Les superlatifs s’empilent. « Moment historique » et « rendez-vous avec l’histoire » pour les co-présidents de la négociation qui n’hésitent pas à comparer ce texte – au-delà même de toute exagération acceptable – à la déclaration des droits de l’homme en 1948. De « l’émotion » et un « vent d’optimisme » pour Laurence Tubiana, négociatrice française. Les représentants des pays se félicitent des « progrès », des « avancées », du « caractère constructif » de la négociation. Nous avons assisté à une longue série d’interventions d’auto-congratulations qui peuvent apparaître un peu décalées au regard de l’ensemble des points conflictuels qui ne sont pas résolus. Plus frappant encore, parler de moment historique au moment où, Chennai, la 4e ville la plus peuplée d’Inde est paralysée par des inondations qui ont déjà fait au moins 269 morts, apparaît déplacé et inconvenant. Surtout quand personne n’y fait référence au sein du Bourget.
La suite ? « Rien n’est décidé avant que tout soit décidé » a-t-il été rappelé. Ce texte [1], qui ne change pas fondamentalement des textes précédents, servira désormais de base de négociation pour les ministres des 195 pays qui seront à Paris à compter de lundi matin. Ils auront la tâche de régler l’ensemble des points de débats pour présenter un projet d’accord « jeudi matin au plus tard », selon Laurence Tubiana. Si on en croit l’agenda officiel, il est toujours question d’adopter « l’Accord de Paris » ce vendredi 11 décembre. Officiellement.
Le mandat confié à la COP21 est-il sur la bonne voie ?
Etabli à Durban en 2011, le mandat des négociations est clair : définir un instrument juridique qui prenne la suite du protocole de Kyoto à partir de 2020 et renforcer les engagements de réduction des émissions de GES afin de revenir sur une trajectoire permettant de rester en deçà de 2°C. Comme le montrent désormais de nombreuses études, y compris l’évaluation réalisée par l’ONU [2], les contributions nationales volontaires des Etats conduisent à un réchauffement climatique supérieur à 3°C d’ici la fin du siècle. Il aurait été logique que l’écart entre le souhaitable (les 2°C ou moins) et le réel (les 3°C ou plus) soit au cœur de la négociation de Paris et que les Etats s’accordent pour se répartir les efforts supplémentaires nécessaires. Comme le confirme cette première semaine de négociations, ce n’est pas le cas. Ces contributions ne seront pas revues à la hausse lors de la COP21, parce qu’aucune des puissances de la planète n’en a la volonté.
Les pays du Nord ne font pas leur part
C’est frappant et choquant. Beaucoup des commentateurs, des Etats et des ONG, regrettent que ces contributions ne soient pas plus ambitieuses. Ce dispositif de « name and shame », où les Etats nomment leurs objectifs et sont ensuite pointés du doigt s’ils ne les réalisent pas, devrait aujourd’hui conduire à blâmer les pays qui sont trop éloignés de leur juste part en matière de lutte contre les dérèglements climatiques. C’est ce que fait l’étude menée par de très nombreuses ONG et syndicats, intitulée CSO Equity review, signée par Attac France, dont les résultats ont été publiés ce vendredi, dans un relatif anonymat, notamment du côté de la presse française. Une étude qu’abhorre la présidence française – et notamment Laurence Tubiana – tant elle concourt à montrer la faiblesse intrinsèque des INDCs et à montrer du doigt les pays riches. Des résultats dont nous avions dévoilé la teneur sur [mon] blog [3] et qui montrent que les pays les plus éloignés de leur juste part sont la Russie, le Japon, les Etats-Unis, l’Union européenne, etc... et non pas les pays du Sud – notamment la Chine et l’Inde – souvent pointés du doigt.
