Depuis l’aveu le 22 juillet – au lendemain des élections sénatoriales et après plus de deux années de dénégation – de fuites quotidiennes de 300 tonnes d’eau contaminée dans l’océan, pas un jour ne passe sans l’annonce de nouveaux problèmes à la centrale ravagée par le séisme et le tsunami de mars 2011.
Samedi 31 août, l’entreprise admettait que des niveaux de radiation élevés avaient été enregistrés à proximité de réservoirs de stockage d’eau contaminée, sans pouvoir en expliquer la cause. Le niveau de radioactivité d’un réservoir – suffisant pour tuer en quatre heures toute personne qui y serait exposée – s’est avéré dix-huit fois supérieur à celui mesuré il y a dix jours.
Ces dernières révélations illustrent une nouvelle fois les difficultés de Tepco à gérer la pire catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl.
« Nos craintes deviennent réalité »
Lundi 2 septembre, Shunichi Tanaka, le président de l’Autorité de régulation du nucléaire (ARN), a qualifié la situation à la centrale de « particulièrement grave ». « Nos craintes deviennent réalité », a-t-il ajouté en évoquant les derniers chiffres de la radioactivité et appelant Tepco à travailler pour « identifier les risques à venir » afin de ne plus être pris au dépourvu.
Ses remarques suivent les critiques formulées par le gouvernement, qui a nationalisé l’entreprise en juillet 2012 en y injectant 1 000 milliards de yens (7,7 milliards d’euros), et par les pêcheurs, inquiets pour leur activité.
Le 26 juillet, Dale Klein, invité par le Japon à diriger la commission créée en 2012 pour la réforme du nucléaire, avait critiqué la gestion de la catastrophe. « Vous ne savez pas ce que vous faites », avait lancé l’ancien dirigeant de la commission américaine de régulation du nucléaire au directeur général de Tepco, Naomi Hirose. Avant de donner son verdict : « C’est plus de l’incompétence que de la dissimulation. »
Aujourd’hui, 91 % des Japonais souhaitent que le gouvernement gère directement la reprise en main de Fukushima.
« Doutes sérieux sur la capacité de Tepco »
C’est dans ce contexte que le 28 août, Hirohiko Izumida, le gouverneur du département de Niigata (nord), a appelé à « la liquidation » de l’entreprise. Ancien expert de l’énergie au ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie (METI), M. Izumida a des « doutes sérieux sur la capacité de Tepco à gérer des centrales nucléaires ».
Il se prononce contre le redémarrage de la centrale nucléaire de Kashiwazaki-Kariwa, installée à Niigata, sur lequel Tepco compte pour améliorer une situation financière délicate. Ses ventes ont atteint 5 976 milliards de yens (46 milliards d’euros) à l’exercice 2012-2013 clos fin mars, et ses pertes nettes 685 milliards de yens (5,3 milliards d’euros). L’arrêt des réacteurs nucléaires l’a obligée à augmenter la production d’électricité de ses centrales thermiques, ce qui a fait bondir la facture des combustibles fossiles. Si Kashiwazaki-Kariwa ne redémarre pas, la compagnie pourrait devoir augmenter ses tarifs de 8,5 % à 10 % dès janvier 2014.
La situation actuelle de Tepco contraste avec l’avant-Fukushima. L’entreprise, créée en 1951 après la privatisation du secteur de l’électricité, occupait alors une place enviable au Japon et faisait partie des premières compagnies mondiales d’électricité.
Outre un monopole régional et d’importants budgets publicitaires – notamment pour le nucléaire, l’une de ses priorités –, elle était l’un des gros contributeurs du Keidanren, la puissante fédération patronale japonaise. Depuis 1990, elle y disposait d’un poste de vice-président. L’actuel dirigeant de l’organisation, Hiromasa Yonekura, était d’ailleurs un proche de Tsunehisa Katsumata, président de Tepco jusqu’en juin 2012.
L’entreprise au cœur du « village nucléaire » nippon – très critiqué après Fukushima pour sa culture opaque et la collusion entre industriels, universitaires et hauts fonctionnaires – n’a jamais su se départir d’une certaine arrogance. La manière d’appréhender les incidents de Fukushima en est la triste illustration. Et, depuis le début de la catastrophe, dont la résolution prendra au minimum quarante ans et pourrait coûter 44 milliards d’euros, son attitude n’a guère changé.
« Mythe de la sûreté »
Le 20 juin 2012, l’entreprise a remis son propre rapport d’enquête sur la catastrophe. Conclusion : elle n’avait quasiment rien à se reprocher. Tout était de la faute du gouvernement qui s’était mêlé de ce qui ne le regardait pas.
Les dirigeants de l’entreprise niaient avoir dissimulé la moindre information, expliquaient que personne n’avait imaginé la possibilité d’un tel tsunami et affirmaient n’avoir jamais voulu évacuer le site au moment du drame.
Ils prétendaient également avoir envoyé dès le 13 mars (deux jours après le début de la crise) du personnel à Namie, ville proche de la centrale, pour expliquer la situation. Une affirmation contestée par le maire de la municipalité, Tamotsu Baba.
Les autres rapports sur la catastrophe de mars 2011 sont venus démonter son argumentaire. Le 23 juillet 2012, une étude gouvernementale déplorait une « trop grande confiance » dans le « mythe de la sûreté » des installations nucléaires. Quelques jours auparavant, la commission parlementaire (Naiic) avait critiqué Tepco pour avoir « évité de jouer la transparence » et avait noté que le milieu du nucléaire connaissait, dès 2006, le risque de rupture d’alimentation électrique – principale cause de la catastrophe – en cas de tsunami à Fukushima.
Ces critiques rappellent qu’avant mars 2011 Tepco avait déjà été ciblée pour ses dissimulations. En 2007, la défunte NISA, l’Agence de sûreté industrielle et nucléaire, aujourd’hui remplacée par l’ARN, signalait qu’entre 1978 et 2002 97 incidents, dont 19 jugés « critiques », avaient été cachés aux autorités. Ces affaires concernaient les dix compagnies d’électricité japonaise, mais Tepco était la plus critiquée.
En juillet 1987, la compagnie était de nouveau pointée du doigt pour des retards d’information sur un incendie et une fuite radioactive à la centrale de Kashiwazaki-Kariwa, après un séisme de magnitude 6,8.
De quoi douter de l’engagement pris par l’entreprise en mai 2012 de créer une « nouvelle Tepco », « assumant ses responsabilités » et « développant une culture de la transparence ».
* LE MONDE | 02.09.2013 à 12h26 • Mis à jour le 02.09.2013 à 17h40.