Tiré du site des Éditions Dunod.
En quoi la pandémie de Covid-19 a-t-elle montré les fragilités du capitalisme ?
Depuis de nombreuses années, les scientifiques alertaient sur le risque de zoonoses (maladie infectieuse qui est passée de l’animal à l’homme) , au fur et à mesure que les frontières entre habitats humains et habitats de la faune sauvage s’érodaient à cause notamment de la déforestation, elle-même liée à l’agriculture, et de l’urbanisation, c’est-à-dire du modèle de développement capitaliste étendu maintenant à toute la planète. Les virus Ebola, VIH, Sras, entre autres, s’étaient déjà répandus. Le SARS-CoV-2 a surgi avec brutalité et plongé le monde dans une crise sanitaire et économique inédite. Mais cette pandémie n’est pas survenue dans un monde sain et sans faille. Le capitalisme mondial est frappé depuis plusieurs décennies par une crise aux racines sociales et écologiques entremêlées.
D’un côté, malgré les nouvelles techniques et le numérique, le système ne réussit plus à engendrer des gains de productivité du travail susceptibles de nourrir une rentabilité du capital élevée. Les classes possédantes se réfugient alors dans des placements financiers qui provoquent une succession d’emballements et de krachs financiers affaiblissant les économies.
D’un autre côté, le productivisme échevelé aboutit aujourd’hui au réchauffement du climat à cause des émissions de gaz à effet de serre, à la perte de biodiversité, à l’épuisement des ressources, à la pollution généralisée et à l’acidification des océans. La pandémie de Covid-19 est survenue dans ce contexte et elle a pris de court et a mis à nu des sociétés qui étaient déjà fragilisées par la crise économique depuis plusieurs décennies et par les politiques néolibérales visant à réduire les systèmes de protection sociale, dont les systèmes de santé en première ligne contre la pandémie.
Dans votre essai, vous proposez de repenser notre rapport avec le travail, les revenus distribués, les biens communs, la monnaie et la science. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Devant l’ampleur de la crise multidimensionnelle, je propose une réflexion sur ces sujets. En commençant par le travail, fortement malmené par le capitalisme néolibéral, qu’il convient de réhabiliter sur le plan des salaires et de sa condition, de sa reconnaissance sociale et du pouvoir qui lui est reconnu dans les entreprises. En particulier, il faut considérer que les travailleurs dans le secteur non marchand sont producteurs de richesse réelle. La crise pandémique a souligné la place de travaux longtemps méprisés mais si essentiels. Cette réhabilitation doit passer par la continuation séculaire de la baisse du temps de travail à la fois pour réduire le chômage et construire un autre imaginaire sur le progrès, une réduction drastique des inégalités de revenus, une garantie de revenus pour ceux qui ne réussissent pas à trouver un emploi ou qui sont en formation au-delà de 18 ans, au lieu d’un revenu universel qui siphonnerait une grande partie du financement de la protection sociale.
Que pensez-vous de l’intervention de la Banque centrale européenne (BCE) sur les marchés financiers durant la crise du covid ?
Il est interdit aux États membres de la zone euro d’emprunter auprès de la BCE. Ils sont donc obligés de se plier aux exigences des marchés financiers. Mais, devant l’ampleur de la crise, et cela déjà dix ans avant même la pandémie, la BCE a été contrainte de baisser peu à peu jusqu’à zéro ses taux d’intérêt pour faciliter le financement des États à moindre coût. Cela ne suffisant pas, elle a racheté d’énormes quantités de titres publics et privés sur le marché secondaire aux banques ordinaires. C’était devenu un passage obligé, mais, aujourd’hui, la BCE est placée devant un dilemme : laissera-t-elle courir le risque de bulle financière vouée à l’explosion avec des taux d’intérêt toujours très bas ou bien cessera-t-elle de soutenir indirectement le financement des États ?
Ce dilemme n’a pas, selon moi, d’autre sortie possible que la levée de l’interdiction de financement direct par la banque centrale des investissements publics de façon à assécher le marché des obligations publiques. Le risque d’inflation provenant d’une création de monnaie n’existe pas aujourd’hui ; en revanche, il est vrai que la crise écologique crée une tension sur les prix des matières premières.
Contre tous ces dangers, il s’agit de prendre le contrôle démocratique de la monnaie et de sa création pour lui redonner son statut de bien public à part entière, que les traités européens ont amoindri.
Quelles alternatives possibles au modèle capitaliste ?
En associant des services publics accessibles à tous et le principe de gouvernance démocratique des biens communs, il est possible de borner l’espace où le capital se valorise et s’accumule et de rendre à la collectivité la maîtrise des biens essentiels à la qualité de la vie, dont il faut cesser de croire qu’ils sont voués à l’appropriation privée. Par exemple, un vaccin contre les virus peut et doit devenir un bien public mondial comme le dit l’OMS, ou un bien commun de l’humanité, tels l’ensemble de la connaissance, l’eau, l’air, les ressources vitales. J’intègre aussi dans cette liste de biens communs la monnaie, en tant qu’institution de la société signifiant l’appartenance à celle-ci, au-delà de son rôle dans les échanges économiques.
Ces orientations définissent une philosophie politique qui met en jeu le rapport des hommes entre eux, à la nature et à tout le monde vivant, et la connaissance qu’ils ont de ce monde à travers la science. La pandémie nous a montré aussi combien il était important que les choix en matière de recherche scientifique fassent l’objet de débats démocratiques.
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