Édition du 18 février 2025

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Asie/Proche-Orient

Compte-rendu

Forum des peuples à New-Delhi

Du 2 au 5 mai 2013, s’est tenu à Greater Noida, près de New Delhi (Inde) un Forum des peuples à l’occasion du 46ième meeting annuel du conseil d’administration de la Banque asiatique du développement (BAD).

Le Forum des peuples était organisé par une série de mouvements sociaux, de groupes en lutte contre les projets de l’ADB (et d’autres institutions financières internationales) et de syndicats, en particulier l’Indian Social Action Forum (INSAF) qui regroupe plus de 700 organisations non gouvernementales, organisations de terrain et mouvements sociaux. Derrière le slogan « ADB Quit India !, ADB quit Asia ! », le People’s Forum voulait dénoncer les politiques néolibérales des institutions financières internationales et en particulier de la Banque asiatique du développement (BAD) et mettre en lumière les ravages causés par ces politiques.

Au nom de l’éradication de la pauvreté et du développement, la Banque asiatique du développement soutient une croissance économique basée sur des méga projets d’infrastructure, des zones spéciales économiques, des expansions urbaines, des zones industrielles, une agriculture intensive tournée vers l’exportation. Tous ses projets sont grands ouverts aux investissements privés. Au plan social, les résultats sont sans appels. L’éradication de la pauvreté et le développement des pays d’Asie ne sont que des alibis qui masquent une réalité bien plus crue : l’accaparement des biens communs et des ressources naturelles par des compagnies privées, une accumulation sans précédent des richesses dans les mains d’une minorité. Les politiques néolibérales sponsorisées par les institutions financières ont, en Asie comme ailleurs, renforcé considérablement les inégalités. Les riches sont de plus en plus riches et les pauvres sont de plus en plus dépossédés et marginalisés. Derrière « l’émergence économique de l’Asie » se cache une pauvreté massive et la destitution pour la majorité.

Dans le domaine de l’eau, de l’accaparement des terres, du changement climatique, du nucléaire, sur les questions paysannes ou les conditions de travail, sur la question des pauvres en milieu urbain… les luttes et les résistances en Inde sont nombreuses et combattives. Mais elles restent en grande partie isolées et diffuses et n’ont pas une analyse globale de la situation. De plus, étant souvent dirigés par de grandes ONG, les mouvements restent fragmentés. Le People’s Front against the IFIs se donne l’ambitieuse vocation d’unir dans un front politique, les différents mouvements de résistance locaux, mouvements sociaux, syndicats et partis politiques qui combattent les IFIs.

Le forum a enregistré la participation d’environ 250 à 300 représentants d’organisations (un peu moins que l’objectif visé de 350). Plusieurs raisons expliquent cette participation mitigée. Tout d’abord, comme pour toutes les rencontres internationales importantes depuis Gênes, celle-ci se déroulait dans une ville assez difficile à rejoindre. Greater Noida n’est pas desservie par les transports en commun…

Sur place, le gouvernement s’était arrangé pour qu’il n’y ait pas de jonction avec la lutte des paysans de Greater Noida. Dépossédés de leurs terres pour construire cette immense ville nouvelle, les paysans de Greater Noida luttent depuis plusieurs années sans succès. Quelques jours avant l’ouverture du sommet, pour éviter une mobilisation paysanne, le gouvernement a prétendu accepter toutes leurs demandes. Elles ont finalement été rejetées à l’issue de la semaine, quand le meeting de l’ADB s’est terminé, ce qui a amené les paysans à manifester le 4 et 5 mai.

Au niveau politique, les principaux syndicats de gauche sont prêts à dénoncer les institutions financières internationales mais ne veulent pas faire le lien avec les politiques mises en œuvre au niveau fédéral et dans les différents États car dans certains cas ce sont les partis de gauche qu’ils soutiennent qui étaient/sont au pouvoir. D’où peut-être peu ou pas assez de publicité à une échelle de masse. Enfin, les grandes ONG présentes ont privilégié la participation au forum officiel, où l’ADB entretient l’illusion d’un dialogue avec « la société civile » à travers des panels de discussions.

