Édition du 19 novembre 2024

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Europe

Entrevue de D. Stratoulis

Grèce : « Le gouvernement Tsipras met en pratique un nouveau pillage des retraites »

Interview de Dimitris Stratoulis sur les retraites pour le journal efimerida ton sindakton du 11 janvier 2016. Dimitris Stratoulis est un homme politique grec, membre du parti SYRIZA, en août 2015, l’un des fondateur de l’Unité populaire une scission de SYRIZA.

1- Dans quelle mesure le projet gouvernemental de réforme des retraites se rapproche-t-il de tout ce que défendait Syriza sur l’assurance sociale dans la première période de gouvernement, lorsque vous étiez secrétaire d’état à la Sécurité Sociale ?

La proposition gouvernementale sur les retraites est aux antipodes des déclarations programmatiques du gouvernement d’alors : les réductions de pensions devaient cesser, les recettes de l’assurance sociale devaient augmenter, son caractère public, universel, redistributif et solidaire devait être rétabli. L’actuel gouvernement Syriza-Anel ne met plus en œuvre ces engagements qu’il avait pris auprès du peuple, mais ceux du troisième mémorandum, pour de nouvelles réductions qui taillent en pièce les retraites principales, les retraites complémentaires et d’autres droits des assurés sociaux.

En tant que ministre responsable, J’avais alors présenté 96 modifications législatives, adoptées par le parlement, qui annulaient un grand nombre d’injustices à l’égard des assurés sociaux contenues dans les mémorandums. Mais le gouvernement Syriza-Anel, par la suite, s’est engagé dans le troisième mémorandum à les annuler. Depuis les élections, 14 d’entre elles ont déjà été annulées, et d’autres suivent.

2- En fin de compte, l’amputation des droits des retraités est-elle la voie unique de sauvegarde des retraites mises à mal ?

Le gouvernement met en pratique un nouveau pillage des retraites, non pour les sauver, parce que rien de tel ne peut se produire de cette façon, comme l’ont démontré les 11 précédentes réductions, mais pour appliquer ce à quoi il s’est engagé dans le troisième mémorandum : ôter 1, 8 milliards d’euros des poches des retraités, déjà appauvris, pour les offrir aux créanciers du pays.

Les problèmes de l’Assurance sociale n’ont pas pour origine ses dépenses élevées -puisque les pensions ont diminué de 30 à 50% pendant les années de mémorandum-, ils sont dus à la diminution de ses recettes, à cause des politiques d’austérité mémorandaire.

Par conséquent, elle ne peut être consolidées et revalorisée que grâce à la sauvegarde et à l’augmentation de ses recettes. C’est-à-dire à la condition que le chômage diminue, avec la fin des politiques d’austérité des mémorandums et la mise en œuvre d’un plan de développement et de reconstruction de la production.

A condition de frapper l’évasion fiscale et le travail non déclaré, de façon à économiser 8 milliards d’euros par an. A condition que les salaires commencent à augmenter, avec le rétablissement des conventions collectives et la réduction drastique des formes flexibles de travail au profit d’emplois stables et à temps plein. A condition que soit augmenté son financement par l’état en fonction de ses besoins et des obligations de l’état dans le cadre du financement tripartite.

A condition qu’elle soit recapitalisée, c’est-à-dire que soit remédié au pillage continu de ses réserves de liquidité par les gouvernements, les banques et le patronat. A condition que soit valorisé le reliquat de ses propriétés mobilières et immobilières en toute sécurité, sans recourir aux méthodes de casino. A condition que la dette publique soit radicalement annulée, pour rétablir les revenus publics nécessaires à son financement.

3- L’unification immédiate des caisses de retraite est susceptible de provoquer de l’instabilité dans les opérations, en particulier dans l’attribution des retraites. Dans quelle mesure l’idée que l’IKA ne peut encaisser le choc d’une unification immédiate de toutes les caisses avec son organisation est-elle exagérée ?

La création immédiate d’une super-caisse des retraites principales, au moment où les droits des retraités sont comprimés vers le bas, provoquera un chaos et une paralysie dans le fonctionnement et l’organisation ; elle mettra au supplice les employés et les assurés sociaux. Elle augmentera le délai d’attente pour l’attribution des pensions et dégradera leur niveau. La dissémination des déficits des caisses d’assurance les plus en difficulté aura des conséquences dramatiques pour toutes les retraites. Des changements organiques d’une telle ampleur se déroulent, ailleurs dans le monde, sur une période transitoire de 3 à 10 ans, après un dialogue avec les organismes des assurés sociaux, dialogue qui n’a pas eu lieu chez nous.

4- En fin de compte, le caractère redistributif de l’assurance sociale est-il renforcé avec la réforme proposée ?

