Le Comité de l’Évaluation Environnementale Stratégique sur les Gaz de Schiste a mis en ligne une version pour commentaires, de son plan d’action pour la durée de son mandat : Plan de Travail de l’ÉES.
Comme le Plan d’Action contient en fait tout ce que l’ÉES fera et donc toutes les retombées qui en résulteront, il est important de l’examiner avec soin et avec toute la rigueur scientifique requise, ce qui est fait dans ce document.
Dans ce texte seront analysés et commentés plus spécifiquement les aspects géo-techniques, hydrogéologiques et certains coûts qui en découlent. L’analyse se fait en référence aux pages du Plan d’Action de l’ÉES :
p. 10 : Le Plan de l’ÉES annonce de très belles intentions : "l’acquisition de connaissances scientifiques et techniques permettant de soutenir la réalisation de l’évaluation environnementale stratégique" mais le contenu de cette ébauche de plan d’action ne contient pas que cela. À la page suivante un des points du mandat "• L’évaluation des impacts et des risques environnementaux et la définition des seuils d’acceptabilité et des méthodes de mitigation appropriées." contient deux expressions qui ne relèvent pas de l’acquisition de connaissances scientifiques ou techniques, et qui hélas prennent une place prépondérante ensuite dans toute l’articulation du plan de travail qui suit. On se penche beaucoup trop sur la problématique d’acceptabilité et les méthodes de mitigation pour favoriser l’acceptabilité à chacune des étapes d’une mise en exploitation du shale d’Utica. L’ÉES doit utiliser ses fonds pour l’acquisition de connaissances scientifiques, celles requises pour protéger les intérêts de la population et laisser aux industriels le travail de trouver comment opérer et comment contourner l’opposition populaire ; ils ont déjà beaucoup de personnes qui travaillent sur cela.
p.14 : Les principes directeurs sont excellents, notamment,
• … transparence et … diffusion des résultats de toutes les études réalisées.
• … contributions d’intervenants de tous types et de tous secteurs…
• … enjeux environnementaux, économiques et sociaux majeurs en s’inscrivant dans une perspective de développement durable…
• Analyser plusieurs scénarios de développement de la filière, incluant un scénario « aucun développement »...
Notons cependant qu’il suffirait déjà de se référer aux principes de développement durable pour arriver à l’option "aucun développement". En effet, exploiter un combustible fossile non renouvelable ne pourra jamais, même en tordant les principes au maximum, être du développement durable. Ces principes se retrouvent aussi énoncés dans les objectifs (2.1.1 en page 18) et l’option de refus complet de l’exploitation est à nouveau énoncée comme une possibilité. C’est à noter. Mais pour les autres options, celles où l’industrie serait éventuellement autorisée à aller de l’avant, cela ne pourra se faire qu’en suspendant spécifiquement l’application de la loi sur le Développement durable, adoptée en 2006. L’ÉES pourra se pencher sur les motifs d’exception qui permettraient de justifier une telle dérogation extraordinaire. Aux USA, l’industrie a pu démarrer après avoir obtenu des dispenses exceptionnelles aux lois sur la protection de l’eau et de l’air, pour des motifs invoqués d’indépendance énergétique et de sécurité nationale ; ce furent là-bas des concepts considérés importants, mais pas nécessairement transposables ici. L’ÉES devra avoir analysé et trouvé des motifs exceptionnels pour recommander, le cas échéant, la poursuite de l’activité d’exploitation de l’Utica. Évidemment pour justifier une telle recommandation, l’ÉES devra aussi analyser très sérieusement les alternatives énergétiques (bio-méthane, énergies renouvelables, etc), ou encore démontrer pourquoi l’approvisionnement actuel en gaz naturel de gisements conventionnels devrait être impérativement remplacé.
p.21 : Il est extrêmement important de garder en mémoire les 16 principes du développement durable, notamment ceux de prévention et précaution, lorsqu’on analyse une technologie aussi nouvelle et incertaine quant à ses effets à moyen et à long termes. Autoriser l’implantation d’une technologie nouvelle, à risques encore largement inconnus, contrevient directement au principe de précaution. Envisager d’arriver en fin d’exploitation à avoir 20000 conduits reliant la couche de shale d’environ 2000 milliard de mètres cubes nouvellement fracturés, et les nappes en surface, heurte de plein fouet le principe de prévention du risque, car on créerait alors de toutes pièces un tout nouveau risque énorme pour l’alimentation en eau des villes, villages et zones agricoles sur 10 000 Km2.