Institutionnaliser la procrastination
La moitié du mandat de la COP21 n’est donc pas atteint et ne le sera pas d’ici le 11 décembre. Les responsables sont pourtant connus, principalement les pays du Nord, notamment ceux qui sont regroupés dans le groupe appelé « Umbrella Group » insuffisamment mis à l’index pour leurs actions néfastes au sein des négociations. Dès lors, de nombreux commentateurs et ONG préfèrent mettre l’accent sur l’inclusion d’éventuels mécanismes d’évaluation (stocktaking) et de révision pour laisser penser que les Etats pourraient revoir leurs objectifs à la hausse dans les prochaines années et revenir sur une trajectoire de réchauffement inférieure à 2°C. Comme si le retard pris pouvait être rattrappé. Comme si nous n’avions pas déjà suffisamment de données, de rapports et de projets de transition pour justifier que ces objectifs soient revus à la hausse dès aujourd’hui. D’une certaine manière, se focaliser sur ces mécanismes de révision revient à parier que les Etats consentiront à faire demain ce qu’ils refusent de faire aujourd’hui, et donc à institutionnaliser, dans le texte même de l’accord, la procrastination.
Évaluer pour aller où ?
En matière de négociations, tout est question de détail. Que le futur accord de Paris comporte un mécanisme d’évaluation des « progrès » réalisés dans la mise en œuvre des contributions nationales ne fait guère débat. Le nouveau texte repousse néanmoins cette première évaluation à 2024 (article 10.2), soit dans neuf ans. Ce qui est beaucoup trop tardif pour infléchir significativement les objectifs fixés dans les contributions nationales. Le rôle de cette évaluation n’est d’ailleurs pas clarifié : s’agit-il d’un pur travail d’analyse ou doit-elle établir une base sur laquelle s’appuyer pour réviser à la hausse les contributions nationales ? Sur quels principes doivent reposer ces évaluations à la hausse : les dernières données scientifiques, les principes d’équité et de responsabilités communes mais différenciées etc ? C’est en débat.
Par ailleurs, l’introduction d’un mécanisme d’inventaire et de révision dès 2017 ou 2018 n’est plus explicitement mentionné dans la partie qui porte sur la période pré-2020. Le terme « stocktake » ne figure pas dans cette partie de texte. Pas plus que l’option consistant à demander aux pays développés de « réviser leurs objectifs de réduction d’émissions » pour « atteindre 25 à 40 % de réduction d’émissions d’ici à 2020 », ce qui est pourtant le minimum syndical exigible, selon le GIEC, pour espérer rester en deçà des 2°C de réchauffement. Seul un très peu exigeant « processus d’examen technique des mesures d’atténuation » doit être mené de 2016 à 2020.
Bref, se focaliser sur ces mécanismes d’évaluation et de révision pour laisser penser qu’il sera possible de revenir sur une trajectoire de réchauffement inférieure à 2°C relève à ce stade de la pure fiction.
Financement : Les Etats-Unis prêts à faire imploser la machine onusienne
Selon la convention cadre des Nations-Unies sur le changement climatique, les pays dits « développés », qui ont historiquement le plus émis et qui sont à l’origine de l’essentiel du réchauffement climatique actuel, doivent s’engager à financer l’adaptation et la transition dans les pays du Sud. En demandant explicitement aux pays du Sud de contribuer de manière équivalente aux pays dits « développés » à partir de 2020, les Etats-Unis, soutenus par l’Umbrella Group, essaient de faire imploser les principes sur lesquels sont basées les négociations de l’ONU, mettant en péril un possible accord. Qui plus est, alors que la promesse des 100 milliards d’ici à 2020 – qui devraient être publics et additionnels – est loin d’être atteinte. En vingt ans, les pays du Nord ont rechigné à débloquer des financements. Ils souhaitent désormais s’affranchir de cette responsabilité.
