Édition du 24 septembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Fermeture sauvage de l'usine Stadacona de Papiers White Birch : une confrontation décisive pour le pouvoir des ouvriers sur leur vie

La fermeture sauvage de l’usine Stadacona de Papiers White Birch a laissé les politiques pantois. Et ils sont nombreux parmi eux à retarder leur prise de position ou à s’élever dans des discours outrés qui montrent plus le peu de souci qu’ils ont portés aux signaux d’alarme de la bataille contre la ZLÉA et pour un véritable intérêt pour la cause des travailleurs.

Le Maire de la Ville de Québec, Monsieur Labeaume a parlé lui, par attaché de presse interposé, d’un geste « dégelasse », lui qui vient à peine d’arriver du Nord où il est allé chercher des contrats avec toute une équipe d’entrepreneurs. « Trouver des emplois ... », prétextera-t-il sans doute pour laisser tomber les ouvriers. Charest a promis l’intervention de son Ministre responsable de la Région de Québec, Monsieur Hamad, pour négocier avec l’entrepreneur « dégelasse », un « véritable requin » selon les propos d’un ouvrier sur la ligne de piquetage. Il délègue aussi son Ministre de l’Industrie. Ils se retrouveront en famille donc. À négocier. Qui peut être contre ? Ce qu’il s’agit d’évaluer cependant dans le contexte d’une crise mondiale, c’est la manière dont ces interventions pourraient se transformer en piège dont les filets se refermeraient sur les ouvriers eux-mêmes. On pense à la façon dont les Libéraux nous ont habitués à des négociations à l’échelle du monde avec différents pays pour se ménager des « niches écologiques » d’intervention en modes néolibéraux, i.e. en spéculateurs capitalistes comme le sont les propriétaires eux-mêmes de l’usine Stadacona.

La députée Péquiste Madame Agnès Maltais a réagi. Mais après toutes les pressions de la rue qui semble avoir ébranlé son mutisme.

Un geste de solidarité est venu des gars de la construction qui ont assisté à la réouverture de la roulotte de l’espoir qui sert d’abri aux cadenassés.

Donc, peu d’espoir d’intervention prioritaire de Charest ou de Labeaume. Leur lenteur morbide et la délégation des responsabilités dans le dossier à des subalternes, alors qu’ils sortent à peine négociations avec des patrons, jette un doute raisonnable sur leur crédibilité pour résoudre le sérieux problème à l’avantage des ouvriers. C’est le côté noir du capitalisme qui se manifeste encore une fois jusqu’au sommet de son appareil de gouvernance.

C’est dire comment s’élargit le terrain politique que la droite abandonne à la gauche. Du côté des ouvriers eux-mêmes, on ne perd pas espoir. Comme l’école de lutte qu’a été leur syndicat au fil des ans, un projet de coopérative semble faire son chemin parmi eux qui deviendrait un autre motif d’apprentissage sur la manière de gérer collectivement une usine qu’ils connaissent bien. L’environnement capitaliste mondial sera peut-être une entrave à leur projet mais, comme a dit le dramaturge allemand Berthold Brecht (le Robert Lepage des années trente), « ceux qui luttent ne sont pas assurés de gagner, mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu ». Les coopérateurs voient leur proposition comme un moyen de sauver leurs pensions tout en offrant aux ouvriers une meilleure maîtrise de leur destin.

Du côté de la hiérarchie syndicale, on évoque l’expropriation comme cela s’est produit à Terre-Neuve il y a quelques années dans un cas de fermeture de ce type. Il s’agirait alors d’une autre geste solidaire de tous les Québécois qui rendrait possible la préservation des emplois et la gestion public de l’usine grâce à la collaboration des ouvriers.

Somme toute, tout en mobilisant les institutions politiques du Québec, le syndicat est loin de jeter l’éponge ou de baisser les bras. Il reste aux côtés des ouvriers jusqu’à présent et manifeste une combativité hors du commun. C’est toute à l’honneur des syndicalistes pour lesquels l’hécatombe d’emplois, le pillage des ressources et le « vol de la caisse » appellent l’expropriation.

Notre député Amir Khadir s’est rapidement placé du côté des ouvriers. Sa prise de parole est aussi une source d’espoir. Et il s’est démarqué des politiques traditionnels tout de suite, avant même l’annonce de la fermeture. On a vu beaucoup d’ouvriers lui serrer solidement la main. Constatons qu’il se trouvait dans son élément.

Il est bien évident maintenant que c’est en premier en eux-mêmes que les ouvriers gardent confiance. Que ce soit par l’expropriation ou par la coopérative, que ce soit par l’intervention musclée de leurs représentants syndicaux ou de n’importe qui manifeste envers eux de la bonne volonté et de la solidarité, les ouvriers auront de multiples motifs de se mettre en mode apprentissage politique dans les prochaines semaines. Ce qu’ils apprendront fera partie du patrimoine de la classe ouvrière dans la région de Québec.

À cause même de notre projet socialiste, pourrons-nous nous tenir à l’écart de cette lutte pour des emplois durables, pour préserver les fonds de pensions sur lesquels de spéculateurs ont mis le grappin ou encore pour assister à l’émergence des ouvriers de Québec comme acteurs politiques de leur propre destinée ?

Disons que dans la tradition socialiste la prise en charge des moyens de production par les travailleurs est un objectif de première importance où les moyens de l’État et des syndicats devraient être mobilisés au nom d’une solidarité nationale qui relancerait justement cette épineuse question de la maîtrise de notre destin. Le mouvement ouvrier a souvent été dans notre histoire le porteur du projet de société qui assurait le mieux le pouvoir du plus grand nombre. N’allons surtout pas penser qu’il s’agit d’une question hors contexte. Qu’un patron étasunien « parte avec la caisse » devrait sonner l’alarme de toutes les forces nationales qui ne regretteraient rien de leurs engagements aux côtés des travailleurs spoliés par ce « requin » qu’a été leur patron.

Que Charest envoie ainsi son ministre de l’industrie « négocier » devrait aussi élever la vigilance de tous ceux impliqués dans ce combat de nature éminemment progressiste. Le coup de tonnerre de la fermeture ne semble pas avoir ébranlé, semble-t-il, la détermination des ouvriers. Quelque soit la solution qu’ils choisiront eux-mêmes, souhaitons que le soutien majoritaire de la population ébranle les politiques dans le peu d’implication qu’ils ont manifestée pour porter secours aux fonds de pension et au gagne-pain des papetiers.

Un autre souhait, répété celui-là, sera celui que les offres de médiation des personnalités politiques ne se transforment pas en éteignoirs de la colère des ouvriers et que leurs interventions ne fermera pas, derrière les salariés excédés, le piège d’une arnaque dont ils n’auraient pas soupçonné l’apparition autour d’eux.

Guy Roy

l’auteur est membre du collectif PCQ de Québec solidaire à Lévis.

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...