Édition du 19 novembre 2024

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Livres et revues

Entrevue avec Naomi Klein à propos de son dernier livre : No Is Not Enough : Resisting Trump’s Shock Politics

D.N. Juan Gonzalez : Les procureurs généraux du Maryland et de Washington D.C. ont déposé une poursuite contre le Président Trump pour corruption. Ils l’accusent de « violations constitutionnelles sans précédent ». La poursuite allègue, que D. Trump est en flagrante violation de la clause constitutionnelle sur les émoluments parce qu’il reçoit des paiements de gouvernements étrangers depuis qu’il est devenu Président.

D.N. Amy Goodman : La poursuite met de l’avant que les ambassades du Kuwait, de l’Arabie saoudite et d’autres pays, ont réservé des chambres et tenu des événements dans le très dispendieux Trump International Hotel sur l’Avenue Pennsylvania à Washington dans le but probable de gagner des faveurs de la part du Président Trump.

Democracy Now, 13 juin 2017 | Traduction, et organisation du texte, Alexandra Cyr

(…)

J.G. : La résistance au Président Trump est en progression depuis qu’il est entré dans le Bureau ovale. Elle a pris diverses allures. Le mois dernier, des artistes ont projeté « Payez vos pots-de-vin ici » sur la devanture du Trump International Hotel.

Pendant ce temps, le Président essuie un autre revers : la Cour d’appel du 9ième circuit a jugé unanimement lundi qu’il avait outrepassé son autorité légale en signant un décret qui vise à empêcher l’accès des États-Unis aux réfugiés-es et ressortissants-es de six pays à majorité musulmane.

A.G. : Aujourd’hui nous passons le reste de notre émission avec quelqu’un qui a suivi précisément les diverses formes de résistance à la Présidence Trump. (Nous recevons) l’auteure, la journaliste et la militante, Naomi Klein. Elle a déjà publié The Shock doctrine, et This Change Everything : Capitalism vs the Climate. Elle nous arrive avec un nouveau livre intitulé : No Is Not Enough : Resisting Trumps’s Shock Politics and Winning the World We Need. Dans cet ouvrage N. Klein écrit : « C’est une tentative de rendre visible ce qui nous a amenés à cette conjoncture politique surréelle. C’est aussi une tentative de voir comment, avec les chocs et les crises, tout pourrait empirer sérieusement. Et c’est aussi un plan pour voir, si nous gardons la tête froide, il se peut que nous soyons tout juste capables de modifier un peu le scénario et de nous donner un avenir foncièrement meilleur ».


Naomi Klein, soyez la bienvenue à Democracy Now ! (…) C’est bien agréable de vous avoir avec nous. Vous commencez votre tournée des États-Unis. Votre bouquin s’intitule : « No Is Not Enough ». Qu’est-ce que vous voulez dire (avec ces mots) ?

Naomi Klein  : Oui. Comme vous le savez, Amy, j’ai étudié les crises et les chocs dans beaucoup de pays depuis longtemps. Et pour être honnête avec vous, quand j’ai écrit The Shock Doctrine il y a 10 ans maintenant, je pensais que dire NON était suffisant. J’ai pensé que nous comprendrions cette tactique particulière et ce que je voulais dire par l’expression « the shock doctrine ». C’est-à-dire que les gouvernements de droite ont systématiquement utilisé les grands chocs dans les sociétés, les grandes crises, les crises économiques, les guerres, les coups d’État, les désastres naturels et la désorientation et la panique sociale pour mettre de l’avant des programmes très radicaux en faveur des entreprises. J’ai participé à cette émission plusieurs fois et j’ai donné des exemples de cela comme l’ouragan Katrina. Cette tragédie et la dislocation du tissu social de cette ville qu’elle a provoquée, ont été utilisées par l’administration de G.W. Bush, pour privatiser le système scolaire, attaquer les logements sociaux et ouvrir une zone franche, sans imposition des entreprises. Mais après la sortie de ce livre, en 2007, nous avons subi la crise financière de 2008. Partout à travers le monde, les gens ont dit NON. Ils savaient tous qu’il allait falloir payer pour la crise des banquiers. Ce furent les sortis-es dans les rues, l’occupation des places publiques pendant des mois en disant : « Non ! Nous ne paierons pas plus » ! Mais dans beaucoup de cas, il n’y avait pas de plan pour aller plus loin, faire autre chose, au-delà de simplement dire nous ne voulons pas l’austérité, nous ne voulons pas les attaques. Il n’y avait pas de plan crédible à mettre de l’avant dans beaucoup de situations pour voir comment nous pourrions avoir une économie différente, plus correcte qui pourrait répondre aux raisons sous-jacentes à la survenue de ces chocs.