p.23 : Dans les techniques de recherche on lit : "le Comité examinera l’ensemble des demandes de certificat d’autorisation pour du forage dans le schiste ou pour des travaux de fracturation soumises au ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs dans le cadre de l’application de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement afin d’évaluer si elles contribueront à l’acquisition de données scientifiques et techniques utiles à la réalisation de l’évaluation environnementale stratégique". ATTENTION Ce sera ici un véritable test pour la crédibilité de ce comité ÉES. L’industrie, par la voix d’un de ses plus volubiles représentants, a déjà exprimé publiquement que l’ÉES au Québec est une opération destinée à informer et à rassurer la population ; il a ajouté que’" nous n’avons aucune attente qu’en étudiant six puits au Québec dans les prochains deux ans nous obtenions rien que nous ne connaissons pas déjà avec les 40000 puits déjà forés…"(réf. 1). M. Binnion a parfaitement raison sur ce point. Par contre le gouvernement a laissé cette porte ouverte, dès la création de l’ÉES. Tout forage et/ou la fracturation de nouveaux puits aurait des effets immédiats sur la valeur des permis détenus. En génie minier, quant un forage "prouve" les réserves minières sur une propriété, la cie qui détient les droits miniers voit immédiatement la valeur de ses actions monter. Les cies gazières qui n’ont pas encore valorisé leurs titres miniers de cette façon vont possiblement tenter de le faire dans les prochaines mois ou années. Le prétexte de recherche scientifique constituera le cas échéant une couleuvre difficile à avaler. On verra comment l’ÉES jouera sa crédibilité sur ce point.
p.24 : La crainte exprimée au paragraphe précédent n’est pas futile, car le plan de l’ÉES énonce ceci, dès la page suivante : " les entreprises n’ont pas actuellement en main suffisamment de données d’exploration pour délimiter le gisement gazier et établir son potentiel, deux éléments indispensables" … "il est impératif de déterminer : • les zones d’exploitation et le potentiel gazier de ces zones" Sans même avoir encore entrepris la pertinence de développer la ressource, l’ÉES annonce qu’elle reprendra à son compte ce type d’étude au profit des entreprises. Or les zones d’exploitation du shale d’Utica sont identifiées et cartographiées depuis des années par le MRNF. Les entreprises font à l’étape actuelle, essentiellement du développement : le forage de puits et la fracturation sont du développement, pas de la recherche, ce que reconnaît pour la première fois, et à juste titre, ce document gouvernemental :
Les analyses de l’Évaluation environnementale stratégique (ÉES) requièrent de s’entendre sur la nature exacte des activités prévues. Pour ce faire, le comité rédigera une description détaillée d’un projet type qui proposera une compréhension commune des ouvreages requis pour chacune des quatre phases de réalisation d’un projet des gaz de schiste (exploration, développement, exploitation, fermeture).
Plan ÉES, dernier paragraphe de la page 23.
Sous prétexte de délimiter plus en détails le potentiel de chaque zone, on semble vouloir satisfaire les entreprises en leur permettant du développement (forage et fracturation éventuellement). On peut estimer le potentiel gazier sans faire des nouveaux forages et de nouvelles fracturations qui, comme le dit M. Binnion, ne nous apprendraient rien en termes de connaissances scientifiques. Encore là, l’ÉES jouera sa crédibilité selon les choix qui seront faits. Ils ne sont pas décrits ici plus en détails dans le plan de travail.
p.26-27 : L’ÉES traite ici des eaux souterraines ; le BAPE a souligné la grande déficience en cartographie hydrogéologique. Les cartes isopièzes fournissent une information cruciale pour suivre les directions de l’écoulement de l’eau souterraine, son débit, les temps de parcours, les zones de grande vulnérabilité, etc. En cas de fuites et de contamination accidentelle, ces informations sont cruciales. Or ces cartes sont soient inexistantes dans les Basses-Terres, soit inadéquates (sans courbes isopièzes) et datent de plusieurs décennies. La question la plus préoccupante dans l’éventualité de l’exploitation du shale d’Utica est la question du risque que cela faire courir aux nappes phréatiques et aux puits artésiens. La majeure partie des moyens proposés traite dans ce chapitre des eaux sous d’autres aspects, beaucoup plus en rapport avec les besoins de l’industrie : évaluation des quantités requises par l’industrie, questions relatives à la disposition des eaux usées de fracturation, etc. On passe tout à fait à côté de l’acquisition de connaissances scientifiques hydrogéologiques sur les nappes elles-mêmes dans les moyens à mettre en œuvre ; notamment, on ne pense même pas combler les graves lacunes identifiées par le BAPE quant à la connaissance de ces nappes, leur cartographie, les directions, gradients et vitesses d’écoulement, les carte de vulnérabilité, les aires de captages à protéger, etc. Le mémoire des hydrogéologues du GRIES déposé au BAPE (DM103) mentionne aussi qu’il est impératif de connaître les nappes entre la zone superficielle ayant fait l’objet des programmes habituels d’étude et les zones profondes où auront lieu la fracturation. L’ÉES dans ce plan de travail ne prévoit aucune étude pour combler ces lacunes en cartographie hydrogéologie. Pourtant le BAPE a explicitement indiqué qu’aucun puits d’exploitation ne devrait se faire dans les zones où ces données n’ont pas encore été étudiées. L’ÉES doit se recentrer sur cela, plutôt que de se lancer prématurément, et presqu’exclusivement, sur les besoins en eau de l’industrie pour fracturer le shale.
