Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Europe

Grèce. Les élections du 21 mai ont été un « tremblement de terre politique »

Nous publions ci-dessous la traduction d’une tribune-résolution d’Antonis Ntavanellos, membre de la direction de DEA. Nous prolongerons cette contribution par un article d’ensemble. Néanmoins, pour appréhender le sens de la tribune publiée, est importante la connaissance des résultats des élections législatives du 21 mai, qui se sont déroulées selon un système proportionnel à un tour.

Tiré de A l’Encontre
25 mai 2023

Déclaration de Mitsotakis le 22 mai 2023. (KEYSTONE/XINHUA/Marios Lolos)

Par Antonis Ntavanellos

Dans la perspective d’obtenir une majorité absolue, Kiriakos Mitsotakis et la Nouvelle Démocratie ont décidé d’un nouveau scrutin le 25 juin. Il se déroulera selon le système accordant au premier parti un bonus parlementaire lui assurant une majorité absolue au parlement.

Participation 60,94% ; votes blancs 0,57%, votes invalides 2,04%.
Nouvelle Démocratie : 40,79%, 2 407 699 voix, 146 député·e·s
SYRIZA : 20,07%, 1 184 415, 71 député·e·s
PASOK : 11,46%, 676 135, 41 député·e·s
KKE (Parti communiste) : 7,23%, 426 711, 26 député·e·s
Elliniki Lysi (Solution grecque) : 4,45%, 262 513, 16 député·e·s
NIKI (Victoire – un courant réactionnaire de l’Eglise orthodoxe) : 2,92%, 172 201
Plefsi Eleftherias (Zoe Konstantopoulou) : 2,89%, 170 287
Mera25-Alliance pour la rupture (Varoufakis) : 2,63%, 155 073

Il faut souligner que le PASOK arrive en deuxième position, avant SYRIZA, dans six circonscriptions. (Réd. A l’Encontre)

*****

1. Mitsotakis a remporté une véritable victoire politique. L’ampleur de cette victoire a pris des dimensions inattendues en raison de la faillite politique de SYRIZA.

Le pilier social qui a soutenu cette réussite politique de la droite était la mobilisation de la classe dirigeante et des classes moyennes supérieures aisées, avec leur potentiel pour attirer à leurs côtés un secteur social plus large. La politique économique et sociale de Mitsotakis a permis une augmentation très forte de la profitabilité des grands groupes capitalistes, tandis que la distribution de 50 milliards d’euros de fonds européens et de 10 milliards d’euros de « commissions directes » (de l’Etat aux entreprises privées) a permis d’élargir encore plus la présence du « parti » de Mitsotakis dans les rangs larges des employeurs.

Le soutien de cette classe dirigeante à Kyriakos Mitsotakis n’a pas été une donnée d’avance, aisée. Au moment des échecs majeurs du gouvernement après 2019 (le bilan tragique de la pandémie, le scandale de la mise sous écoute de dirigeants politiques, l’accident de train mortel de Tempé), des questions et des doutes ont été soulevés quant au potentiel politique du leadership de Mitsotakis au sein de la Nouvelle Démocratie. Ces doutes ont pris la forme de préparatifs en vue d’un éventuel gouvernement de « consensus élargi ».

Ces considérations et préparatifs ont été mis en veilleuse, dans l’attente de l’épreuve de force électorale. Cependant, le sentiment de risques pour le capitalisme grec dans un avenir prévisible a poussé les capitalistes et leurs alliés sociaux à se rallier à Mitsotakis et à la Nouvelle Démocratie de manière plus déterminée. Cela en affirmant un soutien au parti qui insisterait sur les contre-réformes néolibérales avec le minimum de contradictions ou de réserves idéologico-politiques.

C’est sur cette base que Mitsotakis a construit une campagne électorale dure et robuste pour Nouvelle Démocratie. Il n’a pas caché son intention d’accélérer les contre-réformes néolibérales. Il n’a pas caché la construction du « mur » à la frontière terrestre avec la Turquie à Evros ainsi que le refoulement (push back) des bateaux de réfugié·e·s dans la mer Egée, la mise en œuvre massive d’un programme d’armement, etc. Il en a même fait un argument publicitaire de sa campagne politique. Elle a ainsi réussi à accumuler des couches électorales spécifiques et ciblées, principalement parce qu’elle ne s’affrontait pas à une contre-position forte et convaincante de la part de l’opposition, principalement de SYRIZA.