Donc, je pense qu’en ce moment D. Trump est une sorte de choc ambulant. Chaque jour apporte une nouvelle choquante de plus. Vous venez juste d’en donner quelques exemples dans vos manchettes. Mais, en arrière scène, le bon vieux programme avance à toute vitesse. Je me demande ce qui arrivera si jamais ils avaient des chocs encore plus importants à exploiter. Il ne s’agit plus de D. Trump lui-même, de ce qu’il fait, des diverses enquêtes à son sujet, de ses multiples gaffes, des quelques variations de drames de palais et tout le reste. Je pense qu’il est crucial qu’en nous préparant pour tout ça, nous comprenions qu’il nous faut être décidés-es quant à ce que nous voulons au-delà de la doctrine du choc. Voilà pourquoi j’ai donné le titre de No Is Not Enough à mon livre, et que le NO est énorme sur la couverture. Je veux être sûre que personne n’échappe au message. C’est une prise de conscience chèrement acquise après des années (de réflexion).

J.G. : Pour moi, une des choses intéressantes qui ressort de la lecture de votre livre, ce sont les liens que vous faites. Par exemple, tout le travail que vous avez fait depuis longtemps autour de la notion de « marque » (branding dans le texte). (Vous expliquez) comment l’administration Trump est devenue la marque du Président et comment il a compris l’importance de la marque depuis un bon moment, depuis l’époque où il animait et produisait l’émission The Apprentice. (…) En fait vous parlez, vous analysez The Apprentice et son impact sur la conscience américaine.

N.K.  : Exact. Je pense qu’il nous faut comprendre comment Trump ne joue pas selon les règles politiques (établies). Il utilise les règles compatibles avec une marque. Vous savez, il y a eut des conflits d’intérêts à la présidence bien avant aujourd’hui. Il y a eu des présidents avec des intérêts d’affaires avant aujourd’hui. Mais il n’y a jamais eu une marque complètement commercialisée au poste de Président. C’est sans précédent parce que c’est un modèle d’affaires relativement nouveau. Ce modèle adopté par l’Organisation Trump, n’existait pas vraiment avant les années quatre-vingt-dix. C’est ce que, dans mon premier livre No Logo, j’appelle le modèle de marque en creux. D’accord ? Le modèle vient de ce que….Vous avez un produit ; ce peut être du riz, ou des haricots ou encore des chaussures, c’est le début de l’histoire des marques. Avant tout, vous êtes un manufacturier. Vous voulez que les gens achètent votre produit ; donc vous créez une marque. Vous y posez un logo. Vous vous identifiez à votre marque, créez une sorte d’icône comme Uncle Ben’s ou n’importe quelle autre. Vous donnez (à votre produit) une sorte de personnalité.

Cette stratégie a cessé de fonctionner au cours des années quatre-vingt. Les consommateurs-trices ont compris le truc. La citation la plus reprise probablement, venant de mon livre No Logo vient d’un conseiller exécutif en publicité qui dit : « Les consommateurs-trices sont comme des poissons d’eau douce. Vous les arrosez encore et encore, après un certain temps on les immunise ». C’est vraiment amusant d’entendre le fond de la pensée d’un publicitaire à propos des consommateurs-trices. Donc, le marketing est devenu plus ambitieux et nous avons commencé à voir des compagnies se présenter comme des marques de mode de vie. Elles disent : « Non, nous ne produisons rien. Nous sommes dans l’industrie de la vente d’idées et d’identité ». Nike en est l’exemple absolu. Son P.D.G., Phil Knight, a déclaré : « Nous ne sommes pas une compagnie de chaussures de sport. Nous ne sommes pas une compagnie de chaussures. Nous nous situons dans la transcendance par le sport. D’accord » ? Starbucks n’est pas une compagnie qui vend du café ; elle vend l’idée de communauté et des endroits sympathiques pas compliqués (pour le boire). Et vous savez, Disney était une famille. Et ainsi de suite. Les entreprises arrivent et déclarent : « Nous avons une grande idée ». Ça change dramatiquement la fabrication. Parce que lorsque vous décidez que vous êtes une entreprise qui vend une idée et non un produit, le fabricant du produit n’a plus d’importance. Vous ne voulez posséder que le minimum d’infrastructures possible. Votre nom est votre valeur réelle selon comment vous l’exploitez.

Donc, les entreprises Trump étaient assez traditionnelles jusqu’aux années quatre-vingt. D. Trump n’était qu’un gars qui construisait des édifices et qui avait du flair pour le marketing. Tout ça a changé pour lui avec The Apprentice. Il s’est tout à coup rendu compte qu’il pouvait entrer dans la stratosphère de super marques. Son modèle d’affaires a changé. Il ne s’agissait plus de construire ou vendre des édifices. D’autres allaient le faire. Il s’agissait de structurer le nom Trump et le vendre ou le louer de toutes les manières possibles. On s’est retrouvés avec l’eau Trump, les steaks Trump et l’Université Trump avec sa situation pas commode du tout. Donc, il y a beaucoup de tours Trump à travers le monde, des installations touristiques Trump qui ne sont pas la propriété de Trump Organisation. Des développeurs lui paient des millions de dollars pour avoir le privilège d’afficher ce nom sur les tours (qu’ils construisent).

