Édition du 17 décembre 2024

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Amérique du Nord

Etats-Unis. La signification de l’élection présidentielle

Joseph Biden et Kamala Harris sont les vainqueurs de l’élection présidentielle de 2020. Les candidats démocrates ont remporté plus de voix que tout autre ticket dans l’histoire [76’469’171 suffrages]. Cependant, c’est Trump qui a remporté le deuxième plus grand nombre de voix [71’680’847 suffrages], ce qui montre à quel point l’élection a été serrée.

Paru sur le site Alencontre
11 novembre 2020

Par Malik Miah et Barry Sheppard

Kamala Harris est la première femme et la première personne de couleur (elle est d’origine noire et asiatique) à être élue au deuxième poste le plus élevé dans l’exécutif.

L’élection présidentielle ne s’est pas déroulée comme les sondeurs l’avaient prédit. Comme il y a quatre ans, Donald Trump a remporté des millions de voix de plus que ce que les sondages et la direction du Parti démocrate avaient prévu.

En vertu de la Constitution, le président n’est pas élu au suffrage universel. Au lieu de cela, un collège électoral, composé d’électeurs de chaque État, élit le président. Chaque État a droit au même nombre d’électeurs que le nombre de sièges au Congrès dont il dispose, soit un total de 538. Une majorité, au moins de 270, est donc nécessaire pour l’emporter. Le ticket Biden/Harris a franchi ce seuil le samedi 7 novembre 2020.

Ce qui est devenu la norme, c’est que les électeurs qui se sont engagés en faveur du candidat gagnant dans 48 États se rendent au Collège électoral. Dans deux États, il existe une version modifiée. Le Collège électoral se réunira le 14 décembre pour entériner le résultat. Le candidat battu, Donald Trump, a intenté plusieurs procès pour renverser les résultats avant le 14 décembre. Trump a déclaré avant et après l’élection qu’elle lui avait été « volée » et qu’il avait été élu président.

Les démocrates ont perdu (-4) des sièges à la Chambre des représentants.

Les républicains peuvent détenir la majorité au Sénat [35 sièges de sénateur devaient être renouvelés le 3 novembre]. Au moment où nous écrivons ces lignes (8 novembre), les deux camps comptent 48 sénateurs. Il y a deux deuxième tour [1] de scrutin en Géorgie au début du mois de janvier. Deux autres sièges de sénateurs sont encore en cours de décompte. Le résultat déterminera quel parti contrôle le Sénat.

Le principal bloc de vote pour élire Biden et Harris était constitué d’Afro-Américains dans les villes des principaux États-pivots : Detroit (Michigan), Philadelphie (Pennsylvanie) et Atlanta (Géorgie).
Le trumpisme ne disparaîtra pas

Il y a une profonde polarisation dans le pays. Une droite suprémaciste blanche de plus en plus radicalisée veut qu’un homme fort institue « l’ordre public » pour maintenir les Noirs et les Latinos « à leur place ». Elle considère les manifestations de Black Lives Matter comme des « émeutes anti-américaines ». De l’autre côté, des Noirs, des Bruns et de nombreux Blancs sont terrifiés par Donald Trump et sa politique.

Cette polarisation s’exprime par le taux de participation historique des deux candidats. Le suprémaciste blanc [Trump] qui sépare les enfants de leur famille [en 2018 près de 2000 mineurs ont été séparés de leurs parents, arrêtés pour avoir franchi illégalement la frontière, en raison de la « tolérance zéro » imposée par Trump], qui a supervisé la mort de 240’000 personnes suite au Covid-19 a néanmoins obtenu plus de 70 millions de voix. En 2016, Trump avait reçu environ 62 millions de suffrages ; Hillary Clinton en récoltait près de 65 millions, avec un taux de participation électoral de 55%. Trump a reçu, en 2020, environ 71 millions de votes. Biden a reçu 75 millions de voix, pour un taux de participation de 66%.

Lorsque Donald Trump affirme que l’élection lui a été volée et qu’il reste président, plusieurs dizaines de millions d’Etatsuniens le croient et sont enragés par le résultat de l’élection. Si nous entendons par « Trump » la suprématie blanche associée à une tendance à l’autoritarisme, cela constitue une base de masse qui ne disparaîtra pas, quoi qu’il arrive à Trump en tant qu’individu.