p.28 : Envisager la possibilité d’exploiter l’eau souterraine pour les besoins de l’industrie du gaz de schiste ? Quelle idée saugrenue au Québec. Faire des forages pour alimenter d’autres forages entraînera une multiplication des voies de communications des profondeurs vers la surface. Une autre lacune importante dans les connaissances actuelles vient du fait que les projets PACES ne permettent l’acquisition de connaissances que sur une portion superficielle des terrains. Le plus souvent, les études hydrogéologiques se limitent à moins de 100 m sous la surface, soit la zone généralement exploitée pour l’eau souterraine. On sait que l’exploitation des gaz de shale doit se faire à des profondeurs de 1000 m ou plus. La tranche de terrain allant de 100 à 1000 m contient certes de l’eau et d’autres fluides, mais elle n’est présentement pas soumise à des études hydrogéologiques régionales. Ainsi, les échanges dans le socle rocheux entre les eaux souterraines superficielles et les eaux plus profondes, soit dans la zone d’exploitation des gaz de shale, sont des éléments pour lesquels très peu de données sont disponibles. Les données recueillies par l’industrie dans ses travaux d’exploration seraient fort utiles pour mieux comprendre la dynamique hydrique des formations entre 100 et 1000 m. Il s’agit ici de trouver un juste milieu entre la protection des données de l’industrie et une gestion collective responsable de la ressource. D’autres initiatives d’acquisition de connaissances pourraient viser à étudier la dynamique de ce système.
p.28 : Mention aussi de "recours à des technologies alternatives de fracturation n’employant pas d’eau". Laissons les industriels faire la recherche et la démonstration que ces alternatives sont sécuritaires. Cette recherche se fait à grands frais dans le monde ; c’est encore à titre expérimental (fracturation au propane, arc électrique, par exemple) et cela mettra des années avant de s’implanter à plus grande échelle. C’est de la poudre aux yeux que de citer cela dans le plan de travail : il est illusoire de penser trouver une alternative technique spécifique pour le gisement Utica du Québec.
p.29 : Pour l’importante question de la protection des nappes, le texte débute en citant une étude " réalisée par l’état de New York conclut que les techniques de mise en place des tubages et de cimentation constituent la meilleure protection pour l’environnement. " Rien n’est plus controversé que cette affirmation, tirée d’une seule référence. Au contraire : "Gas intrusion into cemented wellbores and the resultant leakage to either the surface or porous formation below the wellhead have been persistent problems in the gas industry for many years" (réf. 2) . Les cas de problèmes de fuites de gaz dans les espaces annulaires des puits cimentés constituent en fait la majorité des causes des fuites et cela est reconnu par de nombreux auteurs dans l’industrie (ex réf. : 2, 3, 4, 5 et 6). Et ces problèmes de cimentation des puits sont loin d’être des cas isolés : entre 20 et 60% des puits selon l’age (réf. 3 et la figure plus loin dans le dernier tiers de ce texte).
"… absence presque totale de détection des additifs de fracturation dans les milliers de puits domestiques situés à proximité des puits ayant fait l’objet de fracturation hydraulique." Une autre thèse de l’industrie, adoptée ici sans aucune analyse critique. Les eaux de fracturation migreront lentement, vu la grande profondeur de leur injection initiale, mais par contre le méthane, qui suit les mêmes chemins fracturés se manifeste déjà actuellement de façon systématique sur le terrain. Les contaminations hydriques arriveront plus tardivement. Même ici au Québec, notamment au puits Canbriam à La Présentation, le méthane a déjà traversé la nappe pour arriver en surface, bien loin hors de l’emprise du puits. Les affirmations p.29 sont des thèses contestables prônées par l’industrie ; il est inquiétant de voir l’ÉES en faire son préambule, sans aucune analyse critique, et sans même avoir commencé ses propres études.