Cela a d’énormes implications pour notre compréhension de la corruption au cœur de la décision de D. Trump de fusionner sa marque mondiale avec le gouvernement américain. Car c’est ce qui se passe en ce moment sur de multiples fronts. Honnêtement, ça signifie que chaque fois que nous prononçons le mot « TRUMP » même si c’est pour le décrier, nous participons à son marketing. Et la poursuite déposée par les procureurs généraux (…) du Maryland et du district de Washington, (peut-être que New York y viendra) s’attaque à une partie de cette situation. Clairement, des gouvernements étrangers favorisent les hôtels Trump comme moyen d’entrer dans les bonnes grâces du Président. Mais, le conflit est plus permanent que cela. La grande idée de Trump, l’idée au centre de sa marque, c’est que le pouvoir vient avec la richesse. Donc plus vous êtes puissant…Et bien sûr, il a réussi à attraper la position la plus puissante dans le monde. Ce fait à lui seul augmente massivement la valeur de sa marque. Ce sont ses fils qui encaissent le résultat sur tous les fronts en vendant ce nom à des prix toujours plus élevés. Comme il ne s’est pas retiré de la Trump Organization il en profite aussi tout en étant Président. Donc le conflit d’intérêt est imbriqué et se passe à chaque seconde.

A.G. : Donc, parlez-nous du blocage de la marque Trump. Comment faire ?

N.K.  : Les termes « blocage culturel » étaient très en vogue dans les années quatre-vingt-dix alors que ces super marques émergeaient et commençaient à afficher leur nom de plus en plus. Peut-être vous rappelez-vous des campagnes comme « N’en achetez pas » qui donnaient à voir les ateliers de misère où étaient fabriqués les produits Nike. Et « Joe Cancer » qui s’attaquait à Joe Camel le personnage de dessin animé qui en fin de compte vendait des cigarettes aux enfants.

Alors, je me suis mise à réfléchir à la manière de bloquer la marque Trump. Je pense qu’il faut prendre Trump à ses propres mots jusqu’à un certain point. Et cette idée selon laquelle nous allons l’attraper, lui nuire en prouvant sa corruption, qu’il traite affreusement les gens, c’est s’attaquer à sa marque. Selon sa marque il est le patron, et il peut faire tout ce qu’il veut. C’est ce qu’il vend depuis des décennies, plusieurs décennies.

(…)

J.G. : Revenons à The Appprentice. Comme vous le décrivez si bien, il s’agissait de vendre la marque coupe gorge du capitalisme. Vendre aux Américains-es une manière d’être, de se comporter. Et….

N.K.  : Oui. C’est la lutte des classes télévisée. En ouverture, on voit un sans abri qui dort dans les rues de New York et il se rend à la limousine de D. Trump qui passe par là. Ce que cela dit réellement, c’est : « Qui voulez-vous être ? Le sans abri ou D. Trump » ? D’accord ? Vous savez, cela arrive (réellement). Cette émission a été mise en onde alors que la population comprend que le néolibéralisme ne profite pas à tout le monde. C’est le monde des coupes gorges, des gagnants-es, des perdants-es. Et donc, qui voulez-vous être ?

C’était très bien illustré par The Apprentice et c’est devenu de plus en plus brutal au fur à mesure que l’émission avançait. Vous savez, je ne savais pas ça avant que je commence la recherche pour ce livre. Je dois l’admettre. J’ai peut-être regardé The Apprentice deux ou trois fois. Je ne savais pas qu’au cours des dernières saisons, ils avaient installé la moitié de leurs concurrents-es dans des tentes dans l’arrière-cour. Ils ont appelé ça le parc de roulottes Trump. En plus, ils ont diffusé à grand volume des jappements de chien la nuit. C’était l’idée de créer un drame à même les terribles inégalités du système économique. Les gens qui dormaient dans la cour, qui avaient été installés dans le parc de roulottes Trump, allaient tenter de regarder par-dessus la clôture ceux et celles qui vivent dans les grandes et luxueuses maisons, boivent du champagne et qui batifolent dans la piscine. D’accord ? Je pense que cela faisait partie de sa tentative de plaire ; ne pas défier ces inégalités massives, mais de promettre que si nous jouons selon ses règles nous pourrions aboutir dans de grandes et luxueuses maisons. Et c’est d’autant plus alléchant qu’il y a des gens qui dorment dehors…. Mais vous avez gagné. D’accord ?

Vous voyez, c’est essentiellement le message du Président durant sa campagne électorale. La promesse de vous faire progresser économiquement. Mais il choisit quelques-un-es : la classe ouvrière blanche aux dépens explicites des gens de couleurs laissés à la brutalité. C’est la formule qu’il a affûtée dans l’expérience The Appentice qui a été si profitable, qui a généré tant de cotes d’écoute. Le monde est maintenant devenu une émission de télé-réalité. J’ai cité Newt Gingrich (Républicain, ex-président de la Chambre) dans mon livre. Il a soutenu D. Trump si ardemment. On lui avait demandé ce qu’il pensait de D. Trump qui continuait à être le producteur de Celebrity Apprentice. Sa réponse est une de ses rares critiques du Président. Il a répondu que c’était une mauvaise idée maintenant qu’il était devenu le producteur exécutif d’une émission appelée Les États-Unis. Je pense que c’était un rare moment de vérité. Nous avons tous été recrutés-es pour jouer les travailleurs-euses temporaires dans ce spectacle.