Où Trump a-t-il obtenu ses votes ? Il a ciblé sa base d’électeurs blancs et aussi de Blancs qui, normalement, ne votent pas. Il les a obtenus. C’est la raison pour laquelle les sondages à l’échelle nationale ou des Etats se sont trompés. Dans l’ensemble, le nombre de Blancs qui ont voté a augmenté, mais en pourcentage du total des votes, il était à peu près le même qu’aux élections de 2016.

Donald Trump a également ciblé les Noirs et les Latinos. L’objectif était d’accroître son soutien pour compenser l’augmentation de la participation des Noirs et des Latinos. De nombreux Noirs sont fatigués d’être considérés comme acquis d’avance par les démocrates. Trump semble avoir remporté une part plus importante du vote minoritaire que n’importe quel républicain depuis 1960.

Il a gagné plus d’hommes et de femmes noirs qu’en 2016. Environ 18% des hommes noirs ont voté pour Trump. En 2016, il était d’environ 11%. Les femmes noires, qui constituent la base électorale la plus forte du Parti démocrate, lui ont également donné plus de voix. En 2016, seulement 4% des femmes noires ont voté pour Trump. En 2020, il a obtenu environ 8% des voix.

Son soutien parmi les différentes communautés latinos n’était pas homogène. Les Cubains-Américains (3% de la population latino totale) ont donné à Trump un appui électoral significatif dans le sud de la Floride. Les Vénézuéliens et les Nicaraguayens qui ont quitté leur pays en raison de leur opposition à des gouvernements qu’ils considéraient comme « communistes » et « socialistes » se trouvent également en grande partie dans le sud de la Floride.

Répondant aux critiques qui affirment que les gens de couleur « ont sous-performé » pour les démocrates, le co-animateur de Democracy Now !, Juan González, déclare : « La principale histoire est que les gens de couleur, en particulier les Latinos, ont afflué aux urnes en nombre bien supérieur à ce que les experts avaient prévu, alors que le nombre total de votes exprimés par les Américains blancs a à peine augmenté par rapport à la dernière élection présidentielle. Comment se fait-il qu’aucun des experts ne se demande pourquoi les électeurs blancs ont négligé le Parti démocrate ? » « Et laissez-moi être un peu plus précis », a déclaré Juan Gonzalez. « Il semble qu’il y ait eu certaines régions du pays où le pourcentage de votes latinos en faveur de Donald Trump a augmenté, en particulier dans la vallée du Rio Grande au Texas et dans le comté de Miami-Dade [dans le sud de la Floride], deux régions qui, je dois le noter, pour ceux qui connaissent les habitudes de vote de la communauté latino, ont toujours été relativement conservatrices en termes de vote. Même si le sud du Texas est largement démocrate, il a toujours été un bastion électoral démocrate, certes modéré et centriste ou même conservateur. Mais mon analyse des chiffres montre une histoire complètement différente quand on regarde le pays dans son ensemble. »

Charles Blow, un chroniqueur afro-américain du New York Times, a observé le lendemain de l’élection :

« Après tout ce que Donald Trump a fait, toute la misère qu’il a causée, tout le racisme qu’il a suscité, toutes les familles d’immigrants qu’il a détruites, tous les gens qui ont quitté cette vie à cause de sa mauvaise gestion d’une pandémie, il reste qu’environ la moitié du pays a voté pour la prolongation de ce spectacle d’horreur.

 »Permettez-moi d’être précis et explicite ici. Les Blancs – hommes et femmes – sont le seul groupe dans lequel une majorité a voté pour Trump, selon les sondages de sortie des urnes [2]. Pour être exact, près de trois électeurs blancs sur cinq en Amérique sont des électeurs de Trump.

 »Non seulement une majorité d’hommes blancs ont voté pour Trump, mais aussi une majorité de femmes blanches. En 2016, les sondages de sortie des urnes ont également montré qu’une majorité de femmes blanches avaient voté pour Trump, mais plus tard, une analyse des électeurs validés par le Pew Research Center a révélé qu’un grand nombre de femmes blanches ont voté pour Trump, et non une majorité.