Aucun élément dans les tableaux des connaissances à acquérir ne se penche sur l’analyse des nappes qui servent de source d’eau potable pour les communautés. L’ÉES passe tout de suite aux questions touchant l’eau pour les besoins de l’industrie dans l’application de la technologie de fracturation. Avant cette étape, dans la section L’enjeu de la protection de la ressource eau (p.29), on doit minimalement ajouter comme tâches primordiales ceci :
• E3-0 : Cartographie hydrogéologique des nappes phréatiques impliquées avec lignes isopièzes permettant d’évaluer les gradients, les directions de l’écoulement dans les nappes, les zones de vulnérabilité, etc. Ces cartographies seront prioritairement établies dans les territoires où se situent les 31 premiers puits par la mise en place de réseau de piézomètres et puits d’observation dans un territoire assez vaste pour couvrir tout la zone affectée par la fracturation plus cinq kilomètres en périphérie de cette zone. Cette cartographie devrait inclure une analyse physicochimique suffisamment complète des nappes dont le volume excède une certaine valeur.
• E3-00 : Mise en place d’un programme d’échantillonnage périodique de l’eau de la nappe dans ces zones, incluant évidemment la détection des traces de méthane.
Advenant le cas où l’ÉES envisagerait de recommander le démarrage de l’exploitation du shale dans les Basses-Terres, il deviendra impératif d’ajouter aussi la démarche suivante :
• E3-000 :Mise en place d’un programme pour étendre la cartographie hydrogéologique à tout nouveau territoire où des permis de forage seraient autorisés ; la complétion de ce programme serait un préalable à toute autorisation.
p.29 L’ÉES précise que "l’Association de l’industrie pétrolière (API) publie aussi plusieurs normes et méthodologies pour favoriser un développement sécuritaire de l’industrie". Les normes viennent de l’industrie ; proposées par eux, conçues à l’origine pour des puits classiques, rien de bien contraignant. C’est pensé avant tout comme bonnes pratiques pour l’opération à court terme, la sécurité des travailleurs certes, réduite ainsi à la durée limitée dans le temps de leur présence sur le site. Les règles de bonnes pratiques visent avant tout la rentabilité pendant la durée de vie de l’exploitation. Ces normes ne sont pas du tout adaptées pour la durabilité accrue à très long terme qui serait normalement requise spécifiquement pour ce nouveau contexte d’exploitation dans le shale. Ajoutons aussi que rien n’indique qu’elles soient spécifiques à la situation québécoise ; il serait étonnant qu’elles le soient vu le caractère récent de la fracturation rocheuse au Québec (2008).
"…peu d’information est actuellement disponible sur les processus de fermeture temporaire ou de fermeture définitive des puits et la permanence des mesures d’obturation. En effet, bien que la réglementation en vigueur au Québec exige l’obtention d’un permis de fermeture de puits, qui est conditionnelle à son obturation définitive, peu de suivis ont été réalisés sur les puits abandonnés sur le territoire des Basses-Terres du Saint-Laurent" Les puits de gaz de schiste ne sont aucunement comparables aux anciens puits ; de plus la plupart étaient des puits secs, ou d’exploration . Il n’y a aucune commune mesure entre un forage uniquement vertical de 20 cm de diamètre fait pour exploration et qui perturbe donc le roc sur une emprise de cet ordre, versus un puits de gaz de schiste qui lui combine les techniques de forage horizontal et de fracturation de dizaine de millions de mètres cubes pour chaque branche horizontale en vue de modifier considérablement la perméabilité d’un massif de shale. C’est comme étudier les stations services abandonnées pour nous éclairer sur les impacts d’implantation d’une raffinerie... Étudier les puits anciens, d’accord, mais ATTENTION, on ne pourra absolument pas en tirer des conclusions pour les nouveaux puits. L’industrie a besoin des données sur les puits anciens, car ils constituent pour elle une nuisance et un problème purement technique, quand ils se retrouvent dans l’emprise d’une fracturation ; cette partie de l’étude semble être une commande pour l’industrie.
p.30 : • E3-1 : Analyse des normes existantes dans certains États et certaines provinces pour les forages, de la conception à la construction, en passant par la vérification, la fracturation, la complétion et la fermeture.
• E3-2 : Détermination des problèmes de déversements et de fuites rencontrés au Québec par l’industrie des gaz de schiste au cours des dernières années et documenter les causes et les impacts de ces incidents et les mesures prises pour les corriger.
• E3-3 : Recensement et inspection des puits orphelins au Québec.