A.G. : Eh ! bien, je pense que D. Trump a déclaré que cette semaine était celle de The Apprentice. Avec sa fille Ivanka, qui est aussi sa conseillère, ils se rendent au Wisconsin aujourd’hui, à Waukeska où GM ferme une usine pour la transférer au Canada d’où vous venez. (…) Cette fin de semaine, 4,000 personnes se sont entassées au centre de conférences de McCormick Place (Chicago) pour le Sommet populaire. Le sénateur indépendant et ex-candidat à la présidence, Bernie Sanders a prononcé le discours de bienvenue. Au cours de ce discours, il a sans cesse critiqué le Parti démocrate le qualifiant d’« échec absolu » et le tenant responsable de l’élection du Président Trump.

Bernie Sanders : Les médias et beaucoup d’autres me demandent souvent comment il se fait que Donald Trump ait été élu. Il était le candidat à la présidence le plus impopulaire de l’histoire moderne du pays et il a gagné. Je leur réponds que D. Trump n’a pas gagné cette élection. Ce sont les Démocrates qui l’ont perdue. Soyons très, très clairs : le modèle actuel du Parti démocrate et ses stratégies actuelles sont un échec absolu. Ce n’est pas mon opinion, c’est un état de fait. Nous nous concentrons beaucoup sur l’élection présidentielle mais il ne faut pas oublier que les Démocrates ont aussi perdu la majorité à la Chambre et au Sénat. Les Républicains-es contrôlent maintenant les deux tiers des postes de gouverneur au pays. Et depuis les neuf dernières années les Démocrates ont perdu presque 1,000 sièges dans les parlements des états dans ce pays. En ce moment, ce Parti n’est pas présent dans plus de la moitié des états américains. Alors, si ce n’est pas un échec, un modèle sans issues je ne sais pas ce qu’est un modèle sans issues.

A.G : C’était Bernie Sanders et son discours samedi au Sommet populaire à la Place McCormick à Chicago. Cet événement était organisé par différents groupes dont, au premier chef, Nurses United, des infirmiers-ères de tout le pays. Environ mille infirmiers-ères étaient là. Naomie, nous y étions toutes les deux. Pouvez-vous nous parler de ce que signifie ce discours de B. Sanders ? Mais rappelez-vous qu’il fait partie du leadership démocrate. (…) en ce moment, au Sénat. Il semble être difficile à atteindre. Il a fallu le convaincre de venir ici. Mais il est férocement critique du Parti démocrate.

N.K. : Ouais ! Je pense qu’il se tournait la langue sept fois dans la bouche. Peut-être que je me trompe, mais il me semble qu’il pensait peut-être à ce qui vient d’arriver à Jeremy Corbin. Je rentre tout juste d’Angleterre. C’est un parallèle intéressant. Jeremy a été élu par un mouvement d’insurgés-es de la base, mené par des jeunes, le Momentum in the U.K. Un grand nombre de jeunes ont adhéré au Parti travailliste pour soutenir J. Corbin. On les a traités-es comme des envahisseurs au lieu de se réjouir de leur intérêt pour le Parti. C’est le fait de l’establishment du Parti travailliste renommé Nouveau parti travailliste par Tony Blair à la fin des années 1990. C’est une sorte de parti teinté d’un peu de classe ouvrière par opposition à un parti composé de travailleurs-euses. Il utilise les instruments du marketing au lieu d’être un parti qui sait pourquoi il se bat et pour qui il se bat.

Donc, J. Corbin a été élu et immédiatement une campagne de sabotage s’est enclenchée contre lui : (Cette élection), c’était la fin du monde. Il ne pouvait pas mener le Parti à la victoire. On l’a sali. Il y a eut une manigance pour lui retirer son siège. On l’a saboté sans arrêt. Les députés (travaillistes) ont organisé des fuites d’information compromettantes pour que la presse le voie négativement. On l’a saboté sur tous les fronts. Mais l’insurrection a finalement prévalu dans l’actuelle campagne. Cette campagne électorale en a beaucoup dérangé au Royaume uni. Mme May n’avait pas besoin de cette élection. Elle avait dit qu’elle ne la déclencherait pas. La raison pour laquelle elle l’a fait, c’est qu’elle était convaincue qu’elle allait fortement augmenter sa majorité et ainsi avoir un mandat plus solide pour négocier le Brexit et, selon elle, arriver au meilleur résultat possible. Et c’est finalement une énorme déception, elle a perdu tous ces sièges et sa majorité. Jeremy Corbin a gagné 30 sièges.

(…)

J.G. : Je voulais vous demander….Dans No Is Not Enough, vous soulevez quelques critiques sur un certain manque de succès au cours des primaires. Vous expliquez que certaines personnes ont déclaré que Mme Clinton avait mené une campagne de politique identitaire et que les machinations que le Parti démocrate a constamment fait jouer contre (B. S.) étaient aussi du domaine des identités politiques plutôt que des politiques de classe. Vous critiquez ces explications. Pourriez-vous nous en dire plus (à ce propos).

