Tiré de À l’encontre.
Le mercredi matin 20 juin – un jour après que Trump a dit aux membres du Congrès qu’ils devaient eux, et non pas lui, « réparer » les séparations, et quatre jours après qu’il a insisté sur le fait que « vous ne pouvez pas le faire par le biais d’un décret exécutif » – Trump a signé un décret exécutif de la Maison Blanche qui prétend que les familles détenues à la frontière seront réunies
Les immigrants et les défenseurs de la justice sociale ont immédiatement soulevé des questions au sujet de cet ordre. Car il demande que les familles (parents et enfants) soient détenues ensemble indéfiniment, même si une décision de justice limite la détention des enfants, accompagnés ou non, à 20 jours.
Et comme l’ONG Montanans for Immigrant Justice Alliance (active dans la défense des migrant·e·s dans l’Etat du Montana) et Missoula Rises (structure communautaire dans l’Etat du Montana qui mène campagne contre la politique de « tolérance zéro » de Trump, pour les droits des migrants,etc.) l’ont souligné dans une déclaration : l’administration dit qu’elle continuera d’accuser les parents d’avoir commis un acte criminel [entrée illégale aux Etats-Unis], de sorte qu’ils seront inévitablement séparés de leurs enfants lorsqu’ils seront traduits en justice.
Les protestations ne peuvent pas s’arrêter. Trump a été forcé de battre en retraite pour l’une des toutes premières fois, mais il y a bien d’autres raisons de se battre.
En annonçant qu’une journée de mobilisations de masse appelée pour le 30 juin était toujours en cours, Anna Galland de MoveOn a écrit sur Twitter : « Le changement de Trump – grâce à l’indignation du public – signifie que les enfants et les bébés seront toujours en prison. Ce n’est pas une solution ; cela rend les prisons pour bébés permanentes. Réunir les familles. Mettre fin aux prisons pour bébés. Agir pour la liberté. »
Le régime Trump peut espérer que son décret exécutif endigue la vague d’indignation, mais ce ne sera pas le cas, parce que personne ne fera confiance à la Maison-Blanche pour faire ce qu’il faut.
Les images et les histoires d’enfants arrachés à leur famille ont révélé la cruauté infligée aux migrants de tous âges au nom de « l’ordre public » et des « valeurs américaines ».
Des quantités de personnes savent maintenant, si elles ne le savaient pas déjà, la vérité barbare sur la « politique » d’immigration états-unienne. Espérons que cela peut ouvrir la voie à la construction d’une lutte plus grande et plus audacieuse pour obtenir justice pour tous les immigrants.
Dans sa séance de photo de la Maison Blanche lors de la signature du décret exécutif, Trump était flanqué du vice-président Mike Pence et de la secrétaire à la Sécurité intérieure Kirstjen Nielsen – ce qui était approprié, parce que les deux avaient été visés par les protestations.
La nuit précédente, Kirtjen Nielsen a été chassée d’un restaurant à la mode de Washington, D.C. – spécialisé dans la cuisine mexicaine, rien de moins – après avoir été publiquement dénoncée par des manifestants, y compris des membres des Démocrates socialistes d’Amérique (DSA).
Devant endurer le refrain « Shame ! » (« Quelle Honte ! ») Nielsen a été forcée d’écouter les enregistrements déchirants mis en ligne par le site ProPublica d’enfants terrifiés pleurant dans un centre de détention au Texas. Lorsque d’autres clients ont appris de quoi il s’agissait, ils ont applaudi les manifestants.
Quelques heures plus tôt, Pence a été traqué par 2000 à 3000 manifestants lorsqu’il s’est présenté à Philadelphie pour une collecte de fonds pour le candidat républicain au poste de gouverneur, Scott Wagner, qui a fait de la fable à la Trump – le « vote des non-citoyens » – une pièce maîtresse de sa campagne.
Alors que la foule augmentait, les manifestants ont empilé des douzaines de chaussures sur la place en face de l’hôtel Rittenhouse pour symboliser les plus de 2000 enfants séparés de leurs parents. La protestation s’est rapidement répandue dans les rues autour de la place, avant de se transformer en une marche improvisée qui s’est dirigée vers l’hôtel de ville.