Dans l’encadré des connaissances à acquérir (E3-1, 2 et 3), aucune mention de l’obtention d’information cruciale sur le devenir des puits après leur abandon. C’est une information pourtant signalée comme inexistante, même pour les puits classiques déjà présents. Recenser les normes appliquées ailleurs n’apportera pas de solution spécifique pour les nouveaux puits, car en raison de l’état de fait et du poids de cette industrie, les normes proposées par l’industrie et entérinées par les États n’ont jamais été conçues autrement que pour des puits dans des gisements classiques. C’est cet état de fait qui a permis l’éclosion de cette industrie nouvelle. En l’absence de normes adéquates, l’exploitation de gisements non conventionnels est apparue rentable. De plus, l’industrie grâce à son pressant lobby a pu obtenir d’être affranchie de plusieurs réglementations environnementales. Étudier ce qui se fait ailleurs viendra peut-être renforcer ici la position de ceux qui réclament les mêmes privilèges indus, mais ce ne sera certainement pas de l’acquisition de connaissances scientifiques. Déterminer les problèmes de déversements et de fuites me semble une entreprise irréalisable en raison du peu d’encadrement de cette industrie jusqu’ici au Québec. Rappelons que les visites des inspecteurs du MDDEP n’a véritablement commencé que lors du BAPE et qu’encore aujourd’hui, certains puits n’ont toujours pas été visités. Certes, l’industrie est tenue de divulguer les incidents mais le fait-elle ? systématiquement ? L’étude E3-2 devrait impérativement inclure les incidents répertoriés à l’échelle internationale.
p.31 : "Par ailleurs, bien que la migration vers la surface à partir des shales de l’Utica soit considérée peu probable à court et moyen terme en raison des conditions géologiques du bassin des Basses-Terres du Saint-Laurent" : Une affirmation tout à fait contestable, un crédo de l’industrie, en désaccord avec l’opinion de chercheurs indépendants. Avant même qu’on ait pu contredire ces thèses simplistes déjà présentées par l’industrie au BAPE, on les retrouve reprises ici, sans nuances, par l’ÉES. Sans cet énoncé, le reste du paragraphe est bon, mais l’encadré des connaissances à acquérir ne contient rien sur les profondes méconnaissances des discontinuités (fractures et failles inconnues) dans la géologie du roc de couverture de l’Utica. Aucune connaissance à acquérir vraiment ? On se contente de prévoir une modélisation de la migration des eaux "en utilisant les intrants propres au bassin des Basses Terres". Euphémisme pour dire qu’on va se contenter des très grandes imprécisions de la carte géologique des Basses-Terres, comme input d’une modélisation. Une modélisation de cette envergure est hautement irréaliste et fantaisiste ; selon un expert bien reconnu en la matière, dans le cas d’un seul puits " discretization of an entire representative continuum into discrete blocks is simply impossible because of the number of degrees of freedom involved"(7). Futile ou encore plus inexacte serait la tentative de simulation de l’effet combiné d’une multitude de puits, même dans une géologie hyper simplifiée.
p.32 : On mentionne ici trois mesures, mais elles ne se retrouvent pas ensuite dans l’encadré (p.34) de ce qui est à acquérir :
"• Des études de microsismique lors des fracturations hydrauliques effectuées dans le cadre de l’ÉES.
(on devrait écrire "lors des fracturations antérieures" - pourquoi requérir à de nouvelles fracturations pendant L’ÉES, pour cela, quand il y a déjà ces données dans les dossiers des compagnies ?)
• Le suivi géochimique lors d’un certain nombre de fracturations, qui inclut les composés gazeux à l’échelle régionale. (même commentaire)
• La mesure des concentrations naturelles en méthane dans les puits/aquifères situés dans un rayon déterminé autour des forages".
Ce "rayon déterminé" n’est pas précisé ; or cela devrait être sur toute l’emprise de la zone fracturée plus minimalement un autre 2000 m ; si on se limite à 100 m autour de la tête de forage, cela ne serait d’aucun sérieux.
Connaissances à acquérir
E4-1 : Élaboration de différents scénarios de gestion des eaux de reflux et évaluation de leurs coûts selon :
-Le niveau de production des eaux de reflux et leur qualité ;
-Leur réutilisation possible ;
-Leur acheminement (bassins de rétention sur place, usines d’épuration municipales, autres types d’usines)
-Leur disposition finale.
E4-2 : Revue des technologies de traitement des eaux usées disponibles ainsi que de leur efficacité en regard des substances à risque.
E4-3 : Analyse des possibilités de mettre en place la technologie de stockage des eaux de reflux dans des formations géologiques profondes au Québec et évaluation des coûts d’une telle pratique. Le cas échéant, détermination des ovligations réglementaires en matière d’études, méthodes et suivis pour l’autorisation de tels projets.