N.K.  : (…) J’ai soutenu B. Sanders. Je pense qu’il est une voix d’une grande importance (dans la conjoncture actuelle) et je lui en suis très reconnaissante. Mais je pense que nous ne nous rendrions pas service, nous les progressistes, ceux et celles d’entre nous qui croyons que nous vivons un moment de profond changement, pas de petits changements superficiels, en ne nous engageant pas dans une auto critique. Je suis un peu intriguée quand j’observe à quel point certains aspect du débat sont figés, comme si nous étions toujours à l’étape des primaires. Vous croisez des gens qui pensent dur comme fer que : « Bernie aurait gagné… » et des partisans-es d’Hilary qui se battent encore et blâment les partisans-es de Bernie pour la défaite de leur candidate. Il faut sortir de ce débat.

Mais je pense que parmi les gens qui ont soutenu Bernie, comme les milliers qui participaient au Sommet populaire, il est très important de comprendre pourquoi il n’a pas réussi à se rendre jusqu’au bout. 13,000 de personnes ont voté pour lui et il a gagné dans 22 États. Pour quelqu’un qui se présentait comme un démocrate socialiste il est parvenu au plus haut point jamais vu. Sa campagne était une révolution politique. C’était incroyable ! Mais je ne crois pas qu’il ait perdu la primaire parce que la base du Parti démocrate est trop conservatrice par rapport à lui. Je pense qu’il a perdu parce qu’il n’a pas réussi à créer des liens valables avec une partie suffisante de l’électorat de couleur et les latinos. Ce sont des personnes qui généralement sont plus progressistes à la base du Parti démocratique. De même avec les femmes plus âgées. Elles ont eu l’impression que les enjeux qui leur sont propres étaient de trop ou mis de côté pour plus tard.

Je pense franchement que la meilleure citation dans mon livre à ce sujet est celle de Michelle Alexander, l’auteure de The New Jim Crow. (Ce titre réfère aux lois sur la ségrégation qui ont prévalu dans les états du Sud américain de 1876 à 1964. N.D.T.) C’est une merveilleuse auteure, une théoricienne et une militante. Elle m’a dit que si les progressistes ne pouvaient faire mieux avec l’électorat noir, pour comprendre le rôle des races dans l’histoire américaine et passer à un autre discours : « Il vaut mieux qu’ils se dépêchent de contacter Elon Musk (industriel des voyages dans l’espace. N.D.T.) parce qu’il leur faudra une autre planète ». Il y avait quelque chose de particulièrement inspirant dans le Sommet populaire. La critique était vraiment enchâssée dans l’organisation de la fin de semaine ; l’ouverture a été donnée aux organisateurs-trices de couleur du mouvement Million Hoodies. Nous avons entendu les présidentes de la Marche des femmes dont Linda Sarsour (Américaine d’origine palestinienne, militante politique progressiste) le soir de l’ouverture. Elle a souligné explicitement la nécessité d’une politique de croisement comme Kimberlé Crenshaw (figure majeure du mouvement féministe et de la Critical Race Theory, professeure l’École de droit de l’Université Columbia N.D.T.), en a si intelligemment structuré le concept. Elle a insisté : « Non ce n’est pas une compétition entre des politiques de classe, économiques ou soi-disant d’identité. Tout ça est intimement interconnecté. Et nous ne pouvons comprendre l’histoire des États-Unis et ce qu’est son économie si nous ne comprenons pas à quel point les races ont été systématiquement utilisées aux fins d’une politique de division qui a renforcé la brutalité du système économique ».

Donc, je pense que cette critique tombe juste. Dans mon livre ma critique n’était pas faite de désignations spécifiques. Mais, simplement à partir de ce que nous voyons avec les candidatures de Bernie Sanders, de J. Corbyn et celle de J.L.Mélanchon en France qui est arrivé à 2 points de………. (du 2ième tour. N.d.t.) Tout à coup, ses ralliements rassemblaient 70,000 personnes. C’était la campagne énergique. Et il est arrivé à 2 points de Marine Le Pen, presque candidat au 2ième tour ce qui nous aurait donné une course de type Hillary figure néo libérale ce qu’est E. Macron qui est un ancien banquier qui a imposé une économie d’austérité au gouvernement Hollande malgré que celui-ci se soit fait élire avec un programme qui devait résister à l’imposition de l’austérité en France. Et contre lui, il y aurait eu Mélanchon. Quelle intéressante campagne cela aurait été !

(…)

J.G. : Plus tôt ce mois-ci, le Président Trump a annoncé que les États-Unis allaient se retirer de l’accord de Paris sur le climat qui a été signé par presque 200 pays en 2015. (…) Dans son discours, il fait part de sa volonté de négocier une meilleure entente : « Donc, nous nous retirons (de cet accord) mais nous allons commencer à négocier. Nous allons voir si nous pouvons arriver à une entente plus équitable. Si nous réussissons ce sera magnifique. Si non, ce sera correct. Je suis prêt à travailler dès maintenant avec les dirigeants-es démocrates pour, soit revenir dans l’entente selon des termes plus justes pour les États-Unis et ses travailleurs-euses soit pour négocier un nouveau pacte qui protégera notre pays et ses contribuables ». Naomi Klein, une nouvelle entente ?

