Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections américaines

Quelques réflexions sur l’élection présidentielle américaine 2012

Et le gagnant est....!

Même les plus malins n’osaient plus parier sur un gagnant à cette élection tant les meilleurs sondages montraient les deux concurrents au coude à coude, très souvent à égalité absolue nationalement. Les médias ont analysé la campagne électorale comme s’il s’agissait d’une course de chevaux ou un concours de popularité, les montants récoltés pour le soutient à leurs campagnes en faisant foi. Les entourages des candidats ont eu aussi « formaté » leurs interventions en conséquence. Une fois énoncé, l’essentiel des programmes politiques a été réduit à une série de slogans devenus creux à force de répétition. L’infusion de montant astronomique dans la publicité qui tente de démolir l’adversaire a supporté le tout.

Des milliers de personnes se sont activement engagées dans un camp ou l’autre ; jamais les électeurs-trices n’ont autant été sollicitées personnellement, surtout dans les États où les résultats font une réelle différence. Il y en a moins d’une douzaine au total.

Si Barack Obama gagne sans ambiguïté le collège électoral (+ de 300 grands électeurs alors que 270 donne la victoire au moment de mettre sous presse), sa marge du vote populaire, environ 50% contre 48% pour son opposant, n’est pas tout-à-fait convaincante.

Mais, comme dirait ma petite nièce, est-ce vraiment vrai cette victoire ? Qui a gagné au juste ?

L’argent aux commandes

En fait, il est de plus en plus évident pour de plus en plus de personnes et de commentateurs-trices que le vote, aux élections présidentielles surtout, ne veut plus dire grand-chose. Peut-être que les candidats dont l’élu, ne sont pas exactement des marionnettes mais leur marge de manœuvre devient de plus en plus étroite. Les interventions concrètes des multimillionnaires dans la vie politique du pays et singulièrement dans le processus électoral rendent la volonté populaire insignifiante. Comme le dit, dans Alternative Économiques no.312 d’octobre courant, l’économiste Joseph Stiglitz, détenteur d’un prix Nobel en économie : « Les États-Unis ne sont plus le pays où un homme vaut une voix. Les riches ont plus d’influence sur les décisions politiques ».

Les journaux se gargarisent avec des sondages qui évaluent chaque vote possible dans le moindre comté des États où il compte le plus. Mais, en fait nous sommes devant un écran de fumée qui cache bien les actions du pouvoir réel, celui de l’argent. Encore plus cette année. Des estimés sérieux évaluent à 6 milliards le montant qui aura été investit dans cette campagne, tous-tes candidatEs confonduEs. Ce sommet de dépenses aura été permis par un jugement de la Cour Suprême américaine qui a assimilé les entreprises à des personnes pour qu’elles puissent contribuer directement, sans limite, aux campagnes électorales. Thomas Frank, dans un article du Harper’s d’avril 2012, souligne que ce jugement en faveur de l’organisation de droite Citizens United, à fait plus pour pervertir le paysage politique du pays que l’introduction des Super PACsi. Les coulisses sont ouvertes ; les milliardaires et multimillionnaires agissent au grand jour sauf dans les cas où ils et elles décident de rester anonymes ce qui est possible aussi. Leurs actions ne visent pas le bien public mais bel et bien le maintient et le développement de leurs positions dominantes dans la société. Thomas Frank estime dans l’article cité plus haut, que lors des élections de mi-mandat de 2010, les premières à être affectées par ce jugement, les dépenses de campagne dites indépendantes ont été multipliées par cinq. Et il ajoute : « Il est évident que la liberté de vote populaire est prise pour acquis, mais ceux et celles à qui les candidatEs doivent répondre en fin de compte sont les super riches qui s’attendent à un retour d’ascenseur même si parfois ils misent sur le mauvais cheval ». ii Le chroniqueur E.J. Dionne a même écrit que la décision de la Cour Suprême est comprise au mieux, comme une partie « d’une plus importante initiative des conservateurs-trices riches pour truquer le système électoral en leur faveur ».iii