Ce matin-là, Pence a été accueilli par quelque 300 manifestants lors d’une collecte de fonds à Syracuse, dans l’Etat de New York. Les organisateurs ont dit que le nombre de personnes promettant d’y assister est passé de quelques dizaines à des centaines en quelques heures.
Les manifestations se sont multipliées dans tout le pays tout au long de cette semaine et la semaine dernière, certaines sont décrites ci-dessous. Elles étaient organisées par des organisations de défense des droits des immigrants, mais d’autres ont été initiés sur Internet par des gens qui se sentaient simplement obligés de faire quelque chose.
Micaela Eller, qui vit à Austin, au Texas, a déclaré au New York Times qu’elle a répondu à un appel à l’action national en organisant une manifestation le 14 juin sur Facebook. Après avoir lu les messages déchirants sur les détenus diffusés sur les médias sociaux, Eller a dit qu’elle a décidé que « je voulais m’assurer que ma voix était parmi les plus fortes en disant que ce n’est pas bien, et que ce n’est pas ce que nous sommes comme pays ».
Et les manifestations ne sont pas la seule façon dont les gens indignés par le traitement des immigrant·e·s essaient de prendre position.
Dans un message viral sur Facebook, le steward Hunt Palmquist a décrit le travail sur deux vols sur lesquels des enfants migrants âgés de 4 à 11 ans, accompagnés d’agents de l’ICE (Immigration and Custom Enforcement) , étaient transportés vers une installation de « relogement ». Palmquist a écrit :
« A la suite de ce dont j’ai été témoin, j’ai pris la décision que si je suis affecté à un vol avec des enfants qui ont été séparés de leur famille, je me retirerai immédiatement du voyage en raison de la nature de cet acte déraisonnable de mon gouvernement et de la complicité de mon employeur.
J’ai raconté mon histoire à plusieurs de mes collègues agents de bord et ils se sont engagés à faire la même chose… Je ne serai plus complice et je me retirerai de toute mission future de vol qui tenterait de faire de moi un pion pour cette cause dégoûtante et déplorable. »
Plusieurs compagnies aériennes ont depuis publié des déclarations suivant l’exemple d’employés comme Palmquist et jurant de ne pas faire voler des enfants séparés de leurs parents par l’administration Trump.
Le même sentiment a été entendu chez Microsoft, où plus de 100 employés ont affiché une lettre ouverte sur le réseau intranet demandant à l’entreprise d’annuler les contrats et les arrangements avec l’ICE.
Tout cela est un signe : nous assistons peut-être à un tournant dans le caractère de l’opposition aux sinistres politiques du gouvernement états-unien qui maltraitent les immigrants.
Los Angeles
Le 14 juin, au moins 3000 personnes – soit trois fois plus que le nombre de ceux qui avaient répondu à l’invitation sur Facebook – se sont rendues au parc MacArthur pour une manifestation #FamiliesBelongTogether appelée par la coalition municipale March and Rally Los Angeles.
Des conférenciers d’organisations locales et d’ONG ont participé à ce rassemblement. Parmi les orateurs figuraient Kenneth Mejia, une jeune Américaine philippine se présentant au Congrès sur la liste du Parti Vert, ainsi qu’une oratrice de l’AF3RM (Forward to a Feminist Future), une organisation féministe transnationale de femmes de couleur, qui a fait un discours émouvant et passionné sur l’expérience de sa famille en matière de migration et de déportation.
Le conférencier de l’ACLU (American Civil Libertie Union) a été acclamé par la foule lorsqu’il a annoncé que l’organisation poursuivait au plan légal l’administration Trump pour mettre fin aux séparations de familles à la frontière. Un représentant de la Coalition for Humane Immigrant Rights of Los Angeles a souligné la nécessité de faire pression sur les politiciens de l’Etat pour qu’ils s’opposent à l’administration Trump.
