vue d’en haut, qu’il est possible d’observer les piscines chez certains, désormais… imposables (les piscines), appartenant à des concitoyens aisés, souvent aussi grands amateurs de la globalisation, c’est-à-dire propriétaires ou initiateurs d’une myriade de sociétés offshore. Sauf que cette Grèce, tétanisée sous les nuages des institutions de l’U.E. finira aveugle, et finira ses jours tout court, pour ne pas avoir vu à temps le XXIᵉ siècle comme celui (car il l’est déjà), d’un reflux certain de la globalisation (thèse soutenue par un certain nombre d’économistes hétérodoxes, dont Jacques Sapir en France).

La Grèce aurait pu suivre l’exemple de l’Argentine dès 2010, mais à une condition : combiner au moins trois facteurs indispensables, liés entre eux. D’abord, connaître un mouvement populaire massif et surtout déterminé à renverser la situation (et espérons-le évidemment, ne relevant pas des épigones du nazisme). Ensuite, il aurait fallu que les élites du pays aient la volonté d’accompagner la volonté populaire sur l’essentiel du choix historique, douloureux de toute manière, d’abord pour le peuple et ensuite pour elles. Et enfin, que la géopolitique qui forcément « encadre » le ou les pays concernés, c’est-à-dire les structures de l’U.E., ne soit plus une courroie de la globalisation, ni une réorganisation forcée du continent suivant les stéréotypes des élites allemandes. C’est ainsi que l’U.E. de 2012 est une utopie, c’est-à-dire un non lieu. Depuis plus de vingt ans, aucune reforme « commune » n’a été entreprise en dehors du fétichisme de la mondialisation. « On » avance, en déstructurant, c’est-à-dire en détruisant, le monde du travail et ses règles, par exemple. L’expérimentation de la vassalisation de la Grèce ainsi imposée par les « créanciers » et par les dirigeants de l’actuelle Allemagne, n’est que le stade avancé du processus qui aura cours ailleurs, en admettant néanmoins certaines variantes, au cas par cas.

C’est d’ailleurs une des incompréhensions majeures… rencontrées à Paris, lors des débats qui suivirent la projection du film Khaos, et bien davantage évidemment, en argumentant (si possible) à la télévision. « Ce n’est pas le cadre, autrement-dit, les structures de l’U.E. qu’il faut remettre en cause, mais leurs orientations politiques », ont répété à maintes reprises, mes interlocuteurs issus du monde syndical ou de celui des partis politiques de gauche. Tout en restant politiquement honnêtes, ils s’inscrivent pourtant dans un faux historique. En Grèce également, la ligne directrice chez Syriza, commet la même erreur, surtout qu’il n’y a pas chez eux (à ma connaissance), « un plan B », prévoyant une autre voie en cas « d’accident ». C’est aussi pour dire, combien les TINAlistes de tout poil, se sont imposés en maîtres du jeu.

En attendant le RER pour me rendre à l’aéroport de Roissy, j’entendais les autres passagers évoquer leurs projets pour Noël, la planification de leurs achats ou la dernière très grosse semaine au travail. Quatre heures après, sur les quais de notre RER monoligne, les Athéniens se plaignaient une énième fois de la destruction de leur cadre de travail donc de vie, des agressions et des cambriolages. D’autres, assis sur les bancs de la station, lisaient attentivement les journaux du régime : « Difficiles négociations entre le gouvernement et nos partenaires européens », puis ensuite, deux pages pleines, consacrées aux multiples « visages de l’Aube dorée ». Bravo et… merci. Il faut dire que la promotion (ouverte ou implicite) de l’Aube dorée, ainsi faite par certaines courroies du système bancocrate instauré par la Troïka de l’extérieur (F.M.I., U.E., B.C.I.) et des marionnettes de la Troïka de l’intérieur (le gouvernement tripartite de Samaras) est sans précédent. La dernière trouvaille, à mon sens significative, est l’utilisation de la pornographie. Sous prétexte de nous faire… découvrir certaines jeunes femmes (de la constellation de l’exhibitionnisme showbizness) appartenant au mouvement nazifiant du chef Mikhaliolakos, certains sites web , supposés d’information généraliste publient des photos pornographiques de ces femmes, en ayant obtenu leur accord bien évidemment. Et comme il ne s’agit pas d’un cas isolé, on peut comprendre aisément, qu’entre le voyeurisme, les stéréotypes de la masculinité et la pornographie… la voie est bien tracée pour brancher définitivement (?) les cerveaux de certains hommes et de certaines femmes directement à l’Aube dorée.

Puis, durant mon absence à Paris, le salut nazi du chef aubedorien a provoqué une certaine indignation, parfois d’ailleurs de façade chez certains. Mikhaliolakos a déclaré que « si nous saluons aussi de cette manière, nous à l’Aube dorée, c’est que nous avons les mains propres ». On comprend aisément la mise en œuvre de toute une stratégie orchestrée dans le but de faire admettre massivement la « culture de guerre » des nazillons de Mikhaliolakos. Par la pornographie ou par le salut nazi, c’est selon, et surtout selon la plus mauvaise des transpirations de notre temps.

Disons-nous aussi, que l’acculturation et la déshumanisation précèdent, ou sinon accompagnent la globalisation, laquelle, prépare dans sa phase actuelle (lorsqu’elle n’est pas renversée par les peuples), les Aubes dorées et les lendemains sombres. D’où d’ailleurs mon aporie, pour ne pas dire mon indignation, lorsque mes interlocuteurs à Paris, (me) posèrent souvent la question du danger auberorien décontextualisée, comme si il n’était pas lié au nouveau régime bancocrate.