C’est ainsi qu’a émergé la perspective d’un nouveau mandat pour Mitsotakis avec une majorité parlementaire absolue, malgré ses offensives socio-politiques répétées et son mépris cynique pour toutes les questions liées au bien-être de la grande majorité des travailleurs et travailleuses et des classes subalternes.

2. La direction de SYRIZA a choisi d’essayer d’affronter Mitsotakis sur son propre terrain, en développant des éléments apolitiques et vagues répondant à une prétendue interrogation : qui est le plus « apte à la fonction gouvernementale ». SYRIZA a retiré de la bataille électorale toutes les caractéristiques, couleurs et symboles de la gauche. SYRIZA a évité toute référence de classe, préférant promettre des « solutions » gagnant-gagnant qui pourraient prétendument rendre « tout le monde heureux ». SYRIZA a minimisé tout engagement concret susceptible de mobiliser le monde du travail. Le choix très ambigu – mais central dans la campagne de SYRIZA – de revendiquer un gouvernement « progressiste-démocratique » est resté une nébuleuse brumeuse jusqu’à la fin, puisque Alexis Tsipras a évité de définir (ou d’essayer d’imposer…) tout contenu programmatique concret, même en s’adressant à l’interlocuteur le plus évident pour un tel objectif, c’est-à-dire le PASOK de Nikos Androulakis.

Tout cela a mis en évidence le principal handicap du SYRIZA d’Alexis Tsipras : la question de la crédibilité. N’a pas été pris en compte par les dirigeants de SYRIZA le « prix » de la trahison de 2015 [suite au référendum de juillet 2015 ayant abouti à 61,31% des votes opposés au plan de la Troïka] et des souvenirs amers des salarié·e·s et des retraité·e·s laissés par le gouvernement de SYRIZA en 2015-2019 (par exemple, la réforme réactionnaire des retraites par le ministre de l’époque, Georgios Katrougalos).

Le résultat final a été une démobilisation sans précédent du camp électoral de SYRIZA. Il y a eu un effet « rompez les rangs ! », qui a poussé SYRIZA en dessous des prévisions les plus basses données par les sondages, tandis que Nouvelle Démocratie a dépassé les prévisions les plus hautes, faisant des choix tactiques de Tsipras un facteur clé de la victoire politico-électorale substantielle de Mitsotakis.

Le fait que des centaines de milliers de personnes lui aient retiré leur allégeance politique – comme le montrent les sondages du 21 mai (exit poll) – conduit SYRIZA à une position politique différente : à partir des élections de juin 2023 (fixées au 25), la position de SYRIZA en tant que principale force de l’opposition sera contestée et remise en question.

3. Lors des élections du 21 mai, nous avons assisté au retour du PASOK en tant que force politique active. La dynamique de cette tendance sera jugée lors des élections du 25 juin, mais aussi par les développements au sein de SYRIZA, qui ne manqueront pas de se produire après les élections.

Il s’agit de fait d’un « sponsoring » par Alexis Tsipras du PASOK : après 2015 la tendance de SYRIZA à s’allier avec les sociaux-démocrates européens a effectivement renforcé le potentiel de survie de leur « branche » locale.

Le renforcement du leadership du PASOK sous la direction de Nikos Androulakis complique la relation entre les deux partis, mais seulement temporairement. Il ne faut pas sous-estimer les arguments soulevés à la fois au sein de SYRIZA et du PASOK sur la perspective d’une « recomposition sociale-démocrate ».

4.- Face à la politique sauvage de Mitsotakis, et malgré l’opposition atone et strictement centrée sur les élections de la part de SYRIZA, il y a eu d’importantes luttes populaires pendant le règne de la Nouvelle Démocratie : les mobilisations dans le système éducatif et sanitaire, les protestations contre la répression de l’Etat dans les quartiers, les écoles et les universités, quelques grèves victorieuses (à E-Food, à Cosco dans le port du Pirée, etc.), le mouvement massif après le crime de Tempé, etc. Ces luttes ont constitué l’opposition effective, l’adversaire le plus dangereux auquel Mitsotakis a dû faire face.