 »En tout cas, les femmes blanches ont voté pour Trump à un taux plus élevé que toutes les autres femmes, bien que Trump ait passé son premier mandat, voire toute sa vie, à dénigrer les femmes. »

En d’autres termes, les hommes et les femmes blancs ont voté pour Trump (un nationaliste et suprémaciste blanc) en toute conscience. Il représentait la majorité blanche et ses préoccupations mieux que quiconque. La peur de « l’autre » est forte au sein de ce groupe.

La polarisation raciale a également été constatée chez les hommes homosexuels.

En septembre, le réseau social gay Hornet a publié le résultat d’un sondage réalisé auprès de 10’000 de ses utilisateurs. Il a révélé que 45% des homosexuels qui y sont inscrits avaient l’intention de voter pour Trump.

Hornet a écrit sur son blog : « L’idée que les hommes gays – une population qui est généralement de gauche – voteraient pour Donald Trump à un pourcentage plus élevé que l’ensemble des citoyens américains serait sans doute très surprenante si cela devait se produire. » Autre surprise : 10% des homosexuels américains ayant participé au sondage de Hornet déclarent qu’ils « ne soutiennent pas du tout Donald Trump », mais qu’ils voteront néanmoins pour lui.

Deux membres de la secte d’extrême droite, Qanon, ont été élues au Congrès [Marjorie Taylor Greene en Georgie et Lauren Boebert au Colorado]. Elles défendent la théorie conspirationniste selon laquelle les démocrates et tous ceux qui s’opposent à Trump font partie d’une vaste organisation pédophile clandestine. Certains vont plus loin et accusent ce dit réseau de tuer et de manger des enfants. Six de leurs membres avaient prévu d’abattre des employés des bureaux qui comptaient les votes à Philadelphie, avant d’être arrêtés par la police. Les deux farfelues mentionnées vont pousser le courant républicain encore plus à droite.

L’élection a eu lieu alors que la pandémie fait rage. La plupart des partisans de Trump ont refusé de porter des masques. Ils pensaient que le virus n’était pas si grave. Ainsi, lorsque Trump a développé le thème de « l’emploi et l’économie » versus la santé et la bataille contre le Covid-19, ils ont soutenu Trump.
A quoi ressemblera la présidence de Biden

Biden n’a pas insisté sur d’autres questions que celui de l’échec délibéré de Trump face à la pandémie, et la nécessité de balancer Trump.

Il a pris ses distances avec l’aile progressiste du Parti démocrate, y compris avec des représentants comme Alexandria Ocasio-Cortez du Bronx (New York), et d’autres femmes de « The Squad » [Ilhan Omar du Minnesota, Ayanna Pressley du Massachusetts, Rashida Tlaib du Michigan], ainsi qu’avec Bernie Sanders, et les candidats de DSA (Democratic Socialists of America) du Parti démocrate qui ont gagné. Ces membres de la Chambre des représentnts ont tous été réélus là où ils avaient précédemment battu les démocrates de l’establishment lors des primaires.

Biden s’est opposé à « Medicare for all » (assurance maladie nationale) et au « Green New Deal ». Biden s’est vanté : « J’ai battu les gars » qui ont soutenu les deux propositions lors des primaires démocrates. Biden s’est engagé à trouver un terrain d’entente avec les républicains, ce qui signifie qu’il ira plus à droite, et justifiera cela par la nécessité de faire des compromis.

Certains candidats démocrates aux élections sénatoriales qui devaient gagner et prendre le contrôle du Sénat ont perdu. Si les républicains gardent le contrôle du Sénat, Biden se tournera probablement encore plus vers la droite pour apaiser les « Never Trumpers » [Plus jamais Trump] conservateurs qui l’ont soutenu. Les réformes de la police telles qu’exigées par le mouvement des « Black Lives » seront encore moins probables. Attendez-vous à ce que la police reçoive plus de fonds, et non moins.

La politique étrangère est un domaine dans lequel il y a peu de différences entre Trump et Biden. La politique pro-impérialiste de Trump est une continuation des administrations démocrates et républicaines précédentes.