Les Etats-Unis – et les pays qui leur sont alliés – mènent ainsi deux batailles conjointement. Inacceptable pour les pays du Sud, cette proposition contribue à alourdir le texte et à rendre les propositions difficilement conciliables, renforçant le rapport de force dont disposent les pays du Nord sur d’autres sujets. Les Etats-Unis pratiquent donc ostensiblement de l’obstruction. Le second objectif n’a rien à voir avec le réchauffement climatique. Il est géopolitique, comme le révèle une note confidentielle [4] très peu commentée dans les media francophones [5] : les Etats-Unis souhaitent que les principes de la convention cadre des Nations-Unie qui instituent une différenciation entre pays développés et pays en développement soit purement et simplement supprimés à l’occasion de la COP21. Déjà largement entamé par le mandat défini à Durban et par la mise en œuvre des INDCs qui permettent à chaque pays de déterminer sa contribution comme il l’entend, l’affaiblissement des principes qui fondent la Convention, et qui contribuent à instaurer des principes de justice et d’équité, pourrait se poursuivre à Paris.
Objectif de long terme
Dans cette même note, les Etats-Unis expliquent vouloir que les pays « cherchent collectivement à atteindre la neutralité carbone au cours de ce siècle ». Cette proposition pose trois sérieux problèmes. En utilisant l’unique adverbe « collectively », les Etats-Unis placent sur un même pied l’ensemble des pays et populations de la planète. Refusant de fixer une date, les Etats-Unis passent par pertes et profits la feuille de route clairement établie par le GIEC qui fixe des jalons clairement identifiés pour 2050, par exemple. En préférant la « neutralité carbone » à des objectifs plus clairement identifiés (zéro-fossile ou même décarbonisation), les Etats-Unis indiquent leur inclination à attendre beaucoup d’hypothétiques progrès technologiques (séquestration du carbone...) et des propositions marchandes et financières (compensation carbone...). Sur ce sujet, le texte validé samedi matin exclut les options les plus clairement identifiées (zéro-fossile etc) et tout est à trancher.
Un accord pour qui ? Pour quoi ?
C’est l’article 2 qui définit l’objet de l’accord. Ce qui y est mentionné est d’une importance extrême. C’est lui qui fixe la feuille de route. C’est celui qui doit préciser l’objectif limite de réchauffement climatique, entre 1,5°C et 2°C. C’est aussi celui qui devrait poser des principes pour guider les politiques en ce sens. La référence au droit des populations indigènes a ainsi été supprimée de cet article. Tout comme celle faisant mention de la nécessité d’obtenir une « transition juste » et la « création d’emplois décents et de qualité », ce qui apparaît être une nécessité afin d’introduire des objectifs de justice sociale dans les politiques climatiques. Les co-présidents, qui ont supprimé la référence, étaient d’un autre avis.
On notera également que la seule itération du terme énergie est utilisée pour évoquer l’Agence internationale de l’énergie atomique. Toujours aucune référence aux énergies fossiles, représentant 80 % des émissions de gaz à effet de serre, pas plus qu’aux énergies renouvelables, pierre angulaire de toute transition énergétique. A trop se focaliser sur ce qui est rejeté en bout de cheminée, les négociations de l’ONU oublient qu’il existe une formidable machine à réchauffer la planète, l’économie mondiale, et qu’elle est alimentée par des filières énergétiques clairement identifiées.
Un accord contraignant ?
« L’accord doit forcément être contraignant pour avoir des effets » ne cesse de répéter François Hollande. Allons au-delà des mots. Même en se limitant à la faible ambition de cette négociation, trois niveaux de contrainte pourraient être envisagées :
• exiger que les pays publient à intervalles réguliers leurs contributions nationales et que leur mise en œuvre soit évaluée précisément ;
• rendre les objectifs des contributions nationales que les pays enregistrent auprès de l’ONU contraignants ;
• introduire un mécanisme de sanction en cas de non-respect de ces objectifs.
Les deux derniers niveaux de contrainte sont exclus, puisque les pays n’en veulent pas. Il n’est par ailleurs pas certain d’obtenir le premier niveau de contrainte. C’est aujourd’hui en débat, notamment pour ce qui s’agit de l’évaluation régulière et des procédures pour la mener. A force d’avoir insisté et obtenu un fonctionnement basé sur des engagements nationaux sans rapport avec les objectifs globaux, les pays du Nord, et en premier lieu les Etats-Unis, ont rendu quasiment impossible la réintroduction d’éléments de contrainte juridique et politique dans le cadre des négociations sur le réchauffement climatique puisque chaque pays peut désormais faire valoir que c’est de l’ordre de sa souveraineté nationale. On ne manque pourtant pas de contraintes en matière commerciale mais les Etats – et de nombreux commentateurs – se refusent à en imaginer en matière de climat. On voit donc quelles sont les priorités des Etats et de l’ONU.