Ce qui est dans ce cadre est avant tout du travail pour l’industrie ; pourquoi l’ÉES par exemple ferait l’analyse des coûts (E4-1) de gestion des eaux de reflux, des possibilités de l’injection ? Un gros silence dans ce texte sur le fait que moins de 50% du fluide injecté pour fracturer le roc revient à la surface pendant les quelques semaines qu’on identifie comme période pour leur récupération ; plus de 50% de ces "slickwater" sont encore dans le substratum à la fin de cette période. Elles vont remonter, mais sur une plus longue période, pendant laquelle rien n’est prévu pour le suivi. Minimalement, il faut ajouter ceci :
• E4-4 Analyse des données relatives à la portion des fluides de fracturation qui ne sont pas remontés et modélisation à moyen et long terme de leur mobilité par les mêmes chemins où on a déjà des évidences de migration de méthane, ou encore par d’autres réseaux.
p.35 et p. 36 : Est-ce que l’ÉES tient compte du fait que les émissions peuvent survenir ailleurs que près des puits et installations ? par migration le long de failles notamment dans toute l’étendue latérale fracturés (longues de 1 km ?), des fuites peuvent se retrouver à voyager ensuite dans les nappes à grande distance. Comment évaluer ce risque ? Rien ci-dessous n’indique qu’on a pensé à cet aspect des émissions.
Connaissances à acquérir
A1-1 : Évaluation des tauxd’émissions de contaminants atmosphériques provenant de sites fixes, mobiles et fugitives d’un projet type de gaz de sciste
A1-2 : Modélisation de la dispersion atmosphérique des contaminants émis par les sources fixes et mobiles et d’un projet type et de l’impact de ces contaminants sur la qualité de l’air ambiant
Il sera très important aussi dans cette analyse de ne pas se limiter à un instantané dans le temps. Les puits sont là pour "l’éternité", même après abandon. Il est impossible d’enlever un puits, encore moins de remettre le shale fracturé dans son état initial. Les données sur les puits classiques (réf. 3), actifs ou abandonnées montrent que les émissions de gaz sont détectées dans des proportions de 20% dans le cas des puits datant de quelques années, mais que ce pourcentage augmente à 40% pour des puits datant de dix ans et jusqu’à 60% des puits pour la tranche datant de 25 ans et plus (figure ci-dessous, réf. 3).
Voir graphique en illustration
On note de plus dans cette référence (3) que "Most of the pressure buildup is due to gas, although, in fewer than 1% of all wells, oil and sometimes salt water also flow to surface".Il n’y a pas de statistiques pour les puits de gaz de schiste qui sont encore bien trop récents et pas encore intégrés à ces statistiques ; mais ils sont construits avec les mêmes aciers et les mêmes coulis. Par contre il faut ajouter dans leur cas qu’il y a, comme facteur aggravant, un très grand volume de roc fracturé artificiellement. De plus, la proportion de méthane laissé en place est incommensurablement plus élevée. Ils sont donc susceptibles de produire des fuites nettement plus importantes lors du vieillissement des puits abandonnés et enfouis ; des fuites de méthane et autres gaz évidemment, mais aussi des remontées d’eau sursalée comme mentionné pour les puits classiques, et éventuellement du reste des eaux de fracturation. L’ÉES devra donc ajouter ceci au cadre de la page 36 :
• GES1-3 Analyse des quantités de méthane qui possiblement pourra être relâché dans l’atmosphère dans la période de temps qui suit l’abandon des puits, en postulant divers scénarios de durabilité des structures après abandon en regard de la quantité de méthane encore présent dans le gisement au moment de l’abandon.
p.37 : Les risques de séismes induits sont identifiés ailleurs dans le monde, surtout avec des cas de disposition de déchets liquides (ex. eau de fracturation) par injection profonde. Si l’ÉES étudie ce risque par rapport à un projet-type (de puits d’exploitation ?) et ensuite plus loin propose comme solution de disposition des eaux, la solution de l’injection en forage profond, alors on serait dans une aberration totale. Le risque de séismicité induite doit être fait en rapport avec le point E4-3 page 34 (stockage des eaux de reflux par injection) ; le risque de séismes et de glissements de terrain dus à un puits de gaz, sont bien significatifs dans le contexte géologique du Québec. On peut mettre ça dans l’étude, mais on peut déjà se demander si c’est mis là, un peu beaucoup, pour avoir à la fin une conclusion rassurante ; peut-être donc ici du temps perdu.
"Les risques technologiques : Par ailleurs, tout projet industriel comporte un risque d’accident en fonction de ses caractéristiques. Il importe de bien déterminer les sources potentielles d’accident à chacune des étapes d’un projet type de gaz de schiste, d’en évaluer les conséquences selon divers scénarios. Selon l’importance et l’étendue des conséquences, des mesures doivent être envisagées pour gérer ou réduire le risque à la source ou pour préparer la réponse à un accident potentiel par un plan de mesure d’urgence."Connaissances à acquérir : R2-1 : Analyse des risques technologiques associés aux activités d’un projet type de gaz de schiste."
