Emmanuel Macron est assis derrière un bureau, posé sur une estrade. Devant lui, des centaines de journalistes et le gouvernement au grand complet. Chaque ministre a son petit carnet de notes sur les genoux et un stylo à la main. Il ne s’agit pas de rater une miette de ce que le président de la République va dire. Quelques minutes avant qu’il ne fasse son entrée dans la salle des fêtes de l’Élysée, certains évoquaient une mise en scène à l’image des conférences de presse données par le général de Gaulle en son temps. Mais sur place, l’impression est tout autre.
En regardant le chef de l’État dérouler son discours et ses politiques, on a surtout le sentiment de se retrouver au lycée, face à un professeur qui fait la leçon à des élèves qui n’auraient pas bien compris ce qu’il tente pourtant de leur expliquer depuis deux ans. Abordant d’emblée le sujet des gilets jaunes, qui réunissait tout le monde ce jeudi 25 avril, Emmanuel Macron a donné sa vision des cinq derniers mois de crise sociale et de l’évolution de la mobilisation.
Ce fut d’abord, selon lui, l’expression d’« une impatience que les choses changent plus vite, plus radicalement », puis très vite apparurent des « injonctions contradictoires », elles-mêmes remplacées par un mouvement « récupéré par les violences de la société, l’antisémitisme, l’homophobie, les attaques contre les institutions, les journalistes parfois, les forces de l’ordre », comme si toutes les personnes qui continuaient à se mobiliser ne portaient plus aucune revendication légitime.
Le président de la République a promis, comme il le fait depuis plusieurs semaines déjà, avoir entendu le « profond sentiment d’injustice fiscale, territoriale, sociale » et le « manque de considération » exprimés dans la rue, mais aussi dans le cadre du « grand débat ». Pourtant, il s’est de nouveau adressé un satisfecit dès les premières minutes de son intervention : « Est-ce qu’on a fait fausse route ? Je crois tout le contraire. Je crois que les transformations en cours [...] ne doivent pas être arrêtées parce qu’elles répondent profondément aux aspirations de nos concitoyens », a-t-il affirmé, expliquant que le sujet n’était pas tant le fond de son projet – dont il reste persuadé qu’il est le bon – mais plutôt la forme.
Ce « projet national » doit donc être « plus juste, plus humain », a-t-il poursuivi, sans que cela ne se traduise par des mesures formelles en ce sens. Pour retrouver de la « concorde », le chef de l’État préfère insister sur la nécessité de « redonner une espérance de progrès à chacun en demandant à chacun de donner le meilleur de lui-même ». « C’est ainsi que nous pourrons reconstruire ensemble très profondément ce que j’appellerais l’art d’être français », a-t-il ajouté, multipliant les grandes formules sans grand intérêt.
Une fois son discours passé, le jeu des questions-réponses avec la salle a pris le relais. Il s’agissait d’un exercice inédit sous ce quinquennat puisque Emmanuel Macron, qui a toujours voulu prendre le contre-pied de son prédécesseur François Hollande en matière de communication et de relation avec la presse, s’y était jusqu’alors refusé. Depuis une semaine, ses équipes promettaient une confrontation directe avec des journalistes prêts à poser toutes les questions qui fâchent. Ce fut finalement, à quelques exceptions près, une série d’interrogations psychologisantes sur les états d’âme ou les petites phrases du président de la République.
Ainsi ce dernier a-t-il pu expliquer, avec le ton et les silences appuyés qui conviennent à ce genre de confessions, à quel point « ce moment » – la crise sociale donc – l’avait « changé ». « Je n’ai pas découvert notre pays avec ce grand débat, mais j’ai pris conscience de l’épaisseur des vies », a-t-il assuré. Emmanuel Macron aura aussi eu tout le loisir de répéter encore et encore que ses petites phrases ne sont pas le reflet de son arrogance, mais qu’elles sont perçues comme telles uniquement parce qu’elles sont sorties de leur contexte. « Vous ne m’aidez pas », a-t-il lancé aux journalistes, en guise de remontrance, oubliant un peu vite que dans « contre-pouvoir », il y a « contre ».
