Les défis actuels de la mouvance altermondialiste
Le FSM va bientôt fêter ses 15 ans. Dès 2001, l’objectif était défini ainsi : lutter contre la « pensée unique du Consensus de Washington » en ouvrant un espace de rencontre et d’articulation entre tous ceux qui pensent qu’un « autre monde est possible ». Depuis, le mouvement altermondialiste, dont le FSM est une forme d’expression, se présente comme la convergence internationale des mouvements sociaux et citoyens qui s’opposent à ce qui est en réalité une nouvelle phase du développement de la mondialisation capitaliste.
Une fois cet espace d’articulation des luttes locales et globales créé, la question stratégique s’est rapidement posée. En effet, surtout à partir de la crise financière de 2008, la conjoncture a fait apparaître l’urgence d’agir sur plusieurs fronts. Les mobilisations se sont accrues partout, depuis les printemps arabes jusqu’aux mouvements sociaux ont émergé dans plus de 40 pays, portant dans les rues des millions de personnes.
Pour autant, si l’indignation monte partout, cela ne change pas nécessairement les structures sociales. En Europe par exemple, les peuples font face à une triple crise : géopolitique qui prend ses racines dans les conflits qui ravagent l’est de l’Ukraine et la Syrie ; économique et politique qui se cristallise sur la position à adopter à l’égard de la Grèce ; et enfin humanitaire et migratoire, dans le sillon l’afflux de centaines de milliers de réfugiés arrivent de l’Est et au Sud. Ces trois crises divisent profondément les Européens au point de mettre en péril la démocratie et l’égalité entre les peuples, ce qui favorise la montée des extrémismes de droite.
Deuxième exemple de crise permanente, l’Afrique du Nord, et en particulier la Tunisie, le foyer du printemps arabe. Les Tunisiens et les Tunisiennes ont réussi leur révolution politique, mais ils n’ont pas été en mesure, jusqu’à date, de réaliser leur révolution sociale et culturelle. Comme nos camarades tunisiens l’ont dit à la rencontre de Salvador, on a beaucoup fêté l’obtention du récent Nobel de la paix aux organisations de la société civile tunisienne. En même temps, on sent dans ce pays que la « révolution du Jasmin » s’est arrêtée à mi-chemin. Les jeunes, notamment, estiment que la situation n’a pas vraiment changé pour eux.
Au-delà de ces grandes questions, les contours d’un nouveau programme de changement social se dessinent peu à peu à travers ces mobilisations et les grands rendez-vous altermondialistes, comme lors des deux derniers FSM tenus à Tunis en 2013 et 2015. Cette nécessité du changement se construit autour des impératifs de dignité, de liberté, de justice sociale, d’indépendance et de lutte contre la corruption. Le thème de la transition écologique est également de plus en plus central, comme les vastes mobilisations entourant la prochaine COP 21 à Paris s’apprêtent à le démontrer. Dès lors, pour la mouvance altermondialiste, les défis actuels sont de deux ordres : comment élargir les alliances avec les mouvements émergents et comment susciter l’engagement politique des nouvelles générations ?
Ensemble vers le FSM à Montréal
Soutenue par plus de 200 organisations de la société civile québécoise, canadienne et mondiale, le FSM 2016 pourrait marquer l’histoire en tant que premier évènement de ce genre à se tenir dans un pays du Nord.
D’emblée, le FSM 2016 va permettre aux mouvements québécois, canadiens et nord-américains, de contribuer plus largement à l’effort international pour construire des alternatives au néolibéralisme et à l’impérialisme. Pour ce faire, ce forum s’appuiera sur le dynamisme des luttes locales. Jusqu’à un certain point, la défaite lors des élections fédérales du gouvernement Harper libère l’espoir et donne de la vigueur aux mouvements qui sortent de 10 ans de conservatisme. Les revendications sociales émergent sur tous les fronts : sables bitumineux et pipe-lines, question autochtone, militarisme impérialiste, extractivisme, libre-échange...
Ce regain d’énergie est d’autant plus salutaire qu’il jaillit dans un contexte politique très difficile au Québec, où le gouvernement provincial a choisi la ligne dure pour briser les mouvements sociaux et imposer ses politiques d’austérité à la population. Il faut cependant noter que l’imposition brutale de cet agenda néolibéral est en train de susciter le plus vaste mouvement de grève que nous ayons vu depuis 40 ans.
C’est donc un bon moment pour s’opposer à la nouvelle « pensée unique » qui s’appuie sur le discours sécuritaire et la peur de l’autre pour fragmenter les sociétés et diviser les mouvements. Il convient dès lors de mettre de l’avant des enjeux fondamentaux pour bâtir un nouveau contrat social du local au global (justice sociale, droits économiques et sociaux, droits culturels, migration, climat…), et ne pas laisser à l’extrême-droite et d’autres mouvements réactionnaires, le monopole de ces thèmes à des fins démagogiques.
Dans cette perspective, le FSM et sa méthodologie sont d’excellents outils pour permettre la rencontre des mouvements et des générations. En donnant une portée internationale aux luttes sociales en cours au Québec et au Canada, le FSM 2016 viendra dynamiser les mouvements et la société civile d’ici. En s’inspirant de ces luttes locales, la mouvance altermondialiste pourra se renforcer ailleurs dans le monde et accroitre son impact pour un changement global de système.
Raphael est co-coordonnateur général du Collectif FSM-Montréal 2016