L’un des thèmes de la plupart des intervenants était de « voter pour les bonnes personnes » en novembre (élection de mi-mandat). Aucun des orateurs n’a critiqué les démocrates ou leur rôle complice dans l’application de la militarisation à la frontière – en particulier en Californie, où le gouverneur démocrate s’est conformé à l’administration Trump et a envoyé la Garde nationale à la frontière.
Lorsque la marche a quitté MacArthur Park, elle a traversé un quartier habité par de nombreux ressortissants d’Amérique centrale et a été bien accueillie par les spectateurs et les conducteurs qui klaxonnaient en signe de soutien. Les slogans lancés : « Dites-le fort, dites-le clairement : les immigrants sont les bienvenus ici ! » et « Trump dit retour, nous disons combat ! »
Certains des manifestants étaient des enseignants des écoles publiques de Los Angeles, selon un rapport du New York Times. Elizabeth Kenoff a décrit l’effet des déportations sur ses élèves en éducation spéciale : « Ils ne peuvent pas se concentrer sur l’école ou l’avenir si on ne déroule pas le tapis de l’accueil. »
Au fur et à mesure que la marche se dirigeait vers le centre-ville, elle a réuni 5000 personnes. La manifestation s’est arrêtée devant le Metropolitan Detention Center de Los Angeles, un centre de détention de l’Immigration Customs Enforcement (ICE). Derrière les petites fenêtres, on pouvait voir clignoter les téléphones cellulaires, et on pouvait entendre les coups donnés aux fenêtres, plusieurs étages plus bas, dans la rue.
Portland, Oregon
Depuis le début de la semaine, des manifestants ont organisé un « blocus » devant le bureau régional de l’ICE à Portland. Le décret exécutif de Trump ne les empêchera pas de poursuivre leur action.
La manifestation, surnommée Occupy ICE PDX, a commencé le dimanche, à l’extérieur du bâtiment qui est utilisé pour la détention temporaire, parmi d’autres fonctions. La manifestation a pris de l’ampleur au cours de la semaine, avec des centaines de personnes qui bloquent parfois tout l’espace. Des dizaines de personnes passent la nuit dans des tentes.
Les manifestants ont contraint l’ICE à fermer le bâtiment le mercredi pour des raisons de « sécurité ». La police aurait été appelée la veille pour escorter les employés hors du bâtiment.
Lundi, selon le journaliste Arun Gupta [ancien éditeur du journal Occupy Wall Street Journal], lorsque des voitures aux fenêtres sombres ont tenté de sortir du garage de l’immeuble, la foule croissante de manifestants a formé une ligne en se tenant les bras. Les véhicules ont dû reculer.
Gupta a rapporté que la police du Département de la sécurité intérieure a essayé de persuader les manifestants de permettre aux employés de l’ICE de quitter le bâtiment – pour « rentrer chez eux », ont dit les agents, ne reconnaissant apparemment pas l’ironie de leur déclaration – mais les activistes ont refusé de laisser partir les véhicules.
Au fil de la semaine, les manifestants ont reçu des pizzas et d’autres aliments. Le nombre de manifestants s’est accru. Les voitures qui passaient klaxonnaient pour manifester leur soutien ; un camion de crème glacée local est arrivé en distribuant gratuitement ses cornets ; il a bloqué à l’entrée de l’installation de l’ICE pour faire bonne mesure.
Portland est censée être une ville sanctuaire. Le maire Ted Wheeler a déclaré lors d’une réunion du conseil municipal que l’ICE ne devrait pas s’attendre à une aide de la part de la mairie. Toutefois, cela n’explique pas pourquoi la ville a permis à cet établissement de continuer à fonctionner, soit détenir régulièrement des demandeurs d’asile, rien de moins.
Elizabeth, New Jersey
Plus de 300 personnes se sont rendues au rassemblement de la fête des pères à l’extérieur du Elizabeth Detention Center, l’une des nombreuses installations de l’ICE dans le New Jersey.
Ce rassemblement a montré comment la question des séparations familiales et des camps de prisonniers pour enfants touche le cœur des gens.
La plupart des participants semblaient être des familles avec de jeunes enfants qui voulaient exprimer leur solidarité envers des parents qui ne pouvaient pas être avec leurs enfants. Des organisations telles que les Démocrates socialistes d’Amérique, Movimiento Cosecha [qui défend les intérêts des travailleurs migrants sans documents] et d’autres faisaient partie des manifestants.