Au regard de la conférence de presse qui se tient sous nos yeux, on pourrait presque le comprendre. Dans la salle, des rires fusent. Tout est extrêmement feutré et policé. Il y a là des centaines de journalistes et pourtant, pas une seule question sur la liberté de la presse ne sera posée. De même que rien ne sera dit des violences policières, malgré les centaines de blessés, de mutilés recensés depuis cinq mois. En revanche, on aura voulu savoir comment le président de la République se sentait, s’il avait changé, s’il pensait déjà à se présenter pour un deuxième mandat. Que du très passionnant, en somme.
Il fallait donc se pencher sur les mesures concrètes pour essayer de tirer quelque chose de cette conférence de presse. Mais in fine, elles furent peu nombreuses. Sur le plan institutionnel, Emmanuel Macron a fait le catalogue des possibilités évoquées dans le grand débat et en a évacué la plupart. Le vote obligatoire (une option pourtant peu entendue) ? Trop contraignant et inefficace, donc refusé. Le décompte du vote blanc ? Pas question, parce que c’est une « solution de facilité ».
« On a toutes les voies dans la période que nous vivons mais “blanc” ne résoudra aucun problème. Monsieur X, Mme Y, oui ! Qu’on soit d’accord ou pas », a-t-il résumé. Option rejetée. Le référendum d’initiative citoyenne ? Évacué, même au niveau local, alors que cette possibilité était dans le discours qui devait être prononcé le 15 avril prochain. Il faudra se contenter d’un simple droit « d’interpellation ».
Pour le reste, ce sera donc principalement la réforme constitutionnelle qui était déjà prévue : introduction d’une part à définir de proportionnelle (Emmanuel Macron se dit favorable à « 20 % ») aux législatives, réduction du nombre d’élus, renforcement de la procédure de référendum d’initiative partagée avec possibilité de l’activer pour un million de citoyens et réforme du Conseil économique, social et environnemental (CESE), avec une nouveauté bien peu déterminante : la présence de 150 citoyens tirés au sort dans la troisième et fort peu écoutée assemblée de la République.
C’est donc une réponse a minima que le chef de l’État a faite aux aspirations démocratiques qui se sont exprimées depuis cinq mois. Il a affirmé vouloir parallèlement redonner du pouvoir aux maires avec un « nouvel acte de la décentralisation » qui devra clarifier les compétences et redonner de la responsabilité et des financements aux élus de terrain.
La réforme de l’administration publique d’État devra aussi passer par plus d’emplois sur le terrain et « moins à Paris ». Le président de la République a confirmé la généralisation des maisons de services publics baptisées « Maisons France Services » et qui assureront un contact minimum à moins de trente minutes de chaque Français. Mais rien n’est dit sur les éléments concrets de ce redéploiement qui, comme on le verra, pourrait bien servir de caution à de larges coupes dans les services rendus.
Sur le climat, on en est resté à des effets d’annonces, notamment la création d’un « conseil de défense écologique » que le chef de l’État présidera. Mais pour le concret, il faudra encore attendre… En revanche, Emmanuel Macron a profité de l’occasion qui lui était donnée pour développer sa volonté de « réaffirmer les permanences du projet français », à savoir « la famille », « l’engagement » ou encore « la laïcité ». Convoquant l’« islam politique », puis « les limites et les frontières », le président de la République a rapidement pris des accents vallsistes et sarkozystes, qui ont définitivement enterré son « et de droite et de gauche ».
« Il faudra travailler plus »
En matière économique et sociale, le « nouvel acte » promis ressemble à s’y méprendre au précédent. Le président de la République a prévenu d’emblée : il est persuadé que sa politique de « transformation », nom choisi par l’exécutif pour les réformes structurelles néolibérales du pays, porte ses fruits. Il en a donné des preuves, bien peu convaincantes au reste : les créations d’emplois, la « reprise » de l’investissement et la croissance plus forte en France qu’en Allemagne.