Un agenda des solutions discrédité
Malgré des alertes répétées [6]), l’Agenda de l’Action Lima-Paris est pollué par des propositions portées par des champions de la pollution qui n’auraient jamais dues être acceptées. Ainsi en est-il du « Partenariat Pétrole et Gaz sur le Méthane » des industriels fossiles, ou encore des propositions ayant trait au 4/1000 et à l’agriculture climato-intelligente. Lancé lors de la COP20 organisée au Pérou et héritage du Sommet sur le climat de septembre 2014 à New York, ce dispositif est désormais pour partie délégitimé et constitue un 4e pillier du futur accord de Paris extrêmement discutable. Les dispositions qui prévoient d’institutionnaliser ce dispositif au cours du temps jettent le discrédit sur l’ensemble du processus onusien, plus enclin à faire de la place à des industriels qui défendent leurs intérêts privés plutôt qu’aux propositions portées par les ONG, les syndicats et les associations.
Que retenir donc de cette semaine de négociations ?
Une chose principalement : les envolées discursives des chefs d’Etat et de gouvernement du lundi 30 novembre n’auront été qu’une parenthèse dans un long processus de négociations qui nous conduit inéluctablement sur une trajectoire de réchauffement supérieure à 3°C, tout en hypothéquant toute véritable possibilité de revenir sur une trajectoire largement inférieure à 2°C de réchauffement maximal d’ici à la fin du siècle. De ces discours salués par la grande majorité des commentateurs, il ne reste rien. Du moins, pas dans le texte. Ou alors qu’un simple souvenir sans consistance.
C’est un peu comme si un groupe de marcheurs se trouvaient sur un sentier conduisant vers un précipice, que les GPS signalent l’erreur de parcours depuis longtemps, mais qu’aucun des marcheurs ne se décide à stopper le groupe pour changer de direction. C’est donc à la société civile d’obtenir la bifurcation - en octobre 2015 nous disions avoir un « urgent besoin d’un ouragan citoyen pour renverser la table des négociations » [7]. A l’intérieur des négociations – ce n’est pas parti pour et on n’ose plus y croire – comme à l’extérieur. Sinon, qui d’autre le fera à notre place ?
* « Etat d’urgence climatique : la COP21 répond par un texte d’une rare indigence ! ». BLOG MEDIAPART. 5 DÉC. 2015 :
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/051215/etat-durgence-climatique-la-cop21-repond-par-un-texte-dune-rare-indigence
* Maxime Combes, économiste est membre d’Attac France. Il publie Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, coll. Anthropocène et il a co-coordonné Crime Climatique Stop ! L’appel de la société civile, Seuil, Anthropocène.
Notes
[1] Ici en anglais :
http://unfccc.int/resource/docs/2015/adp2/eng/l06r01.pdf
et ici en français :
http://unfccc.int/resource/docs/2015/adp2/fre/l06r01f.pdf
[3] http://civilsocietyreview.org/wp-content/uploads/2015/11/CSO_FullReport.pdf
[5] La formule utilisée par les Etats-Unis est la suivante : « all countries in a position to do so should be encouraged to support developing countries in need of support »
[6] Voir mon article écrit lors de la PreCOP, disponible sur ESSF (arts 36326) Réchauffement climatique et COP21 : l’écart entre 2°C et 3°C s’appelle un crime climatique,ou la lettre collective à François Hollande, ESSF (article 36545), Paris COP21, état d’urgence – Un appel international à Hollande afin qu’il lève l’interdiction sur les manifestations pour le climat .
[7] Voir sur ESSF (article 36162), Climat – La préparation de la COP21 : urgent besoin d’un ouragan citoyen pour renverser la table des négociations intergouvernementales !.