Après s’être élevé contre les effets d’un tel jugement, Barak Obama a fini par jouer le jeu. Il a accepté un Super PAC en sa faveur et à commencé à rencontrer les milieux d’affaires pour récolter le soutient financier qu’il souhaitait. Il a dépêché son directeur financier de campagne à New-York pour rencontrer les représentants de l’industrie des services financiers et les assurer que s’ils soutenaient la campagne du président, celui-ci ne les diaboliseraient plus pour tenter de regagner son poste. Il mettait donc de côté ses promesses et son discours sur la nécessité de discipliner Wall Street dans son programme de restauration de l’économie américaine. Ainsi, comme le souligne John McArthur dans L’illusion Obama : « Les riches contributeurs de sa campagne électorale, acteurs de Wall Street et dirigeants d’entreprises ne seront obligés de payer l’impôt de 39,6% sur le revenu qu’à partir de 2012- ».

Le monde de l’entrepreunariat et singulièrement de la finance a pris le pouvoir à Washington comme jamais auparavant. La crise de 2008 où les grandes banques ont été sauvées a été l’occasion de leur installation explicite à la Maison Blanche, au Conseil du Trésor et à la Réserve fédérale . C’était le cas auparavant, ce fut le moment du renforcement et de l’acceptation totale de cette situation.

La fraude et les manipulations

En plus de l’utilisation de l’argent « indépendant » dans le processus électoral, la fraude électorale a atteint des sommets chez nos voisins du sud. Et il ne s’agit pas de quelques fraudeurs-euses qui agiraient sur leurs propres bases dans un bureau de vote ici ou là. Il s’agit d’une fraude organisée sur une grande échelle, presque partout à travers le pays mais, encore une fois, surtout dans les États où le nombre de votes est crucial pour donner la victoire. Le parti républicain est le champion de ces opérations mais il existe aussi une fraude systémique introduite par les machines à voter.

Nous avons connu ici, lors des dernières élections fédérales un exemple d’une des manipulations du vote qui sévit chez nos voisins : les appels trompeurs. On vous indique un changement de location de votre bureau de scrutin en prétendant être Élection Canada. Ce stratagème, avec d’autres types d’appels décourageant par toutes sortes de moyens les électeurs-trices d’aller voter, est endémique aux USA. En plus de mener une véritable lutte pour se faire inscrire dans de nombreux cas, il n’est pas dit que vous pourrez voter, ou même voudrez voter pour autant.

Dans presque tous les États sous pouvoir républicain, (l’organisation et la gestion des élections sont sous le contrôle et la responsabilité des États) de vastes manœuvres ont été entreprises pour « purger » les listes électorales d’inscritEs qui, parait-il, ne devraient pas y figurer pour une raison ou une autre, selon le bureau responsable. Des lois et règlements ont été adoptés pour resserrer les exigences en matière de preuve d’identité, souvent à la dernière minute. Le nombre de jours de vote a été réduit de 14 à 8 en Floride et le nombre de machines à voter dans les bureaux de vote. Bonjour les heures d’attente sous la chaleur en plein jour de travail : vous sacrifiez votre salaire pour exercer votre droit de vote… ! Typiquement, les populations ainsi visées sont réputées voter pour les démocrates.

Dans un reportage publié dans le Harper’s de ce mois, Victoria Collier fait état des manipulations introduites avec les machines à voter et le transfert de la responsabilité du décompte des voix à des compagnies qui agissent hors de tout contrôle étatique. Elle estime que la population a perdu la capacité de vérifier les résultats électoraux. Elle démontre les liens étroits qui existent entre les fabricants de machines, les programmeurs et éventuellement les responsables de la lecture des résultats. Nous avons déjà fait état, sur ce site, d’une manipulation de la sorte en Ohio lors des élections de 2004,iv qui aurait fait perdre l’élection au candidat démocrate, John Kerry. Déjà, en 2005, la Commission pour la réforme du scrutin fédéral, présidée par Jimmy Carter et James Baker, avait déclaré clairement que la menace la plus directe à la sécurité du vote venait de l’intérieur, de ceux et celles qui avaient accès aux machines et qu’il n’y avait pas plus de raisons de faire confiance à cette industrie qu’à n’importe quelle autre.