Pour le reste, il ne s’agit que d’attendre. « On a fait des choses qui ne se voient pas tout de suite », a indiqué le chef de l’État. Argument classique qui accompagne toujours ces réformes et qui permettent de faire patienter ceux qui en subissent directement les conséquences. De ce fait, affirme-t-il, « les transformations ne doivent pas être arrêtées […] parce qu’elles sont justes ». La messe a été dite dès son propos liminaire : le cœur du projet ne sera pas modifié. Pas question donc de revenir sur les réformes engagées : fonction publique, marché du travail, retraite, défiscalisation du capital…
Quitte à prendre des distances avec la réalité car, depuis deux ans, les emplois créés et l’investissement ralentissent, tandis que la croissance supérieure de la France en 2019 ne sera due qu’à sa capacité de mieux résister en période de basse conjoncture grâce à ses « stabilisateurs automatiques », auxquels s’ajoutent les décisions arrachées par les gilets jaunes. C’est donc une croissance supérieure parce que les autres baissent plus vite que la France. Bref, rien à voir avec les « transformations »
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Mais ce raccourci permet de justifier le refus de bouger sur le salaire et notamment sur le Smic. Emmanuel Macron a refusé de bouger de ce point de vue, au nom de la sacro-sainte compétitivité, estimant qu’il « détruirait des emplois » en relevant le salaire minimum. Une vision très contestée aujourd’hui par les économistes, alors qu’une étude récente vient de montrer combien la compétitivité ne dépendait pas du niveau absolu des salaires français. Le président de la République a alors ouvert un contre-feu en indiquant que le « problème du pouvoir d’achat n’est pas un problème de salaire, mais un problème de dépenses contraintes ». Mais le gouvernement ne fait rien de concret pour réduire ces dépenses, notamment en matière de logement et de transport.
Quant à la réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), il a ainsi renvoyé à une « évaluation l’an prochain » dont on peut d’ores et déjà savoir qu’elle sera soit sans objet, soit positive. L’évaluation du CICE a montré combien ces exercices étaient biaisés : malgré des résultats extrêmement décevants (pas d’impact sur l’investissement et sur la compétitivité et, au mieux, un très faible impact sur l’emploi), personne n’a remis en cause ce dispositif, au prétexte qu’il faudrait attendre encore… C’est sans doute un mécanisme de ce type qui viendra justifier le maintien de la réforme de l’ISF.
Bref, rien ne changera donc réellement. À deux nuances près. La première, c’est qu’Emmanuel Macron cherche l’apaisement avec les retraités. Il a confirmé la réindexation des retraites de moins de 2 000 euros sur l’inflation dès 2020 et de l’ensemble des pensions à partir de 2021. Une correction d’une mesure prise pour des raisons budgétaires cette année. Ensuite, le gouvernement assume désormais plus pleinement sa volonté d’acheter l’adhésion aux réformes par des baisses massives d’impôts. Une stratégie in fine relativement logique : ces baisses d’impôts affaiblissent les recettes fiscales et donc justifient des baisses massives de dépenses publiques et de réformes structurelles.
L’analyse d’Emmanuel Macron est que le pays est « en colère » en raison de cette transformation : il faut donc les « accompagner ». Ainsi, la grande annonce de cette conférence de presse sera la baisse « significative », estimée à 5 milliards d’euros par Emmanuel Macron, de l’impôt sur le revenu. Ce dernier a laissé au gouvernement le soin d’annoncer le détail de ces mesures alors qu’était à l’étude l’introduction de nouvelles tranches dans cet impôt. Une chose seule est sûre : cette baisse sera concentrée sur les classes moyennes qui, par ailleurs, ont déjà largement bénéficié de la réduction des cotisations salariales et de la baisse complète annoncée de la taxe d’habitation.
