Tiré d’Entre les lignes et les mots
Comment cela s’explique ? La catégorie de la population qui va payer le plus lourd tribut avec cette réforme sont les personnes qui aujourd’hui peuvent partir à 62 ans à taux plein et qui devront demain attendre 64 ans pour le faire. Ce sont en grande partie des femmes, qui ont travaillé toute leur vie et ont des enfants.
On le sait, les hommes et les femmes ne sont pas égaux dans le monde du travail. Ces dernières sont notamment plus nombreuses à subir des contrats à temps partiels et à être concentrées dans des métiers peu valorisés, qui ne permettent pas de bénéficier des mesures « pénibilité », pensées pour les métiers majoritairement masculins. Elles sont aussi nombreuses à subir le harcèlement sexuel au travail qui impacte leur santé et leur carrière (32% des femmes). L’arrivée des enfants creuse sensiblement ces inégalités : l’articulation des temps de vie pèse plus souvent sur les mères, des promotions sont ralenties, des salaires stagnent et des carrières sont interrompues.
Un dispositif permet d’amortir en partie ces disparités de la vie professionnelle. En effet, pour les salariées du privé, chaque enfant permet d’acquérir 8 trimestres supplémentaires et donc d’atteindre plus rapidement le taux plein. Dans le public, chaque enfant donne droit à deux trimestres de bonification. Les inégalités sont amorties en partie seulement : les femmes touchent aujourd’hui une pension de droit direct inférieure de 37% à celle des hommes.
Avec cette réforme, les femmes perdent sur les deux tableaux : le temps et le montant.
Le dispositif de « trimestres validés pour enfants » permet souvent à des femmes qui ont assumé carrière professionnelle et éducation des enfants d’atteindre le taux plein dès 62 ans. Elles peuvent ainsi choisir de partir dès cet âge sans décote (malus) ou de continuer à travailler, en bénéficiant dans ce cas d’une surcote (bonus) de 5% par année supplémentaire.
La réforme ne leur laissera aucun de ces choix : elles seront obligées d’attendre 64 ans et ne bénéficieront plus de la surcote. En pratique, la réforme des retraites va donc supprimer l’équivalent de huit trimestres à des centaines de milliers de femmes chaque année. C’est les priver d’un dispositif qui visait justement à compenser – de manière largement insuffisante – les inégalités structurelles de carrière et de salaire. De fait, c’est comme si on comptait un enfant de moins.
Le gouvernement le sait et l’assume : le décalage de l’âge légal va peser mécaniquement davantage sur les femmes. Une injustice dont il n’a pas l’air de s’en émouvoir, tant son objectif est avant tout de faire des économies pour financer d’autres dépenses.
Bruno Le Maire l’a dit en juin dernier sur France Inter : « Nous voulons poursuivre la baisse des impôts et des taxes, pour cela il faut que collectivement nous travaillons davantage, c’est l’objectif de la réforme des retraites ». Pour rappel, les plus aisés ont déjà bénéficié de nombreuses baisses d’impôts, les entreprises françaises de 157 milliards d’euros d’aides publiques par an, les sociétés du CAC 40 ont distribué un montant record de 80 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires en 2022.
Ces milliards d’euros que le gouvernement souhaite donner aux entreprises, il va les prendre dans les poches des salarié·es, et majoritairement dans celles des femmes.
Toutes les femmes : celles qui vont devoir reculer leur âge de départ, celles qui vont subir des pénalités liées au passage accéléré aux 43 années de cotisations, celles qui ne sont pas incluses dans les dispositifs pénibilité ou carrières longues comme celles qui ne pourront bénéficier de la majoration pour les carrières complètes.
Plus de 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, les Françaises et les Français subissent de plein fouet l’inflation, les conséquences de l’épidémie, et les services publics alertent chaque jour sur leur manque de moyens. Dans ce contexte, le gouvernement fait le choix d’une réforme qui n’est pas nécessaire plutôt que de répondre aux urgences sociales ou climatiques. Et pour cela, il a décidé de s’en prendre aux femmes.
C’est incompréhensible.
Le 7 mars, à l’appel de l’intersyndicale, nous serons en grève pour obtenir le retrait de cette réforme. Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, nous serons dans la rue.
Pour l’égalité femmes – hommes, cette réforme doit être retirée.
Signataires :
Caroline De Haas, Cécile Duflot et Youlie Yamamoto.
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/280223/femmes-et-retraites-le-choc-s-annonce-rapide-et-brutal
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