Tiré de Entre les lignes et les mots
L’anniversaire de cette prise de possession intervient alors que la Kanaky-Nouvelle-Calédonie se trouve, à nouveau, dans une inquiétante impasse politique. L’exécutif macroniste entend s’appuyer sur les trois récentes consultations d’autodétermination qui, de 2018 à 2021, se sont soldées par autant de victoires numériques du « non » à l’indépendance – pour bâtir un « nouveau projet », celui de la « Nouvelle-Calédonie dans la République » dixit le Président de la République lors d’un discours prononcé à Nouméa le 26 juillet dernier devant une foule quasi exclusivement blanche, chantant la Marseillaise et agitant des drapeaux bleu-blanc-rouge. Les indépendantistes avaient refusé de venir.
Emmanuel Macron oublie bien commodément que les Kanak, peuple autochtone de l’archipel, se sont exprimés lors de ces consultations à une écrasante majorité pour la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. Y compris par un boycott massif lors du dernier des trois votes, organisé par l’État français en plein « deuil kanak » alors que le territoire venait de connaître sa première vague de Covid-19, une pandémie particulièrement meurtrière au sein des populations océaniennes.
En réalité, cela fait quarante ans au moins que le peuple Kanak ne cesse de proclamer sa volonté unanime d’émancipation, que ce soit en mettant (ou pas) un bulletin dans l’urne ou en luttant avec acharnement lorsque c’est nécessaire. Au cœur des « Événements » tragiques de la décennie 1980, Jean-Marie Tjibaou, figure incontournable de la lutte d’indépendance, lançait cette phrase restée dans les mémoires : « Les Kanak sont là, ils seront toujours là et ils vous emmerderont jusqu’à l’indépendance ! » Et il ajoutait : « Il n’y aura pas de solution pour ce pays tant que la revendication kanak n’est pas prise en compte. »
Si les Kanak subissent encore aujourd’hui la tutelle française, c’est qu’ils ont été mis en minorité sur leurs propres terres depuis le tournant des années 1970 – résultat de plusieurs vagues de peuplement, soutenues par un État français soucieux de pérenniser sa présence dans le Pacifique Sud. En 2019, date du dernier recensement, les Kanak ne représentaient que 41,2% de la population du territoire, soit un peu plus de 110 000 personnes.
Selon le droit international, ce sont pourtant bien eux, et eux seuls, qui bénéficient en tant que peuple colonisé du droit à l’autodétermination. S’ils ont accepté de partager ce droit avec les autres communautés de l’archipel, c’est pour inviter celles-ci à construire un avenir commun et pacifié pour la future Kanaky. Une majorité de ces communautés (dont nombre d’Européens), largement appuyée par l’État français, a utilisé cette offre intelligente et généreuse pour nier et contrer la légitime aspiration des Kanak à l’indépendance de leur pays.
Aujourd’hui, les discussions sur le prochain statut du territoire entre indépendantistes d’un côté, État et anti-indépendantistes de l’autre, sont au point mort. Et pour cause : le « nouveau projet » du gouvernement, qui vient d’être explicité dans une « proposition d’accord » de cinq pages à peine, confirme que le gouvernement a pour unique objectif d’en finir avec le processus de décolonisation. Un processus obtenu de longue lutte par le peuple Kanak et acté par les accords de Matignon-Oudinot en 1988 et de Nouméa dix ans plus tard. Ce dernier, intégré à la Constitution française, reconnaissait « la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier d’une complète émancipation ».
Un point en particulier en dit long : le gouvernement veut s’attaquer au corps électoral restreint, une mesure qui permet précisément d’atténuer les effets démographiques de plus d’un siècle et demi de colonisation de peuplement. Autant dire qu’il cherche à noyer, plus que jamais, le peuple kanak dans la masse des « métropolitains » arrivés de fraîche date, lui retirant ainsi tout pouvoir électoral sur son propre devenir. Avec la volonté évidente d’éloigner encore longtemps la possibilité d’une indépendance.
La réalité de la Nouvelle-Calédonie n’est certes plus la même qu’au temps où une poignée d’indigènes étaient rassemblés sur une plage pour écouter un militaire venu de l’autre bout du monde expliquer qu’ils ne seraient désormais plus maîtres chez eux. Il n’empêche : comme hier, la France magouille, renie sa parole, cherche à monter les communautés les unes contre les autres… pour défendre ses seuls intérêts. Comme hier, la France refuse d’entendre la voix des Kanak qu’elle compte maintenir encore et encore captifs dans leur propre pays.
Captifs au propre comme au figuré. Depuis l’école, où ils subissent de plein fouet l’échec scolaire, jusqu’à la mort, où on leur refuse même le respect d’un temps de « deuil kanak », comme en 2021 lorsque l’État a forcé la tenue de la troisième consultation. En passant par les prisons surpeuplées de l’archipel où ils représentent plus de 90% des détenus – plus de deux fois plus que leur part dans la population totale. Sans surprise, les Kanak restent les principales victimes, et de loin, des injustices que connaît ce territoire pourtant riche, avec un PIB par habitant supérieur à celui de la plupart des régions françaises. Un tiers d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. C’est deux fois plus que dans la population de l’Hexagone, presque quatre fois plus qu’au sein des autres communautés de l’archipel.
Cette histoire est aussi la nôtre. C’est notre pays qui cherche aujourd’hui à poursuivre coûte que coûte, à quelque 17 000 kilomètres de Paris, une désastreuse aventure faite d’injustices, spoliations, pillages, barbouzeries, massacres… Au-delà même des considérations historiques et sociales, il perpétue surtout la longue humiliation du peuple kanak. Combien de temps fermerons-nous les yeux sur celle-ci ? Combien de temps laisserons-nous les Kanak seuls face à l’État français et ses alliés ?
Le projet macroniste n’a rien de « nouveau ». Il a aujourd’hui 170 ans en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Il s’appelle colonialisme. Il est grand temps d’en finir.
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