Plus sérieusement… nos radios nous apprennent ce midi (24/10) que la Troïka (dont l’U.E., je le précise), exige l’institution rapide de la semaine de six jours de travail sans aucune indemnisation ni salaire supplémentaire, car sinon… « la prochaine tranche de 31 milliards d’euros ne sera pas versée à la Grèce ». Plus de trente milliards iront directement aux banques en dehors de la Grèce, mais passons. Le ministre de l’Économie, Stournaras vient de déclarer que « ce versement est primordial, car à défaut, certains grecs mourront de famine » (sic), certainement pas lui. Ce midi, les journalistes des radios généralistes ont évoqué en commentant la nouvelle, « la suppression de fait, de la convention collective nationale du travail dans ce pays » (real-FM). Nous voilà donc en guerre.

Une vraie guerre sociale, une guerre contre la société, une guerre entre les composantes de cette société, une guerre qui peut devenir guerre civile, une situation bref, créé et « aboutie » autour du thème et de la réalité de la destruction du monde du travail au niveau national, pays par pays. C’est d’abord cela la politique dominante de l’U.E. et c’est ainsi qu’en Grèce on ironise aussi ces derniers jours sur cette mascarade du Prix Nobel de la Paix. Loin, très loin de ce qui est dit et répété à Paris, sur les plateaux de la télévision par exemple. Pauvres téléspectateurs, d’une époque finalement si riche !

C’est ainsi que depuis Paris, je ramène mes souvenirs des rencontres et des débats, ceux de l’accueil chaleureux et émouvant dont je suis reconnaissant, deux livres… et un rhume qui se termine en complications. J’irai donc voir Dr D. qui exerce trois rues plus loin, et acceptera sans doute un « tarif réduit de solidarité », car j’appartiens à ce tiers de la population grecque qui ne bénéficie plus d’aucune couverture santé. Je peux aussi m’adresser dans la mesure du possible, aux antennes médicales des consultations gratuites, mises en place par certaines associations, ONG ou municipalités, mais cette autre manière ne remplace pas (encore) les services, et encore moins les actes potentiellement pratiqués dans le cadre d’un véritable système de santé publique. Ce dernier n’existe d’ailleurs plus. En partant de France, un ami grec, m’a confié un petit sac contenant les médicaments destinés à sa mère restée au pays. Car en Grèce, certains médicaments deviennent introuvables. Aux dires de tous ici, nous entrons dans l’univers de la crise humanitaire, la première chez nous, après la période de la guerre de 1940 à 1949, la Guerre civile étant incluse dans cette décennie de guerre en Grèce.

Ma prise de contact avec la réalité d’ici, (et à ma surprise), fut alors bien brutale. Parti deux semaines, c’est comme si j’étais absent durant six mois. Je retrouve de nouveau nos bulletins d’information qui s’apparentent à des pelletons d’exécution, des salaires, des retraites, et des droits sociaux. Ce matin par exemple, nous avons appris que des sociétés privées grecques ou étrangères, iront saisir les biens des personnes endettées, (immobilier, véhicules et autres), pour des dettes s’élevant à plus de 3.000 euros. Rien que les petits commerçants en faillite (un tiers du commerce), doivent par exemple plusieurs mois, voire années de cotisations à la Sécurité Sociale. Je retrouve ainsi notre univers achronique, désarticulé dans le temps et l’espace du vécu et du devenir personnel et collectif. Mon ami journaliste au chômage rencontré dès hier soir, est invité à participer à l’aventure de la création d’un quotidien par un collectif issu du monde de la presse. Il doit verser mille euros de cotisation pour devenir « journaliste associé », puis travailler trois mois sans solde pour le quotidien. Comme il n’a pas ces mille euros, il va falloir travailler quatre mois en « bénévole ». Finalement il n’ira pas. « Je n’ai même pas de quoi payer mes tickets de métro, d’autres collègues au moins, touchent encore une petite indemnité chômage. J’espère me faire embaucher par un autre nouveau quotidien qui doit voir le jour bientôt. Huit cent euros de salaire en net pour six jours de travail, nuits comprises. Avant mon licenciement [d’un grand quotidien national], et toujours en conformité avec la convention collective je gagnais 1.900 euros en net pour cinq jours de travail, après 25 ans dans le métier du journalisme. J’accepte désormais les 800 euros car il n’y a plus d’autre alternative, ni lutte syndicale, ni grève possible, sinon je vais mourir de faim, j’espère donc être rapidement embauché mais c’est déjà assez dur ».

Des amis, un couple, ont également téléphoné hier soir, dès mon retour à Athènes. « Nous voulons te voir avant la fin du mois… Tu sais, nous quittons la Grèce pour Londres, ma sœur y est depuis 2011 ». D’autres petites histoires font de l’émigration le sujet du jour et de presque tous les jours. Les habitants du pays partent, ceux qui le peuvent et qui ont les capacités, les attaches ailleurs et le courage, partent massivement. Après avoir perdu l’essentiel de la sociabilité, du travail et de notre dignité, voilà que nos cercles d’amitiés (et de lutte) se brisent aussi par l’émigration. Paris est décidément déjà trop loin, mais peut-être que nous nous rapprochons de Buenos Aires d’une façon ou d’une autre

* http://greekcrisisnow.blogspot.fr/2012/10/argentine.html#more

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