Les campagnes électorales de la gauche militante renvoyaient à cette force.

Le Parti communiste a enregistré une augmentation notable de son soutien par rapport aux élections de 2019. Il est passé de 299 500 voix et 5,3% à 425 000 voix et 7,23%. Objectivement, il s’agit d’une évolution encourageante, qui, nous l’espérons, persistera et se renforcera lors des prochaines élections. Mais si on le compare aux résultats passés du Parti communiste (comme les 536 000 voix et 8,48% du vote en mai 2012, qui a été la « porte d’entrée » de la période politique actuelle) ou si on prend en compte les pertes massives de SYRIZA, ce score électoral ne devrait pas être considéré comme satisfaisant. La force organisationnelle du Parti communiste devrait normalement pousser à des objectifs plus élevés et à des engagements plus importants en termes de politiques mobilisatrices de masse.
« MERA25-Alliance pour la rupture », malgré les sondages qui annonçaient le contraire, n’a pas réussi, de peu, à franchir le seuil d’entrée au parlement (3%). Nous espérons que ce résultat sera « corrigé » lors des prochaines élections du 25 juin.
Les forces d’ANTARSYA et d’autres listes électorales de la gauche radicale/anticapitaliste, malgré leur rôle actif dans les mouvements de masse, ont une fois de plus été réduites à simplement « enregistrer leur présence », en obtenant des résultats bien inférieurs à 1%, ce qui est considéré au minimum comme un seuil de « visibilité ». Cette tactique électorale, qui a été répétée à maintes reprises avec les mêmes résultats, devrait être réexaminée.
En ce qui nous concerne (DEA), nous aborderons la prochaine bataille électorale avec la même orientation politique que le 21 mai. Nous appelons à voter pour la gauche militante, dans le but de renforcer la partie de l’opposition qui peut soutenir au parlement les luttes de la classe laborieuse et les intérêts de classe de la majorité de la société.

5. La perspective politique qui a émergé des élections du 21 mai est une majorité gouvernementale pour le parti de droite de Kyriakos Mitsotakis. Il ne fait aucun doute que ce gouvernement sera dangereux et extrêmement agressif. En même temps, les résultats électoraux de l’extrême droite (plus de votes pour le parti Solution grecque, l’émergence d’un nouveau parti appelé Victoire, etc.) nous rappellent que les réserves ultra-réactionnaires du système sont toujours à l’affût.

Mais il ne fait aucun doute que ce gouvernement sera instable et vulnérable. 2024 sera un test difficile pour le capitalisme grec. Le rapport de forces social actuel dans la société grecque est celui qui s’est manifesté après le crime de Tempé, avec les protestations de masse et les grèves qui ont suivi. Cette réalité reviendra au premier plan dans le processus de lutte contre les politiques gouvernementales, au-delà de la lentille déformante des procédures électorales. Les analyses qui parlent d’une « conservatisation » [droitisation] ou d’une « orbanisation » [référence à la Hongrie de Orban] généralisée de la société grecque sont erronées ou politiquement déboussolantes.

C’est cette perspective de potentiel de lutte que nous devons renforcer lors du vote du 25 juin :
– Voter contre la Nouvelle Démocratie et Mitsotakis
– Ne pas faire confiance à SYRIZA et au PASOK
– Voter à gauche

Mais surtout, nous devons nous préparer dès maintenant à affronter la période difficile qui s’annonce avec une orientation militante vers la résistance sociale. Dans ce domaine, l’unité de la gauche dans l’action, dans les luttes sociales et politiques, sera la principale caractéristique de toute tactique sérieuse et honnête. (Tribune reçue le 25 mai 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre)

Antonis Ntavanellos

Un des porte-parole de DEA (Gauche ouvrière internationaliste), lors du congrès de « Fondation de SYRIZA » (Grèce). Le Courant de gauche de SYRIZA et Rproject (Red Network) – celui-ci composé de DEA, Kokkino et APO – constituent la Plate-forme de gauche.

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