Inévitablement, il faudra financer ces immenses baisses d’impôts. Et Emmanuel Macron a esquissé les moyens de le faire. D’abord, une réduction des niches fiscales pour les entreprises (qui, rappelons-le, bénéficient parallèlement de fortes baisses de cotisations et de la baisse de l’impôt sur le revenu) dont il faudra connaître le montant. Puisque le président de la République prétend défendre la compétitivité et a affirmé encore en faire un point central de sa politique, elles devraient sans doute être limitées. Et les entreprises ne seront d’ailleurs pas les seules à financer ces baisses d’impôts.
Emmanuel Macron a prévenu qu’il faudra aussi « travailler plus ». S’il a écarté une remise en cause des 35 heures (déjà largement remises en cause par sa réforme du marché du travail), la suppression d’un jour férié ainsi que l’allongement de l’âge légal de départ à la retraite, il a indiqué que la réforme future des retraites devra « inciter » à partir à la retraite plus tard. Là encore, on voit combien les baisses d’impôts conduisent aux réformes, et inversement. Mais la clé de ce financement sera ailleurs : ce sera la baisse des dépenses publiques. Elle sera là aussi sans doute détaillée plus tard. Mais elle devrait être particulièrement douloureuse car la marge de manœuvre de ce point de vue sera extrêmement réduite.
Si le chef de l’État s’est engagé à ne plus fermer d’écoles et d’hôpitaux, il a prévenu que cela ne signifiera pas qu’il n’y aura plus de « réaménagement ». De même, sur le nombre de fonctionnaires, le chef de l’État est resté très flou sur l’objectif. Certes, il a admis qu’il pourrait abaisser son objectif de 120 000 fonctionnaires de moins sur le quinquennat, mais il a renvoyé la décision à l’été, autrement dit lorsque l’on aura évalué le montant des niches fiscales supprimées. Au bout du compte, il a promis d’en finir avec les « entités inutiles », laissant supposer que ces coupes pourraient être indolores. Mais rien n’est évidemment moins sûr.
Bref, les Français paieront donc la baisse de l’impôt sur le revenu, une baisse dont il faudra examiner si elle profitera aussi aux plus riches, ceux qui paient le plus un impôt qui est le plus (et sans doute authentiquement le seul) redistributif du système fiscal français. Ce nouvel affaiblissement renforcera encore le caractère proportionnel de ce système fiscal. Car la lutte contre les inégalités est restée très en retrait, si l’on exclut la mesure (gratuite pour l’État) de garantir le paiement des pensions alimentaires.
D’ailleurs, aucun engagement n’a été pris sur l’indexation des prestations sociales, désindexée cette année et sans doute aussi l’an prochain. C’est que pour le président, les vraies inégalités sont « des inégalités de destin », a-t-il à nouveau déclaré. Et pour les corriger, il a annoncé une limite de 24 élèves par classes de la maternelle au CE1. Ainsi, bien entendu que la très contestée réforme Blanquer. Rien d’autre.
En fait, le président de la République s’est montré encore très sûr de son fait. Il n’a cessé de marteler que son gouvernement avait déjà « beaucoup fait » et continuerait comme avant : sur le climat, sur la lutte contre la pauvreté, sur l’école, le propos d’Emmanuel Macron s’est souvent limité à une redite des politiques engagées et à de nombreux satisfecit. Moins qu’un « nouvel acte », c’est bien plutôt une correction de méthode. Le chef de l’État entend rétablir la logique, qu’il avait un peu perdue, de sa campagne présidentielle : mener tambour battant la transformation néolibérale du pays en espérant que les baisses d’impôts permettent de ramener le calme avant que ne se réalise son espoir de plein emploi qu’il a réaffirmé pour 2025.
Redorer son blason « social-libéral », en quelque sorte en écoutant l’aile gauche de ses conseillers économiques (Jean Pisani-Ferry, Philippe Aghion) sans désespérer son aile droite par des promesses de réduction des dépenses publiques. Avec le risque de décevoir tout le monde, une nouvelle fois. Finalement, le grand débat n’aura accouché que d’une souris : celle de confirmer que Macron est dans Macron.
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