Les démocrates sont pro-Israël et soutiennent : le déplacement à Jérusalem de l’ambassade des Etats-Unis décidé par Trump ; la guerre de la dynastie saoudienne contre sa population et le Yémen ; ainsi que les attaques de drones dans la région.

Même face à la Chine, Biden est tout aussi hostile que Trump. Le style peut changer. C’est à peu près tout. Les liens avec les alliés européens peuvent s’améliorer, mais la politique étrangère impérialiste fondamentale restera la même. Sauf un ton plus dur envers la Russie.
Un système antidémocratique

Il est important de comprendre les aspects uniques du système électoral aux États-Unis. Les Pères fondateurs ont rédigé une Constitution pour empêcher les travailleurs et les simples agriculteurs d’avoir un véritable contrôle politique sur le pays.

Seuls les hommes blancs possédant des biens avaient le droit de vote. Les propriétaires d’esclaves ont obtenu des voix et des pouvoirs supplémentaires en faisant compter leurs « biens humains » (les esclaves) pour les trois cinquièmes d’une personne afin de leur donner une représentation supplémentaire au Congrès, aux tribunaux et à la Maison Blanche.

La protestation populaire et finalement une nouvelle révolution, la guerre civile des années 1860, ont donné aux anciens esclaves et à toutes les personnes nées aux États-Unis la citoyenneté (à l’exception des peuples amérindiens).

La Chambre des représentants a été créée pour donner au peuple une certaine représentation, mais uniquement aux propriétaires blancs. Cependant, le Sénat fonctionnait comme un organe de contrôle de la Chambre des représentants. Au départ, il était choisi par le corps législatif de chaque État. Et surtout, chaque État a deux sénateurs. Aujourd’hui, l’État le plus peuplé, la Californie, avec près de 40 millions d’habitants, et l’État du Wyoming, avec 550’000 habitants, ont le même nombre de sénateurs.

Le Collège électoral présente des failles. Une action en justice pourrait faire échouer l’élection au Congrès et même par décision de la Cour suprême, comme cela s’est produit en 2000. La Cour suprême a alors attribué l’élection au républicain George Bush par un vote de 5 contre 4. Le démocrate Al Gore a accepté cette décision pour « prévenir les troubles civils ».

Donald Trump cherche à obtenir le même résultat. Il a clairement indiqué qu’il ne céderait jamais et que ses partisans feraient tout pour faire respecter sa position. On ne sait pas ce qui se passera ensuite. La classe dirigeante est-elle prête à tester le peuple ? Des protestations de masse vont se produire des deux côtés.

Enfin, la plupart des Noirs se font peu d’illusions à propos de ce régime et système racistes. Ils ont toujours été une minorité dominée par une majorité blanche.

Glenn Ford, rédacteur en chef du Black Agenda Report, notait avant que les résultats des élections soient connus :

« Quel que soit le vainqueur du Collège électoral, la politique fondée sur la race continuera de permettre aux dirigeants des entreprises d’ignorer les demandes publiques de l’allégement de la « Race to the Bottom » [la course vers le bas au plan socio-économique] et de la guerre sans fin… L’élection de 2020 confirme donc le verdict provisoire de 2016 : la majorité des Blancs voteront pour leur race – aux côtés du Parti de l’homme blanc – alors que la compétition électorale se déroule principalement sur le plan racial. Le système du Collège électoral, qui a été intégré à la Constitution américaine pour protéger les intérêts des États esclavagistes, continue de donner aux électeurs blancs « de race » une force de frappe surdimensionnée dans les compétitions nationales. Trump parie sur le fait qu’il pourrait reproduire la composition du Collège électoral de 2016 qui lui a permis de l’emporter sur Hillary Clinton, même s’il est toujours à la traîne de près de trois millions de personnes dans le vote populaire, comme il l’a fait la première fois. En 2016. Gagnant ou perdant, le calcul racial de Trump était bien fondé et rationnel – comme le prouve l’étroitesse de la bataille de 2020. »

Comme c’est vrai.

(Texte reçu le 9 novembre 2020 ; traduction rédaction A l’Encontre)

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