Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

Est-ce que le nouveau président élu du Nigéria pourra se sauver de lui-même ?

Eric Margolis [1], Common Dreams, 4 avril 2015

Traduction, Alexandra Cyr

Une des plus grandes nations africaines vient tout juste de réussir quelque chose d’important. Au cours de cette semaine, les Nigérians-nes ont élu sans équivoque l’ancien Président, Muhammadu Buhari. Du même coup, ce grand balayage a évacué M. Goodluck Jonathan de son poste. Mais, tout à son honneur, il n’a pas contesté les résultats ; une première en 55 ans depuis l’indépendance du pays.

Le nouveau Président, M. Buhari est un ancien général austère, ascétique, qui ne sourit pas. Il a déclaré que son premier but est de s’attaquer à l’endémique corruption dans le pays et d’écraser Boko Haram qui s’est installé dans le nord du pays. Il est intéressant de noter qu’alors que M. Buhari est musulman, il a reçu un appui important de la part des chrétiens du sud du pays. Habituellement, les 177 millions de citoyens-nes sont divisés sur des bases religieuses.

Le Nigeria est un des pays les plus corrompus dans le monde. Transparency International le classe au 144ième rang sur sa liste des 177 pays les plus corrompus, tout juste devant la République démocratique du Congo et Haïti. Je ne suis pas d’accord. Je pense que le Nigeria est probablement le pays le plus corrompu en Afrique et même dans le monde.

Depuis son indépendance et le départ des Britanniques en 1960, le Nigéria a reçu plus de 400 millions de dollars d’aide de la part de l’Europe et des États-Unis. C’est six fois le Plan Marshall qui a sauvé l’Europe après la 2ième guerre mondiale. Presque toute cette somme a été détournée.

Récemment, un ministre des finances a évalué que 380 millions de dollars avaient été volés depuis l’indépendance. La presque totalité de cette somme a été transférée dans les banques suisses et utilisée pour acheter des immeubles dans les beaux quartiers de Londres. On estime qu’un des anciens dictateurs militaires, M. Sani Abacha, a détourné 4 milliards de dollars au cours des années quatre-vingt avant de mourir dans son lit d’une attaque cardiaque. Il sortait d’une soirée en compagnie de deux prostituées indiennes.

Au Nigeria la corruption s’infiltre dans tous les aspects de la vie de la nation. Le revenu moyen est de moins de 2$ par jour. (…).

Le Nigéria est devenu connu dans le monde entier comme la source de torrents de courriels frauduleux qui offraient des millions en récompense à des gens peu informés. Ces fraudeurs nigérians auraient récolté 130 millions de dollars de cette manière ; preuve que la cupidité comme la sexualité dépassent le sens commun.
S’attaquer à la corruption toxique au Nigéria relève des travaux d’Hercule. Mais, dans l’immédiat il y a pire : se confronter à Boko Haram. Ce groupe de sauvages s’est attaqué aux civils-es depuis 2002. Personne en Occident ne s’en est préoccupé sauf un peu lors de l’enlèvement des 200 jeunes filles l’an dernier.

Boko Haram tout comme le groupe armé état islamique, n’est pas vraiment islamique. Mais ce mouvement coïncide parfaitement avec l’obsession hystérique occidentale à propos de la menace musulmane. Boko Haram est plutôt une réaction inévitable à l’outrageuse corruption qui règne au Nigéria. 1% de la population possède tout et les gouvernements qui ont précédé celui-ci ont favorisé les Chrétiens du sud aux dépens des Musulmans du nord.

Les groupes islamiques radicaux reçoivent un soutien populaire assez conséquent dans les pays musulmans. Ils y sont perçus, à tort ou à raison, comme moralement droits et incorruptibles. Là où la justice est à vendre, ces réformistes musulmans introduisent une justice particulièrement dure mais souvent honnête.

Les dictatures soutenues par l’Occident dans les pays musulmans sont souvent ancrées dans la corruption. L’Occident y est vu comme sa première source dans leurs sociétés. Que ces sociétés soient déjà infestées par la corruption n’est généralement pas compris. Mais les avions américains qui transfèrent les nouveaux billets de 100 dollars ne font que la soutenir.

M. Buhari a quitté le gouvernement nigérian à la fin de son mandat présidentiel sans s’être enrichi tout comme Gamal Abdel Nasser, l’incorruptible dirigeant égyptien. Il a ainsi gagné le maximum d’appuis possibles. On peut penser aussi au Général De Gaulle qui insistait pour rembourser l’État pour les appels personnels qu’il avait faits depuis sa résidence officielle. Comparez cela avec les dirigeants africains actuels et, disons avec les Clinton…

Au Nigéria, la misérable armée de 68,000 hommes est incapable de confronter Boko Haram pauvrement armé, soit parce que leur armement a été détourné par leurs officiers ou n’est jamais arrivé (dans les casernes). Conséquemment, le Nigéria a dû avoir recours à des mercenaires sud-africains blancs, pour combattre Boko Haram. Ça me rappelle les folles années de 1961-62 au Congo Belge alors que quelques centaines de mercenaires blancs, dirigés par « Mad » Mike Hoare [2] et « Col » Bob Denard [3] ont mis en déroute toute l’armée congolaise et les rebelles Simba.

Mais la menace la plus importante pour le Nigeria vient de la corruption accompagnée de la baisse des prix du pétrole. Cela contribue à enflammer les tensions tribales et ethniques entre le nord et le sud, bel héritage de l’impérialisme britannique. Heureusement, l’élection de M. Buhari peut atténuer les frustrations du nord qui voyait le sud recevoir la part du lion des sommes réparties par le gouvernement fédéral.
Il y a de l’espoir pour le Nigeria. Mais il a une énorme tâche à accomplir pour se refaire une réputation acceptable avant de commencer à aider son peuple. Les revenus du pétrole, que certains appellent « les excréments du diable » n’ont rien apporté aux 99% de la population nigériane. Preuve supplémentaire que l’abondance des ressources naturelles peut représenter une punition plutôt qu’un atout.


[1M. Margolis est un chroniqueur et auteur. Il suit depuis longtemps les conflits du Proche Orient. Son dernier livre s’intitule : « American Raj : Liberation or Domination ? Resolving the Conflict Between the West and the Muslim World »

[2Mercenaire d’origine irlandaise qui a d’abord servi dans les armées de divers pays et s’est installé en Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Il a regroupé d’anciens soldats s’est mis à leur tête et avec ces mercenaires s’est mis au service de divers pays dont beaucoup d’africains dans la foulée des indépendances. Il a agit au Congo avant et après l’indépendance.

[3Autre chef mercenaire mais lié aux anciennes colonies françaises en Afrique. Il a fomenté quelques coups d’État au passage. Il a « sévit » aux Commores jusqu’aux années 70. Il a collaboré avec les Services secrets français.

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