N.K. : Juan, je ne peux tout simplement pas attendre. Ça nous a pris 25 ans pour arriver à cette entente. Je devrais attendre un autre 25 ans pour avoir un nouvel accord, peut-être ?

En matière de changements climatiques, nous n’avons surtout pas de temps. (…) Tout ce qu’il vient de dire est si extraordinaire, particulièrement cette idée que cet accord est injuste pour les États-Unis. C’est son argument le plus fort. Mais, (en réalité), l’accord est si faible ; il n’oblige personne à rien. Ce sont les négociateurs-trices américains-es qui se sont assurés de cela. Ce fut une bataille féroce, becs et ongles et ce n’était pas sous l’administration Trump mais bien sous celle d’Obama. Il le fallait parce que l’entente devait revenir aux États-Unis. Si elle avait comporté des obligations quelconques, il aurait fallu la faire adopter par la Chambre sous contrôle républicain. C’était l’échec annoncé. Donc, les États-Unis se sont battus contre le monde entier qui voulait un accord contraignant. Il s’est fait dire qu’en ce cas, les États-Unis ne seraient pas dans la partie.

En ce moment, cet accord n’est qu’un assemblage du meilleur que chaque pays peut mettre sur la table. Les États-Unis ont déposé le Clean Power Plan du Président Obama. C’est un plan qui accélère l’arrêt des centrales au charbon, impose des restrictions aux nouvelles centrales utilisant ce combustible et exige qu’elles captent plus de carbone. C’était une fraction de ce que les États-Unis devaient présenter pour adhérer à l’accord de Paris dont l’objectif est que le réchauffement ne dépasse pas 1,5 à 2 degrés Celsius. Quand l’accord a été annoncé j’ai blagué : les gouvernements du monde se sont réunis et ont déclaré : « Nous savons ce qui est nécessaire, ce que nous devons faire. Nous sommes d’accord pour en faire la moitié ». Parce que si vous additionnez ce que tous les gouvernements ont mis sur la table, ça n’arrive pas à la hauteur de ce qui est nécessaire pour maintenir le réchauffement au niveau de leur engagement. Au contraire, il va le doubler.

Mais l’administration Trump a déjà annoncé qu’elle ne ferait même pas cet effort. Et tout le débat sur rester dans l’accord ou en sortir est traité comme s’il ne valait pas le papier sur lequel il est écrit. Cela peut avoir une influence insidieuse sur d’autres gouvernements. Si un adhérant à un accord basé sur la bonne foi, qui plus est, la plus grande économie du monde, traite cela comme une blague, et c’est ce qui se serait produit si le Président Trump avait décidé d’y rester, vous encouragez d’autres gouvernements déjà prêts à se retirer…. (L’administration Trump) a été claire à ce sujet dès qu’elle a annoncé qu’elle abolissait le Clean Power Plan. Au Canada, le gouvernement Trudeau est allé à Paris faire de beaux discours et quand il est rentré au pays, il a approuvé l’ouverture de deux nouveaux oléoducs, a salué avec enthousiasme l’autorisation de l’administration Trump à Keystone XL. Donc, trois nouveaux oléoducs.

J.G. : Je voulais justement vous demander l’impact du mouvement sur les changements climatiques depuis trois mois, toutes ces actions pour renverser (les décisions) de D. Trump…. (autorisation de Keystone et Dakota Access. (…) Quelle idée vous faites-vous des conditions pour que ce mouvement puisse fonctionner ? (…) Et aussi, l’importance de la résistance locale, des villes et des états envers le gouvernement fédéral ?

N.K. : He ! bien, pour être honnête, je pense que…le choc de voir le Président dans le jardin des rosiers (de la Maison-Blanche) faire un doigt d’honneur au monde entier, va sûrement déclencher des réactions dans d’autres pays et ici, à l’intérieur, dans les états et les villes. Nous allons comprendre que c’est le temps de nous lever, d’élargir nos ambitions. Je pense que si nous avions été plus ambitieux, il se serait contenté de laisser aller, faire comme si rien ne se passait et est-ce qu’Ivanka a une bonne influence sur lui ? Est-ce que les choses vont s’améliorer ? (Sans cette décision), je ne crois pas que nous aurions vu la réponse forte qu’ont donnée des centaines de maires qui ont déclaré : « Non ! Nous sommes engagés envers l’accord de Paris ». Et le maire de Pittsburgh qui déclare publiquement après que D. Trump ait dit : « J’ai été élu par les gens de Pittsburgh, pas par ceux de Paris », qu’il n’avait pas été élu par les électeurs-trices de Pittsburgh. Leur vote est allé vers Mme Clinton et que, cette ville fonctionnera aux énergies propres à 100% en 2035. C’est exactement le niveau d’objectifs dont nous avons besoin partout si nous voulons arriver à la cible élevée de non-augmentation de la température déterminée par l’accord de Paris, soit moins 1,5 degré Celsius.