Si l’ÉES étudie les risques technologiques uniquement en termes d’intervention par des équipes d’urgence en cas d’accident pendant les activités, ce n’est qu’une faible partie des risques technologiques. C’est le rôle des cies gazières d’étudier et de gérer ce risque pendant leurs opérations, pas l’ÉES. Par contre après l’abandon, tout retombe dans le domaine public, y compris les risques de ces technologies de puits qui se dégraderont forcément dans le temps. Ces risques, ceux assumés par le domaine public doivent être ceux analysés en priorité par l’ÉES. Ces risques sont énormes, car la combinaison des nouvelles technologies qui permet l’extraction du gaz dans le shale est nouvelle, et par définition inconnue et selon toute vraisemblance très à risque.
3.3 L’évaluation des enjeux sociaux pp. 38 à 50 Ce chapitre est bien élaboré et bien louable dans les intentions noblement exprimées. On analysera même les besoins sociaux, en logement, la luminosité, populations autochtones, etc. Partout on cite des nuisances et on dit qu’on étudiera comment les atténuer. Sans vouloir trop nous avancer dans ce domaine d’expertise bien loin de la géotechnique, notons seulement ici qu’une grosse part de "la commande" faite à l’ÉES, vient de ceux (gouvernement et industrie) qui résument le problème à comment convaincre la population, le problème central en étant un de perception, et de nuisances à atténuer.
"L’acceptabilité sociale est fortement tributaire des mécanismes d’information et de consultation mis en place par les différents acteurs du secteur, notamment les ministères et organismes gouvernementaux et les représentants de l’industrie. …
… opposition nourrie par des expériences problématiques dont certaines ont été fortement médiatisées. Il importe de mieux comprendre de quelle façon et sur quelles bases s’est construite cette opposition ainsi que l’image de l’industrie …" p.48
Là il est devient difficile de croire à l’objectivité scientifique de l‘ÉES quand on constate la proportion démesurée de l’attention porté sur cela, face aux si énormes lacunes signalées précédemment dans la compréhension du fond des problèmes technologiques et de leurs impacts sur les milieux naturels. C’est ma crainte de voir que l’ÉES servent surtout à cela : corriger et orienter différemment les "perceptions" (et ça c’est manifestement une commande pour l’industrie) et si peu aux études scientifiques les plus cruciales.
3.4 L’évaluation de la pertinence socioéconomique de l’exploitation du gaz de schiste pp. 51 à 60
Là aussi, c’est loin de la géotechnique, mais notons seulement cette intention : Le Québec entend devenir un leader du développement durable (point 5, p 52) ; l’exploitation de combustible fossile est reconnue comme une pratique à laquelle on doit progressivement trouver des alternatives. L’exploitation du shale gazéifère n’est pas et ne sera jamais une avenue qui peut être considérée comme du développement durable ; rien n’est moins durable que l’exploitation d’une ressource non-renouvelable,
Connaissances à acquérir
• EC2-1 : Détail des coûts privés et publics par phase de réalisation et totaux estimés à partir du projet type de gaz de schiste développé au préalable.
• EC2-2 : Projections financières pro forma d’un projet type de gaz de schiste
• EC2-3 : Analyse environnementale du cycle de vie d’un projet type de gaz de schiste
Dans ces évaluations économiques si on se limite aux étapes usuelles : exploration, développement des puits, exploitation et abandon sommaire, on passera à côté du coût le plus important : la gestion du risque des fuites de méthane dans les décennies qui vont suivre. Les gazières ont déjà fait ces "prospectus biaisés" limité aux étapes où elles sont sur le terrain ; inutile de les refaire si on n’inclut pas une analyse à long terme. Par exemple au niveau de l’estimation des coûts, juste une question à explorer parmi d’autres : si à Ville Mercier le gouvernement du Québec a en 40 ans dû dépenser des dizaines de millions pour gérer un seul site où la pollution d’une nappe par l’industrie pétrolière (la cause est localisée à 20 m de profondeur - non encore résolue après 4 décennies, et un BAPE en 1994, réf. 8), combien en coûtera-t-il dix ou vingt ans après l’abandon des puits pour faire revenir d’Alberta, ou d’ailleurs, une équipe spécialisée pour identifier (à 2000 m de profondeur) et réparer par exemple un seul puits de gaz de schiste ayant atteint un niveau de corrosion menant à la résurgences de fuites de méthane mettant en danger la sécurité des environs ? Question corollaire : une fois qu’un seul cas de ce genre aura fait les manchettes, combien de millions seront perdus en termes de dévaluation des propriétés avoisinantes ? Question qui tue : quelle proportion des 20 000 puits requis pour extraire toute la ressource, connaîtront des fuites à moyen et long terme et quel en sera le coût pour les fonds publics à ce moment là ? (voir la figure tirée de la référence 3 pour un estimé possible). Finalement à estimer aussi, combien de temps tiendraient alors ces nouvelles réparations ? Voilà des questions très pertinentes à mettre dans le mandat de l’ÉES.
