Édition du 26 novembre 2024

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États-Unis

Quand le racisme surpasse Erin Brockovich

Etats-Unis : Empoisonnement à Flint

Un gouvernement qui empoisonne une ville et ses enfants. Qui aurait pensé cela possible ? Et pourtant, c’est bien le résultat de la politique d’austérité et antidémocratique des gestionnaires d’urgence, ainsi que des attitudes racistes des politiciens de Flint, au Michigan.

En 2011, Occupy Wall Street lançait le slogan du 1 % pour désigner l’élite économique et politique qui domine le gouvernement américain. Pourtant, le dédain et le mépris que ces milliardaires professent envers le reste, c’est-à-dire nous, n’avaient que peu été perçus jusqu’à ce jour. Qui, en effet, aurait pensé que le républicain Rick Snyder, gouverneur du Michigan, ainsi que d’autres politiciens et des organismes étatiques, pouvaient aller jusqu’à empoisonner toute une communauté – pour la plupart des Blanc·he·s et des Noir·e·s pauvres de la classe ouvrière – afin de réduire les dépenses publiques ?
Des villes comme Detroit et Flint étaient autrefois le centre de l’industrie automobile US et, depuis plus de cinquante ans, le cœur de l’économie américaine. Après 1975, ces villes ont décliné, alimentant la Rust Belt(« ceinture de rouille ») où des millions de résident·e·s noir·e·s, latinos et blanc·he·s vivent dans la pauvreté. Il y a quelques années, lorsque les républicains sont arrivés au pouvoir dans le Michigan, ils ont encouragé une législation antisyndicale tout en éliminant la démocratie et en plaçant de nombreuses villes et organismes sous le contrôle de gestionnaires d’urgence.

Un porteur d’eau républicain

Darnell Earley était gestionnaire d’urgence à Flint et, par mesure d’économie, décida de déconnecter cette dernière du réseau d’eau de Detroit. A la place, il décida d’approvisionner la ville en eau provenant de la Flint River, une eau tellement contaminée que même General Motors avait cessé de l’utiliser pour produire ses moteurs d’automobiles ! Lorsque les résident·e·s se sont plaints, le gouverneur les a méprisés, tandis que la branche étatique de l’US Environmental Protection Agency (EPA) les a simplement ignorés. Dans la ville de 99 000 habitant·e·s, plus de 8600 enfants ont été exposés au plomb et à des dommages permanents.

Susan Hedman, responsable de l’EPA du Michigan, qui avait reçu d’évasives demandes du maire de Flint, Dayne Walling, a démissionné lorsque la crise et son rôle dans celle-ci ont été mis en lumière. Au cours de son message annuel, le gouverneur Snyder a présenté ses excuses pour la tragédie de Flint. Dans le sillage de la catastrophe, le président Barack Obama a donné 80 millions de dollars d’aide d’urgence pour la ville, en exprimant sa sidération devant le fait qu’il faille se soucier de l’eau potable donnée aux enfants.

La situation à Flint a conduit à un tollé public. Le réalisateur Michael Moore, résident de Flint, a appelé cet empoisonnement un « crime racial » et a exigé l’arrestation du gouverneur Snyder par une pétition, qui a déjà réuni 120 000 signatures :
« Merci à vous, Monsieur, et aux actions préméditées de vos administrateurs, vous avez effectivement empoisonné, pas seulement quelques-uns, mais apparemment tous les enfants de ma ville natale de Flint, au Michigan.

Et pour cela, vous devez aller en prison.

Avoir empoisonné tous les enfants dans une ville historique américaine n’est pas un mince exploit. Même les organisations terroristes internationales n’ont pas encore compris comment faire une action d’une telle amplitude. »

Après l’eau de Flint, les écoles de Detroit

Earley, qui était en charge de l’eau à Flint, est maintenant gestionnaire d’urgence des écoles de Detroit. Les bâtiments scolaires se désintègrent : plafonds qui s’effondrent, planchers cassés, moisissures qui prolifèrent, système de chauffage défaillant. Les enseignant·e·s ont lancé un sick-in (absence collective pour maladie), les grèves étant illégales, ce qui entraîna la fermeture de presque toutes les 100 écoles de la ville. Sans aucun scrupule, le gouverneur Snyder, responsable de l’empoisonnement à Flint, les a aussitôt accusés de nuire aux enfants ! Et les législateurs républicains se sont précipités à l’Assemblée législative afin de proposer de nouvelles lois pour rendre ces débrayages illégaux…

Pour les Noir·e·s américain·e·s observant la situation à Flint, une ville composée à 56 % de Noir·e·s, le racisme est prépondérant. Ce racisme qu’ils subissent au quotidien : abattus dans les rues par la police, traités de façon discriminatoire et raciste sur les campus universitaires, bien trop souvent dans l’impossibilité de trouver du travail et, comme à Flint, les victimes de l’injustice environnementale.

Alors que se déroulaient les événements de Flint, l’Academy of Motion Picture Arts and Science a établi une nouvelle fois sa liste des candidat·e·s aux Oscars : presque uniquement des Blanc·he·s. Les résultats ne sont pas surprenants étant donné la composition de l’Académie, à 93 % des Blanc·he·s et 73 % des hommes (Los Angeles Times, 2012). En réaction, l’acteur Will Smith et le réalisateur Spike Lee ont organisé un boycott de ces Oscars réservés aux Blanc·he·s.

Lors de la Conférence nationale des maires du 20 janvier, des militant·e·s du mouvement Black Lives Matter ont manifesté contre les maires de Chicago, Baltimore et Flint. Le maire blanc de Chicago, Rahm Emanuel, avait refusé de reconnaître une vidéo montrant l’assassinat par la police de l’adolescent Laquan McDonald. Les protestations adressées à Stephanie Rawlings-Blake, la maire noire de Baltimore, « Vous nous avez trompés ! » se référaient à l’assassinat par la police de Freddie Grey. Et ils ont crié « Nous voulons de l’eau ! » à la maire de Flint, Karen Weaver, une femme noire aussi. Quelle que soit la couleur de peau des maires, il est clair que le système est raciste.

Traduction et intertitres de la rédaction de solidaritéS

* Erin Brokovich, seule contre tous est un film de Steven Soderbergh (2000). Il narre l’histoire de cette femme, qui, dans la réalité, mit en évidence une pollution au chrome hexavalent des eaux potables de Hinckley en Californie.

Dan La Botz

L’auteur est un professeur d’université américain et un militant de l’organisation socialiste Solidarity.

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