Édition du 19 novembre 2024

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Europe

Grèce : Au lendemain de la victoire électorale de Syriza : difficultés et problèmes

La victoire de Syriza est un espoir et une opportunité immense pour la gauche radicale et le mouvement ouvrier européen. On peut le dire aussi de façon inverse, un échec aurait des conséquences incalculables.

Quelques rapides commentaires sur les premières difficultés et problèmes.

Tout d’abord, Syriza a frôlé mais en fin de compte échoué à obtenir la majorité absolue. Son résultat final (36,3%) s’est situé dans la fourchette basse de ce qu’annonçaient les sondages sortie des urnes, celui de la Nouvelle Démocratie dans la fourchette haute. D’où un certain retournement d’ambiance dans le local de campagne et devant les Propiléa hier. Par ailleurs, pour avoir vécu beaucoup de soirées électorales dans le centre ville d’Athènes, je dois dire que celle-ci a mobilisé assez peu de monde comparée aux soirs de victoire du Pasok dans les années 1980-1990.

Même si les 8,5% d’écart avec la ND sont un résultat important, il faut rendre compte des raisons de cette dynamique de moindre ampleur qu’espérée. Les résultats laissent voire une tendance frappante : si, au niveau national, Syriza progresse de près de 10 points par rapport à juin 2012, ou aux européennes, sa progression est nettement moindre dans les grandes centres urbains (avant tout Athènes et Thessalonique), de l’ordre de six points. Ainsi, alors qu’en juin 2012, mis à part le département de Xanthi (où il avait bénéficié de l’appui massif de la minorité turcophone), son meilleur résultat était dans la très ouvrière et emblématique pour la « gauche rouge » 2e circonscription du Pirée, cette fois ce sont sept départements (dont d’anciens bastions du Pasok, notamment en Crète et dans le nord du Péloponèse) qui surclassent la ceinture industrielle du Pirée (où il passe quand même de 37 à 42%).

La poussée de Syriza s’est donc avant tout effectuée dans les zones rurales et semi-urbaines ainsi que dans les moyennes villes de province, dans une Grèce plus conservatrice et « légitimiste » dans son comportement politique. Son influence est maintenant plus homogène dans le pays, il apparaît comme un « parti de gouvernement » légitime, mais il lui a manqué cette dynamique qui aurait creusé l’écart dans les grandes villes et permis d’arracher les sièges manquant dans les méga-circonscriptions d’Athènes et de Thessalonique. Son profil électoral est désormais celui d’un parti plus « transclasse », sans les « aspérités » de 2012, moins nettement ancré dans les salariat des grandes centres urbains, même si son influence se situe à un très haut niveau et qu’il y obtient la plus grande part des ses voix.

Ce fait est sans doute à mettre en parallèle avec le fait que le KKE enregistre une progression, certes limitée (+1% par rapport à juin 2012), ainsi qu’Antarsya (qui passe de 0,33 à 0,64%), progression qui concerne essentiellement les grands centres urbains. Syriza a donc bien subi des pertes « sur sa gauche », pour une modeste part, et, surtout, n’a pas su mobiliser d’importantes réserves parmi les abstentionnistes (le taux de participation national reste modeste, de l’ordre de 64%).

Le nouveau gouvernement, dont la composition n’est pas connue à l’heure om j’écris ces lignes, se trouvera confronté à des difficultés proprement hallucinantes. Les caisses sont vides, plus que prévu, les recettes de l’Etat s’effondrent. Il apparaitra très vite que le financement prévu du « programme de Thessalonique » reposaient sur des estimations largement surévaluées, ou fausses, dont le but était de laisser croire qu’il était réalisable en réorientant (pour moitié) des crédits européens (qui sont fléchés, pour une part déjà attribués et dont le versement dépend de toute façon du bon vouloir de l’UE), et pour l’autre moitié par une meilleure collecte de recettes fiscales, sans réforme de la fiscalité et sans avoir recours à des déficits. L’orientation stratégique du gouvernement par rapport à l’UE reste également floue. Tsipras hier soir a voulu rassuré l’UE et les marchés, il a parlé de « dialogue sincère » et de « solution mutuellement avantageuse ». Le mot « dette » n’a pas été prononcé.

J’ai entendu hier avec sidération des camarades me faire l’éloge de Draghi, en le présentant comme un grand adversaire de Merkel et de Schauble et quasiment comme un allié de Syriza. Aujourd’hui le seul dirigeant européen dont le visage souriant orne la « une » du site officiel du parti left.gr est celui de M. Schulz, qui se propose de rencontrer Tsipras immédiatement. Il semble que des cercles du parti soient arriver à se persuader eux-mêmes de la validité de slogans de campagne du type l’ « Europe change », au sens de l’ « UE est prête à un compromis honorable avec nous ». Mais la perspective qui se dessine de ce côté est, dans le meilleur des cas, celle de contourner le Troïka pour « négocier » (ah, ce mot « magique » !!) directement avec les institutions de l’UE une version adoucie à la marge des Mémorandums.

Last but not least, M. Kammenos et son parti de droite souverainiste ANEL, qui sont sont certes un moindre mal comparé à des formations de type Potami, dont l’objectif affiché était de forcer Syriza de se mouvoir dans le strict cadre fixé par l’UE et les mémorandums. Néanmoins c’est un mal. Sa participation au gouvernement, fut-ce avec un seul ministère, signe la fin symbolique de l’idée du gouvernement de la « gauche anti-austérité ». Par ailleurs c’est un parti de droite, soucieux notamment de protéger le « noyau dur » de l’ appareil d’Etat (il faudra suivre avec attention le portefeuille qui lui sera attribué). Nul hasard si ses premières demandes étaient le ministère de la défense ou de l’ordre public. Il semble néanamoins qu’il ne les obtienne pas.

La marge de manœuvre est donc étroite mais les ambigüités n’ont qu’un temps. La société reste pour l’instant passive, mais les attentes sont très concrètes et très fortes. Une tâche redoutable attend les forces qui sont conscientes des dangers et déterminées à défendre les points clé du programme de rupture avec l’austérité qui est celui de Syriza. Plus que jamais il deviendra clair qu’entre la confrontation et le reniement l’espace est proprement inexistant.

Le moment de vérité est imminent.

Athènes, le matin du 26 janvier 2015

Stathis Kouvelakis

Stathis Kouvelakis est professeur de philosophie politique au King’s College de Londres, spécialiste de la Grèce

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