C’est « le coût des grandes peurs de l’an 2011 ». La semaine passée, Dexia chiffrait le coût des lourdes chutes boursières des vendredi 5 et lundi 8 août à quelque 900 milliards d’euros en Europe et aux Etats-Unis. Depuis un mois, sur fond de croissance en berne et d’endettement des Etats, les marchés financiers semblent être devenus fous.
Les échanges de titres sont massifs, les hausses et les baisses significatives se succèdent en pleine séance. Fin de semaine dernière, une légère reprise a été enregistrée, mais qu’en sera-t-il ce mardi ? Les vagues ne sont certainement pas finies. Et le débat fait rage au sujet de ces Bourses considérées comme un indicateur de la santé réelle de l’économie. Ou comme un outil de spéculation.
Etienne de Callataÿ, Economiste en chef de la banque Degroof
NON « Elles sont un thermomètre »
Le Soir : Faut-il fermer les Bourses ?
Etienne de Callataÿ : Je n’aborderai pas la question sous cet angle-là. Il s’agit de savoir si l’on accepte un lieu d’échange des titres de propriété individuels d’entreprises. Je peux concevoir que des gens soient contre, mais cela me semble positif d’avoir un tel lieu centralisé dès lors que nous sommes dans une logique capitaliste. C’est même a priori une garantie que tout le monde obtient le même prix.
On pourrait se demander s’il faut une Bourse ouverte de 9 à 18 h. La réponse est non : elle pourrait n’ouvrir qu’un jour par semaine. Cela donnerait peut-être le temps de mieux digérer les informations, de mieux les analyser, de ne pas céder à la panique. Mais rien ne garantit que l’on n’aurait pas des mouvements encore plus brutaux.
Le Soir : Mais lorsque l’on voit ces centaines de milliards s’envoler en fumée…
Etienne de Callataÿ : Nous sommes dans des échelles importantes, c’est vrai. Mais cela a surtout un aspect redistributif. Quand les cours de Bourse sont élevés, c’est une bonne chose pour ceux qui peuvent vendre des titres et une moins bonne pour ceux qui les achètent. Mais on ne parle pas là de la richesse nationale…
Le Soir : Les valeurs bancaires ont été confrontées à des chutes importantes. On touche à quelque chose de vital, non ?
Etienne de Callataÿ : Cela va toucher le contribuable si l’Etat est propriétaire d’une banque, BNP Paribas par exemple. Cela induira aussi ce que l’on appelle un effet richesse négatif et un déficit de confiance : les gens, qui se sentent moins riches, consommeront moins. Oui, la Bourse génère de l’incertitude et ce n’est pas bon.
Le Soir : Est-ce aussi un indicateur qui met le doigt sur des dérives du système ?
Etienne de Callataÿ : C’est un thermomètre, le lieu d’expression des inquiétudes. Bien sûr, il y a de la spéculation, de la panique, des manipulations. Mais ces derniers temps, un message important est passé concernant le secteur bancaire. Je suis convaincu que la résolution de nos problèmes en Europe passera par la restructuration de la dette de certains Etats. Et dans ce cadre-là, il est légitime que les créanciers de ces Etats soient pénalisés.
Une solution durable à la crise souveraine sera à mes yeux une combinaison d’austérité budgétaire, d’intégration européenne renforcée et de justice en faisant payer la crise à ceux qui portent une plus grande responsabilité ou qui ont été rémunérés pour leurs risques. En anticipant cela, les Bourses font en sorte que la réalisation sera moins sévère. C’est intéressant en comparaison avec la crise de 2008, quand la chute de Lehman Brothers n’avait pas été anticipée.
Le Soir : Vous parlez de dérives, aussi. Faudrait-il mieux les encadrer ?
Etienne de Callataÿ : Oui. Un exemple : au moment de la bulle internet, on a vu des analystes financiers dire d’acheter telle entreprise tout en disant à leurs bons clients de la vendre. Ces comportements inacceptables appellent une réaction de l’autorité. On doit trouver des formules pour éviter la manipulation et protéger le petit épargnant. Mais il faut rappeler à ce dernier que la Bourse n’est pas vraiment faite pour lui. Agir en bon père de famille et placer son argent en Bourse, cela ne va pas ensemble.
Faut-il fermer les Bourses ? On peut tout à fait s’en passer.
Eric Toussaint, Président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde
Le Soir : Faut-il fermer les Bourses ?
Eric Toussaint : On peut tout à fait s’en passer. On irait mieux sans les Bourses telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui. Leur fonction initiale consistait à permettre à des entrepreneurs de collecter des capitaux pour renforcer leur entreprise. Or, on se rend compte depuis vingt ans que ce n’est plus le cas. Elles sont devenues le lieu de grandes spéculations organisées par les zinzins, le jargon du milieu pour dénommer les investisseurs institutionnels que sont les grandes banques, les assurances, les fonds de pensions. S’ajoutent à eux les fonds spéculatifs appelés en anglais les « hedge funds ».
Le Soir : Les Bourses se seraient déconnectées de la réalité économique ?
Eric Toussaint : Ce n’est pas qu’elles se sont déconnectées, c’est que la motivation des zinzins et des hedge funds, c’est de faire un maximum de bénéfices en faisant des opérations largement spéculatives. Leur seul souci, c’est de calculer le bon moment où ils entrent en Bourse et le bon moment où ils sortent. S’ils achètent des actions, ce n’est pas pour essayer d’entrer au conseil d’administration ou influer sur l’avenir de l’entreprise. Ces achats et ventes peuvent se faire sur quelques heures ou minutes.
Le Soir : Les défenseurs de la Bourse disent qu’il s’agit d’un indicateur important de l’état de l’économie réelle…
Eric Toussaint : Le discours passe-partout consiste à dire que la Bourse est le thermomètre, que l’on ne doit pas le casser. Je sais que ce sont des personnes très sérieuses qui le disent, mais elles se moquent du monde. La Bourse n’est pas le lieu où on mesure réellement la valeur du pétrole, d’une monnaie, des grains ou d’une entreprise. C’est faux de le dire. C’est une image d’un simplisme ahurissant et un discours idéologique pour justifier des instruments de spéculation.
Il faut être clair sur un autre aspect : ce ne sont pas les petits porteurs qui font la hausse ou la baisse des Bourses, ils interviennent pour un ou deux pour cent des opérations. Ce sont les zinzins, ainsi que les hedge funds et cela se passe notamment par des programmes d’ordinateur programmés pour réagir à tel ou tel paramètre. C’est comme un pilotage automatique d’avion qui ne voudrait pas rendre les commandes de l’appareil au pilote au risque que celui-ci s’écrase.
Il a fallu attendre cette énième crise pour que la Belgique se décide à suspendre enfin les ventes à découvert. Or, c’est quasiment le summum de l’opération spéculative. Et il ne faut pas oublier que quand on parle de pertes équivalentes à des centaines de milliards en Europe ces derniers temps, ce n’est que le solde. Il y a des opérateurs qui se sont enrichis pendant cette même période.
Le Soir : Ne pourrait-on pas plutôt revenir à la vocation initiale des Bourses ?
Eric Toussaint : Mais il y a de grandes entreprises privées qui ne cherchent pas à être cotées en Bourses et cela fonctionne très bien. On pourrait bien sûr réglementer les Bourses. Mais cela impliquerait d’interdire toutes les opérations spéculatives, y compris celles qui s’attaquent désormais, sur d’autres places financières également, aux matières premières et aux dettes des Etats. Sur le marché des devises, 98 % des opérations sont purement spéculatives !