(…)

Bien sûr nous ne voudrions pas ce qui arrive, nous ne voudrions pas que D. Trump soit Président. Nous ne voudrions pas toutes les mauvaises options qui sont sur la table en ce moment. Mais, compte tenu de ce dont nous disposons, j’observe que les gens se mobilisent. C’est ce que le mouvement sur le climat doit faire : envoyer un message clair qu’à cause de la négligence, que parce que le gouvernement fédéral est devenu un escroc partout où Trump ne contrôle pas (ce sont les autres institutions qui devront agir), que ce soit les universités avec leurs portefeuilles d’actions du secteur des énergies fossiles, les États qui peuvent fonctionner à 100% d’énergies renouvelables très, très vite. Car ce n’est pas le fédéral qui vous donne de l’énergie, ce sont les États, les provinces, les villes. Dans ces milieux, D. Trump ne contrôle rien ; nous devons demander plus. Et Dieu merci, le mouvement pour la justice climatique est vraiment concentré sur cela et comprend qu’il faut agir tout de suite. Je pense aussi qu’il y a plus d’exigences même dans les Universités qui sont plus ouvertes à se retirer de leurs actions du secteur énergétique fossile ce qui reporte la pression financière sur l’industrie.

A.G. : Je veux que nous parlions aussi des soins de santé. Vous venez du Canada. Ce sujet a été au cœur des discussions au Sommet populaire. Il y avait là 1,000 infirmiers-ères de la National Nurses United sur 4,000 participants-es. Vous y avez souligné à quel point c’était critique en ce moment et qu’il fallait nous saisir de ce qui se passe. Lundi, le Sénateur Sanders à publié un Tweet : « DERNIÈRE HEURE : les Sénateurs-trices républicains-es ont publié un horaire d’auditions, de réunions en comité, de témoignages publics dans le cadre de la divulgation de leur projet de loi ». Il a ajouté une page blanche…Est-ce que ce n’est pas le moment où les gens de partout dans le pays, pourraient présenter quelque chose de différent d’Obamacare et certainement différent de ce que les Républicains-es mettent de l’avant ? Certains sondages laissent entendre qu’une majorité de la population du pays (cherche autre chose). De quoi cela pourrait-il avoir l’air ?

N.K. : Oui. Et cela commence. Je pense que c’est un effet Sanders. Il a été si populaire quand il a défendu devant les foules le modèle du « payeur unique », le modèle canadien.

A. G. : Mais jusqu’ici il n’a pas déposé de nouveau projet de loi allant dans ce sens.

N.K.  : Mais, en Californie, le Sénat s’en approche. Il vient de faire un pas de plus vers ce modèle pour l’État. L’administration Trump devient un véritable escroc sur tous ces sujets. Cela crée un espace pour des contre positions fortes au niveau supra national, au niveau des municipalités. Le climat en est un exemple, les soins de santé aussi. Imaginez que ce soit en train de bourgeonner partout dans le pays. Les gens se rendent compte dans leur propre vie, que c’est possible d’avoir un système bien moins bureaucratique, plus simple avec des soins de qualité pour moins chers.

C’est ce que nous avons au Canada. Mais, malheureusement le système a constamment été mis sous pression par divers politiciens-nes qui lui ont coupé une partie de son financement. Mais, c’est encore un bon système malgré tout ce qu’on peut en entendre dire. Car on entend beaucoup de critiques sévères à son égard, dont les longues listes d’attente. Je ne veux pas le surestimer, mais pensez à ce qui vient d’arriver à Jeremy Corbyn au Royaume uni. Parmi ses messages les plus puissants il y avait ceux concernant NHS (National Health Service, le service de soins public) qui a été systématiquement sous financé dans l’objectif de le préparer à la privatisation. Il a nommé cela. Et il a fait une superbe campagne publicitaire sous la direction de Ken Loach où des infirmiers-ères, des médecins, dont des pédiatres, ont dénoncé à hauts cris que des enfants devaient faire 500 km pour être hospitalisés loin de leur famille qui ne pouvait les visiter. Les gens se sont levés. Ils ont été galvanisés par le désir de récupérer leur système. Parce que quand vous bénéficiez de services de soins publics, plus aucun politicien, aucune politicienne ne peut faire campagne contre. C’est pourquoi le démantèlement se fait toujours morceau par morceau. Les candidats-es aux élections vont toujours invoquer la défense du système, que ce soit au Royaume uni ou au Canada. Autrement, ils ou elles ne seraient jamais élus-es. Leur truc ensuite, c’est le démantèlement petit à petit, des coupes de budget de quelques milliers de dollars en disant : « C’est impossible. (de faire autrement). Les listes d’attente sont trop longues ».

J.G. : (…) Dans votre livre, vous dites que le mouvement doit avoir une vision claire du monde qu’il désire. Parlez-nous du « Leap Manifesto » le manifeste, Un bond vers l’avant. Dites-nous ce qu’il représente.