Un grand nombre de religieux et d’églises, de temples [protestants] et de mosquées étaient présents. De nombreux orateurs ont souligné l’importance de voter pour les démocrates en novembre. La plupart des slogans lancés portaient sur le thème du maintien des familles, mais les slogans « Abolish ICE » et « Shut it down » étaient aussi populaires.
Plusieurs responsables religieux ont contesté Jeff Sessions [procureur général des Etats-Unis] pour avoir cité la Bible afin de justifier la séparation des enfants de leurs parents et ont souligné qu’il s’agissait d’une politique états-unienne qui remonte à l’époque de l’esclavage et du génocide des indigènes.
Les discours les plus forts étaient ceux des familles des sans-papiers détenus dans l’établissement et des victimes de la machine à expulser.
Un jeune de 17 ans qui était le seul membre de sa famille né aux Etats-Unis a parlé de déménager au Guatemala parce que toute sa famille avait été déportée. Adolescent, il a été victime d’une tentative de meurtre et ses parents ont trouvé quelqu’un avec qui il pouvait rester aux Etats-Unis, mais il est maintenant presque impossible pour lui de revoir sa famille.
Plusieurs jeunes enfants ont essayé de parler, mais ils ont surtout pleuré en partageant ce que signifiait pour eux d’être séparés de leur famille.
Il y avait tellement de gens devant l’entrée du centre de détention que la police a installé des barrières pour que les voitures et les camions puissent entrer. Il y avait plus qu’assez de gens pour bloquer l’entrée et empêcher les gardes d’entrer et de sortir. Cela a montré le potentiel d’actions de désobéissance civile face à ces camps de concentration.
Nord du Kentucky et sud de l’Ohio
Plus de 300 personnes des deux côtés de l’Ohio se sont jointes à d’autres personnes à travers le pays le 14 juin pour déclarer #FamiliesBelongTogether.
Appelés par Kentucky Indivisible, des activistes de groupes de défense des droits des immigrants, de justice sociale et de paix sont venus du Kentucky et de l’Ohio pour se rencontrer sur le pont suspendu Roebling Bridge pour une manifestation durant les heures de circulation.
Rencontrés par des automobilistes enthousiastes qui circulent dans les deux sens sur la liaison la plus fréquentée de la région, ce n’est pas la première fois que des militant·e·s se donnent la main symboliquement de l’autre côté du pont pour des questions de droits humains, mais c’était l’un des plus grands rassemblements sur le pont à ce jour.
Sheila Williams de Florence, Kentucky, a dit que c’était sa première marche, mais probablement pas sa dernière. « J’ai eu mal à l’estomac à cause de tout cela », a dit Sheila Williams. « J’ai appelé, j’ai fait mes courriels et mes télécopies, et j’avais l’impression que je devais en faire plus. Je suis une mère de six enfants, et je ne peux pas imaginer cela. »
Pour ceux qui ont été actifs dans le soutien aux familles immigrantes dans la communauté, l’événement a contribué à faire la lumière sur la question. Sœur Joyce Moeller s’organise pour soutenir les immigrants et leurs familles. « L’image de notre pays est que nous ne sommes pas accueillants, que nous avons le cœur dur, et pourtant nous sommes une nation d’immigrants », a dit Joyce Moeller.
Joyce Moeller a souligné qu’une grande partie de la violence et de la corruption qui déracinent les gens et les forcent à chercher refuge aux Etats-Unis est enracinée dans les politiques et les actions du gouvernement américain.
« Les gens qui viennent d’Amérique centrale fuient des situations de violence, la violence des gangs et de la pauvreté, les soulèvements et les gouvernements corrompus. Et notre gouvernement a été complice d’une partie de cette activité. Nous avons soutenu des régimes corrompus en Amérique centrale et cela a contribué à semer les graines des problèmes que nous voyons aujourd’hui. »
Article publié sur le site de socialistworker.org le 21 juin ; traduction A l’Encontre.
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