Peux-tu dire quelque chose au sujet de la Syrie ? En ce moment précis l’ensemble du processus est incroyablement difficile et violent du côté du gouvernement et il n’existe pas d’unanimité au sein de l’opposition, ni même au sein de la gauche opposée au régime dans la mesure où des segments de la gauche semblent soutenir le régime. Peux-tu commenter les développements en Syrie ?
Gilbert Achcar : La Syrie ne fait pas exception par rapport à l’ensemble des soulèvements de la région en ce sens que nous nous trouvons face à un régime dictatorial, en réalité l’un des plus despotiques de la région (aux côtés de la Libye de Kadhafi et du Royaume saoudien). D’autre part, il s’agit d’un pays dans lequel la crise socio-économique a été très profonde, avec un taux de chômage très élevé, un taux de pauvreté s’élevant à 30%, et, en outre, une famille régnante concentrant le pouvoir et la richesse à un degré incroyable. Le cousin du président syrien contrôle 60% de l’économie du pays. Sa richesse personnelle est estimée à 6 milliards de dollars. Les ingrédients d’un cocktail explosif étaient réunis. Et il a explosé.
A gauche, il y a les communistes qui participent au gouvernement syrien. C’est une tradition qui existe depuis le temps de l’Union soviétique, qui entretenait des relations étroites avec le régime syrien – des relations qui se sont poursuivies avec la Russie de Poutine. La majorité de la gauche, pour ne pas dire toute la gauche au sens vrai du terme, est contre le régime. Le parti de gauche le plus important est représenté au sein du Conseil national syrien : il s’agit de l’aile dissidente des communistes, qui a scissionné dans les années 1970 et s’est opposée à la collaboration avec le régime.
Croire que le régime syrien est « de gauche » ou, pire, qu’Assad est « un socialiste, un humaniste et un pacifiste », ainsi que Chavez l’a déclaré de manière si embarrassante, est au mieux de l’ignorance. Quiconque se réclame de la gauche ne devrait pas avoir la moindre hésitation à soutenir complètement le peuple syrien dans sa lutte contre cette dictature brutale, exploiteuse et corrompue. Au-delà de cela, en Syrie comme dans n’importe quel pays de la région, on trouve parmi les forces qui luttent contre le régime des intégristes islamiques. C’était le cas aussi bien en Tunisie qu’en Egypte. Cela ne doit pas être pris comme prétexte pour dénigrer l’ensemble du soulèvement. En Syrie, comme partout ailleurs, la gauche doit soutenir sans hésitation le mouvement populaire contre la dictature et, ce faisant, encore plus lorsque les dictatures sont renversées, elle doit soutenir les forces les plus progressistes au sein du mouvement, en suivant ce processus de radicalisation au sein même de la révolution que Marx a nommé « révolution permanente ». (Traduction A l’Encontre, révisée par G. Achcar ; entretien initial publié dans International Socialist Review, revue de l’ISO, Etats-Unis, entretien effectué en décembre 2012)