Il n’en reste pas moins que le forum a eu une très bonne couverture médiatique dans la presse écrite (notamment The Times of India, The Hindustantimes), et que des télévisions ont aussi fait le déplacement.

Des grandes pointures du mouvement social indien étaient aussi à l’affiche

Durant le meeting d’ouverture, auquel participait le CADTM, étaient invités Amit Bhaduri (professeur d’économie à JNU) et Medha Paktar (National Alliance of Peoples Movements connue pour son rôle dans la lutte contre les barrages de la Narmada). Ce meeting était présidé par Rajindar Sachar (avocat et ancien juge en chef de la haute cour de Delhi),
Vandana Shiva (Écologiste, féministe et écrivaine indienne) participait, quant à elle, au meeting de clôture.

Plusieurs syndicats et partis politiques de gauche ont envoyé des représentants de marque (secrétaire général, membre du bureau politique, membre du parlement) pour assister à un panel sur « les menaces que constituent les IFIs sur la Constitution indienne » et un panel sur « la question des privatisations » (PCI-ML-Libération ; PCI ; Parti Socialiste Révolutionnaire (RSP) ; Fédération syndicale HMS liée aux socialistes ; le syndicat AIUTUC liée au PCI ; Forward Bloc, Parti socialiste (SP) –parti au pouvoir en Uttar Pradesh dont Noida est une ville ; NTUI entre autres).

Au niveau international, à côté du CADTM-International, plusieurs membres de Jubilee South et de NGO Forum on ADB ont partagé leur temps entre les rencontres officielles de l’ADB et le Forum des peuples parmi lesquels des représentants des Philippines (Philippines Rural Reconstruction Movement), d’Indonésie (Debt Watch), du Sri Lanka (Centre for Environmental Justice/Friends of the Earth) et du Bangladesh (Krishok Federation et Humanitary Watch). Notons aussi la présence de militants d’Asie centrale (Socialist Party-Ata Meken du Kirghizstan et Center for Bird Lovers d’Arménie) et du Népal (Saap).

À noter parmi les moments importants du forum, une séance le samedi avec un ancien directeur de l’ADB, en charge de la gouvernance et des finances, viré il y a un an pour avoir dénoncé la corruption interne au sein de la Banque. Il était accompagné d’un avocat de la Cour suprême d’Inde (Kabir Dixit).

Le forum s’est conclu par une séance spéciale sur la construction du People’s Front et son agenda pour l’année à venir. Une nouvelle réunion nationale devrait se tenir en octobre.

Il est à noter que le Forum des peuples a sérieusement attiré l’attention des pouvoirs publics et du gouvernement. Il y avait partout autour du centre un nombre très imposant de policiers qui empêchaient toute tentative de manifester près du meeting de l’ADB. De plus, deux représentants officiels du gouvernement ont tenté de suivre les débats de la dernière séance sur la construction du People’s Front. Ils se sont fait recevoir et virer de la salle… Ultime manœuvre, le ministère de l’Intérieur a gelé le compte bancaire de l’INSAF, prétendant que ses activités étaient « préjudiciables et contre l’intérêt public ». Une campagne de soutien de l’INSAF est en cours.

Les documents rédigés pour le People’s front s (http://www.pfifi.org/) ont en ligne sur le site du People’s Front et sur le site du CADTM (http://cadtm.org) :

* 1. Political Economy of IFIs

* 2. Agriculture, Water and Climate Change Nexus : ADB’s New Found Mantra for Resource Exploitation

* 3. Water crisis in Asia : ADB’s Grand Design to Alienate People from
* Commons

* 4. Is the ADB accountable ?

* 5. Destructive Development : the ADB’s Privatization Agenda

Danielle Sabai

Journaliste indépendante et membre d’Attaque-France. Elle anime un blogue sur la politique en Orient (https://daniellesabai.wordpress.com)

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