3.5 La législation encadrant les projets d’exploration et d’exploitation gazière pp. 60 à 62.
Très bref, mais bon chapitre. La mise en place d’observatoires scientifiques indépendants est une excellente idée émise par le BAPE qui doivent pouvoir agir avec les fonds requis, en toute transparence (publication des données recueillies) et indépendance.
Quant aux règlements, nous soulignons particulièrement la nécessité de révision totale des règles d’abandon des puits. On doit à tout prix éliminer le transfert à l’État (règle actuelle partout) en fin de production de la propriété et du risque. Ce n’est qu’en raison de cet état de fait généralisé, aux USA, comme au Canada, que l’idée même d’exploiter le shale gazéifère a pu démarrer. Avec l’obligation d’assumer la propriété des puits abandonnés, les risques à long terme associés, nécessitant une inspection et un entretien des puits à perpétuité (disons un bail de 99 ans à renouvellement obligatoire en cas de persistance de pression de méthane dans le fond du puits), l’industrie, qui est compétente à calculer ses coûts, n’aurait jamais démarré la construction d’un seul puits.
Notre conclusion sur cette version présentée du plan de travail de l’ÉES est globalement que de beaux principes sont énoncés sur l’environnement, la transparence, la consultation populaire, mais que dans les actions concrètes qui sont listées ensuite, on retrouve beaucoup trop celles qui seront utiles à l’industrie dans son cadre opérationnel pour exploiter éventuellement le shale, y compris l’étude des meilleures stratégies de communication pour favoriser l’acceptabilité sociale et l’apaisement des craintes de la population. Il est particulièrement renversant de constater la façon dont on envisage d’étudier les nappes et l’hydrogéologie. Il n’y a rien de prévu pour combler les manques flagrants en cartographie hydrogéologique des nappes dans toute les zones visées par l’exploitation éventuelle de l’Utica, mais il y a beaucoup d’emphase sur les besoins en eau de l’industrie de fracturation, des méthodes de disposition ensuite de l’eau contaminée, pour la partie qui remonte (rien sur le 50% qui reste dans le substratum), rien de précis comme investigation systématique des fuites hors de la zone des puits, rien sur la méconnaissance des discontinuités dans le substratum qui seront des chemins éventuels pour des circulations à moyen et long terme dans tout ce grand volume de shale, i.e. 2x10exposant12 mètres cubes (ou 2000 milliards) environ d’Utica modifié de façon irréversible en termes de perméabilité.
Et j’ajouterai un dernier commentaire d’ingénieur : il n’y a rien dans le plan de travail de l’ÉES qui permettra une évaluation indépendante et critique des technologies nouvelles et très à risques de cette industrie ; rien quant à l’examen de la durabilité de ces structures (les puits et les massifs fracturés contenant encore une quantité estimée à 80% du volume de gaz initialement présent (réf. 9) une fois l’exploitation terminée et les puits recouverts de terre. Ces ouvrages que l’industrie laissera en place en fin d’exploitation, ne seront plus alors des puits d’exploitation mais bien des structures permanentes d’ingénierie faites d’acier et de ciment. C’est sous cet aspect que la question doit être analysée par d’autres ; il est impératif que ces ouvrages soient examinés sous cet angle, par des experts hors du champ et des normes internes de l’industrie pétrolière. L’ÉES a le devoir d’obtenir des avis techniques par des ingénieurs civils compétents sur ces milliers de structures qui, après le départ des compagnies gazières, demeureront à jamais implantées dans le substratum dans un territoire de haute valeur historique, agricole et environnementale.
Références
1- M. Binnion 2011, conférence aux actionnaires de Questerre
2- Marlow 1989, Cement Bonding Characteristics in Gas Wells. Journal of Petroleum Technology, Vol 41
3- Brufatto et al 2003, From Mud to Cement—Building Gas Wells Oilfield Review, Sept 2003, pp 62-76
4- Wojtanowicz et al, 2001, DIAGNOSIS AND REMEDIATION OF SUSTAINED CASING PRESSURE IN WELL 93p.
5- Huerta 2009, Studying fluid leakage along a cemented wellbore Thesis University of Texas at Austin. 81p
6- Dusseault, 2000, Why oilwells leaks : Cement behavior and long-term consequences
7- Dusseault, 2011, Massive Multi-Stage Hydraulic Fracturing : Where are We. ARMA (American Rock Mechanics Association) e-Newsletter, Winter 2011.
8- BAPE 1994. Restauration du lieu contaminé de Mercier. 222p.
9- Office National de l’Énergie, Nov. 2009, L’ABC du gaz de schistes au Canada, 23p.
Source : https://www.facebook.com/note.php?saved&¬e_id=284040998294155&id=188600667838189