Toutes ces manipulations sont, selon les commentateurs-trices les plus fiables, le fait de la droite républicaine qui veut à tout prix et par tous les moyens étendre son emprise sur la société toute entière. Karl Rove et ses acolytes veulent dominer totalement et pour longtemps la politique américaine.

Presque personne ne veut traiter ce sujet avec le sérieux qu’il mérite. Les journaux sont complices de la minimisation du problème et les politiques préfèrent se mettre la tête dans le sable. Un ancien sénateur du Vermont va même jusqu’à dire que la situation politique américaine, en ce moment, ressemble à celle qui a prévalu en Allemagne dans les années trente quand l’anticommunisme à mené les industriels et une bonne partie de la classe ouvrière dans les bras du fascisme.

Conclusion

L’envers de la victoire du président Obama c’est, malgré les premières apparences, la profondeur de la défaite des RépublicainEs. 1- Obama a un second mandat ; les RépublicainEs s’étaient juré qu’ils l’empêcheraient. C’est une profonde défaite qui modifie les rapports politiques au gouvernement. 2- Ils n’ont pas réussi à gagner la majorité au Sénat et les ténors de leur ligne la plus extrême, entre autre quant à l’avortement, ont été défaits. 3- C’est la défaite du Tea Party. Partout leurs candidatEs ont été battuEs ou en sortent avec une très courte victoire. Si la Chambre des représentants demeure sous contrôle républicain leur défaite dans les deux autres composantes du gouvernement les affaiblis considérablement. Les modérés auront plus de possibilités de faire valoir leur point de vue. La paralysie législative qui afflige ce gouvernement depuis plus de deux ans maintenant, risque d’être moins efficace.

Les différences entre les deux programmes qui ont été soulignées tout au long de la campagne et dont on a dit qu’elles donnaient à cette élection un caractère unique quant à la façon de conduire le pays, vont compter mais pas fondamentalement. Le nouveau président va devoir naviguer à vue en face des lourds intérêts à qui il est redevable même s’il a réussi à maintenir son financement populaire, semble-t-il. Comme ce fut le cas durant son premier mandat. S’il avait voulu ou pu s’appuyer sur sa large base populaire après son élection en 2008, il serait arrivé à d’autres résultats que ceux dont il peut faire état maintenant. Il s’était entouré, à ce moment-là, de conseillers liés au monde de la finance qui ont travaillé à établir une équation entre l’action publique et ces intérêts en leur assurant une protection maximale.

Ce n’est pas cette victoire qui va changer ce programme. Dans ces arbitrages, un peu sera donné au peuple beaucoup à cette ploutocratie.

Ce matin, The Nation site la directrice nationale de National United Nurses, Rose Ann DeMoro qui conseille aux nouveaux élus, le président en tête, de : « …se tenir du côté du peuple qui les ont éluEs. De rejeter toutes coupes à Social Security, Medicare, Medicaid, et (au contraire), de les renforcer et d’étendre les bénéfices de Medicare à toute la population. (Ils doivent aussi insister) pour que Wall Street commence à rembourser la nation pour les dommages causés à l’économie en leur imposant une taxe sur la spéculation, la taxe Robin Hood ».vi

On verra bien ! Nous reviendrons sur ces élections pour des analyses plus approfondies prochainement.

Gore Vidal a dit : « Aux États-Unis, il n’y a qu’un seul parti, celui des propriétaires. Il est constitué de deux ailes, la républicaine et la démocrate ». C’est une observation à ne pas oublier.

Notes

i Il s’agit d’organisations destinées à récolter des fonds pour intervenir dans les campagnes électorales sur leurs propres bases sans entente avec le candidat ou la candidate ou le parti en faveur de qui elles interviennent le plus souvent sous forme de messages publicitaires.

ii Ma traduction.

iii Thomas Frank, It’s a Rich Man’s World, How Billionnaires Backers Pick America’s Candidates. Harpers, op.cit.

iv Voir : le royaume secret de Karl Rove vu de l’intérieur, août 2012.

v Lire ou relire, Un président par défaut, sur notre site, mars 2012,

vi John Nichols, For Obama, a Bigger Win than for Kennedy, Nixon, Carter, Bush ou Bush, The Nation, 7 novembre 2012. Ma traduction.

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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