La proposition gouvernementale rend définitif le basculement opéré dans les lois mémorandaires 3863/2010 et 3865/2010 qui impliquait sa suppression par l’éclatement de la retraite principale entre une retraite nationale et une retraite proportionnelle ; cela, pour mettre en application l’engagement découlant du 3e mémorandum de lier plus étroitement cotisations et prestations ; ce qui conduit à la transformation du caractère public, universel et redistributif de l’assurance sociale en un système de capitalisation et d’individualisation.

5- En fin de compte, quelle valeur accorder aux allégations du gouvernement selon lesquelles les petites retraites, loin de diminuer, enregistrent dans quelques cas une légère augmentation ?

La proposition gouvernementale n’est pas égalitaire, mais destructrice. Loin d’impliquer des augmentations pour les petites retraites, elle les appauvrit encore plus.

Jusqu’au 31/12/2019, elle supprime progressivement l’EKAS [Allocation de solidarité sociale pour les retraités NdT] pour les 300 000 petits retraités qui en sont bénéficiaires, en les amenant ainsi en dessous du seuil de l’extrême pauvreté, avec une diminution du revenu mensuel de 193 € en moyenne. D’une manière générale, elle frappe tout le peuple et la jeunesse, raison pour laquelle les résistances sociales auront les caractéristiques d’un rassemblement populaire et précipiteront les évolutions politiques.

6- Les responsables de Syriza ont été jusqu’à il y a quelques mois vos camarades. Aujourd’hui, des membres importants de Laïki Enotita parlent de Tsipras comme d’un traitre, ils considèrent qu’il devra rendre des comptes pour certains de ses choix, dont il est pénalement responsable, ils parlent d’une « junte mémorandaire ». La Gauche ne peut donc pas échapper à ses guerres civiles ?

Laïki Enotita n’est engagée dans aucune guerre civile contre qui que ce soit. Elle a engagé une rude politique d’affrontement avec les mémorandums de l’austérité, avec la tutelle humiliante des créanciers et avec les gouvernements qui les mettent en œuvre, indépendamment de la façon dont ils se définissent politiquement. Notre affrontement avec le gouvernement Syriza-Anel se situe dans la perspective du combat pour mettre fin à l’application des mémorandums, catastrophiques pour le peuple et le pays. Et il se situe surtout dans la perspective d’une autre voie, celle de l’application d’une politique alternative avec abrogation des mémorandums, annulation radicale de la dette et mise en œuvre d’un plan de redressement productif.

7- Personnellement, considérez-vous que Tsipras a trahi, ou bien qu’il a livré bataille, qu’il a été vaincu et qu’il a capitulé ?

Le choix politique du premier ministre de poursuivre les mémorandums au lieu de les renverser comme il s’y était engagé a transformé le fier NON du peuple et de la jeunesse lors du référendum du 5 juillet en un OUI humiliant. Nous considérons qu’il est catastrophique pour le peuple et le pays, mais aussi particulièrement infamant pour la gauche, au nom de laquelle le gouvernement opère des coupes dans les retraites, impose des politiques de racket fiscal et brade les infrastructures et la richesse publique.

8- Vous avez promis que vous déposerez un programme complet de sortie de l’euro, le fameux plan B. Quand sera-t-il prêt ?

Il est désormais démontré qu’au sein de la zone Euro aucune latitude ne nous est laissée pour mettre en œuvre un programme progressiste antimémorandum. Nous serions victimes du chantage à l’asphyxie financière avec la BCE pour instrument. Pour avoir la possibilité de l’appliquer, il faudra que la Grèce en parte.

Pour la survie de notre peuple, nous avons besoin de l’outil d’une monnaie nationale, pour conquérir une politique monétaire indépendante, grâce à laquelle nous pourrons soutenir et hausser le niveau des politiques sociales, renforcer les exportations, remplacer les importations par des produits locaux ; accroître la production agricole et le tourisme, financer le développement et le redressement productif.

La transition ne se fera pas sans difficultés, mais il n’y aura pas de catastrophe, comme le prétendent nos adversaires politiques. La catastrophe, c’est la poursuite des mémorandums. Lors de la conférence de fondation de Laïki Enotita, nous complèterons prochainement la présentation de notre proposition alternative.


Eric Toussaint en tant que coordinateur de la commission pour la vérité sur la dette grecque a rencontré Dimitris Stratoulis en mai 2015 afin de lui apporter un soutien dans son opposition aux exigences de la Troïka en matière d’attaques contre le système de pension. Voir : http://cadtm.org/Communique-d-Eric-Toussaint-suite

Bureau de presse de Laïki Enotita

Traduction du grec : Jean Marie Reveillon
Source : Unité Populaire

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