N.K.  : Dans mon livre je soutiens que la plus grande victoire du projet néo-libéral remonte à Margareth Thatcher lorsqu’elle a déclaré, il y a plusieurs décennies, qu’il n’y avait pas d’alternative ; que quels que soient les effets dommageables pour nos vies de ces politiques, les alternatives seraient pires. C’était une sorte d’apocalypse économique (annoncée). Et je pense que quand nous avons décroché de cet anathème pour répondre à la crise de 2008, nous avons ouvert une première période de résistance avec Occupy Wall Street et d’autres mouvements partout à travers l’Europe. C’était le signe que le néo-libéralisme se fissurait et que les gens avaient le courage de dire : « Nous ne voulons pas de ce modèle ». Mais, d’une certaine manière il nous a manqué le courage de pousser plus avant et de dire : « Voici ce que nous voulons au lieu de cela. C’est le type d’économie que nous pensons viable. Nous avons les ressources nécessaires, en ces temps de richesse privée sans précédent, pour fournir à tous et toutes les soins de base : des soins de santé de qualité, une éducation de qualité et un logement pour chacun-e. Nous pouvons…nous comprenons que la guerre diminue notre sécurité. Nous voulons être une société que accueille les réfugiés-es et ceux et celles qui sont dans le besoin, (nous voulons) une vision qui transforme. Nous croyons que nous pouvons faire tout ça de telle manière que nous arrivions à 100% d’énergie renouvelable aussi vite que la technologie le permet. Et dans ce processus nous allons créer un nombre énorme d’emplois ». Nous n’y sommes pas encore. Nous n’avons pas encore eu assez confiance de pouvoir y arriver. Je pense que c’est le poids du néo-libéralisme qui subsiste. Mais ça change réellement.

Le manifeste Un bond vers l’avant au Canada est un exemple d’un mouvement qui s’unifie. Il a été endossé par 220 organisations de tout genre depuis de petits groupes de la base, de grandes ONG jusqu’aux plus grands syndicats du pays, en passant par les fédérations de travailleurs-euses. C’est un regroupement pour tenter d’élaborer un début de plan qui définit ce que sont des politiques commerciales progressistes et comment nous allons opérer cette sortie des énergies fossiles pour que tout ça puisse diminuer les blessures qui datent de la fondation du pays. Il s’agit de mettre les droits des Amérindiens-nes au centre du projet tout comme la justice raciale et de faire le lien entre les changements climatiques, les migrations, les guerres et les mauvaises ententes. Ce n’est pas un document parfait mais, selon moi, c’est un exemple de ce que je décris dans mon livre, une sorte de réveil de l’imagination utopique. Dans votre pays, je signalerais la vision de Black Lives. Le document que le Mouvement pour Black Lives, a publié durant la campagne électorale est une plateforme populaire particulièrement forte.

Voilà où nous en sommes dans notre sorte de résistance à D. Trump. Il y a beaucoup d’incertitudes autour de la stratégie électorale. J’étais au Sommet populaire. C’était fantastique. Mais j’en suis sortie sans savoir quel était le plan, qui seront les candidats-es lors de la prochaine ronde. Ce n’était pas clair si la stratégie se ferait complètement à l’intérieur du Parti démocrate et il y avait des gens qui voulaient former un parti à part. Voilà un enjeu que je ne peux résoudre. Je ne suis pas en position de le faire. Mais je sais que le mouvement social surgit. Et je suis convaincue que nous pouvons élaborer des plateformes populaires qui viendront d’en bas. Il y a de nombreux exemples que c’est en train de se passer ; parce que les mouvements se rassemblent, sortent de leurs silos, clarifient leurs idées sur les demandes, sur ce à quoi il faut dire oui. Alors, quel que soit le politicien, la politicienne, le parti d’appartenance, il leur sera impossible de ne pas s’accrocher à la plateforme populaire.

A.G. : Et il faut aussi que les médias soient dans le coup. Quand vous avez le Globe and Mail qui qualifie le manifeste (…)de suicide national….

N.K.  : Non, « suicide national » étaient les mots du National Post. Mais le Globe and Mail a, lui, employé le mot « folie ». Ce manifeste en appelle à se préoccuper de la planète et les uns des autres. Et eux, ils étaient du côté « C’est de la folie. Ça va tuer le pays ».

A.G. : Mais on voit les médias changer pourtant. Comme de plus en plus de monde y sont connectés d’une manière ou d’une autre et il y a les médias indépendants ?

N.K. : Oui. Je veux dire que ce que je vois ne nous fait pas de mal. Voilà, un de nos journaux nationaux, le National Post, a publié 35 articles à l’encontre du manifeste Pour un bond en avant. Ensuite, il refuse de publier une lettre aux lecteurs-trices qui fait un effort pour corriger les erreurs répandues. Mais les gens continuent de le signer. Et je pense que nous avons les moyens, c’est un document de 1,400 mots…(…) Les gens peuvent le lire et se faire leur propre idée. Et il y a un manque de confiance à ce groupe spécialiste des commentaires. Amy, vous les avez décrits comme ces gens qui savent si peu sur tant de choses. Je pense que la population finira par vous rejoindre et comprendre ce phénomène.

A.G. : Finalement, êtes-vous toujours dans l’espérance ?

N.K.  : Vous savez, en ce moment les idées progressistes sont plus populaires qu’elles ne l’ont jamais été de toute ma vie. Mais d’un autre côté les idées d’hégémonie blanche sont présentes. Et ça se joue dans la vraie vie, dans les rues. C’est une course contre le temps.

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