Édition du 12 novembre 2024

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En Grèce, l'exception Syriza

C’est une victoire historique pour la gauche radicale grecque, qui arrive en tête du scrutin européen et arrache au PASOK la première région du pays. Si Alexis Tsipras n’a pas réussi à fédérer au niveau européen, il peut se satisfaire d’avoir réussi en Grèce où il se prépare déjà pour les prochaines élections.

26 mai 2014 | mediapart.fr

C’est une victoire historique. Pour la première fois dimanche soir, la gauche radicale est arrivée en tête d’un scrutin en Grèce. Avec 26,57 % des voix après le dépouillement de la quasi-totalité des bulletins de vote , le Syriza devance, largement, les deux partis qui gouvernaient le pays en alternance depuis la chute des Colonels, en 1974 – et tous deux ensemble sous la forme d’une coalition depuis fin 2011 : la droite conservatrice de Nouvelle Démocratie est près de quatre points derrière, à 22,72 %, tandis que les socialistes du PASOK sont relégués à la quatrième place, après les néonazis d’Aube Dorée.

Le Syriza a donc confirmé son score des élections législatives anticipées de 2012, lorsqu’il avait effectué sa percée spectaculaire, obtenant déjà près de 27 % des voix et 71 sièges à la Vouli, le parlement grec. Mais, à la différence de 2012 où il était arrivé deuxième, laissant Nouvelle Démocratie bénéficier de la prime à la majorité qui octroie en Grèce un bonus de 50 députés au parlement, il creuse cette fois-ci l’écart, et crée une nouvelle fois la surprise, tant les enquêtes d’opinion, tout au long de la campagne, avaient donné la droite conservatrice et la gauche radicale au coude à coude sans anticiper une victoire aussi nette du parti d’Alexis Tsipras. C’est donc à un complet renversement des forces politiques grecques au parlement européen que l’on assiste : en 2009, le PASOK et Nouvelle Démocratie comptaient chacun 8 sièges d’eurodéputés et cumulaient à eux deux 69 % des voix (contre moins de la moitié ce dimanche) et le Syriza n’avait récolté que 4,7 % des voix et un siège d’eurodéputé – contre six sièges cette fois-ci, selon les projections. Ce scrutin européen conforte donc l’installation durable de Syriza dans le paysage politique grec au niveau national, sur fond de désaveu massif des politiques d’austérité mises en œuvre dans le pays depuis quatre ans.

Mais il atteste aussi de l’ancrage de Syriza au niveau local, alors qu’il y était traditionnellement moins implanté que le PASOK ou le KKE, le parti communiste grec : dimanche, les Grecs votaient également pour le second tour des régionales et des municipales, et Rena Dourou, la candidate du Syriza à la région de l’Attique, la région d’Athènes qui concentre près de la moitié de la population du pays, a été élue tandis que le candidat du Syriza à la mairie d’Athènes, Gabriel Sakellaridis, un illustre inconnu avant la campagne, obtenait un score tout à fait honorable face au maire sortant Yorgos Kaminis, une personnalité pourtant relativement consensuelle, sans étiquette politique (48,59 %). Ces deux poussées dans la métropole athénienne et sa région mettent en évidence le travail de terrain considérable mené par le Syriza depuis deux ans, à travers notamment son soutien aux assemblées de quartier et à tout un réseau de mouvements d’entraide, « Solidarité pour tous » – des initiatives nées dans la foulée du mouvement des Indignés qui avait éclos en Grèce un an plus tôt, et sur les décombres d’une politique d’austérité dévastatrice depuis 2010.

Cette victoire de Syriza, c’est donc un message très clair de rejet des mémorandums d’austérité mis en œuvre dans le pays ces quatre dernières années, qui ont vu le PIB s’effondrer d’un quart et le taux de chômage exploser à 27 %. Mais c’est aussi un message d’adhésion aux propositions d’une gauche qui a construit tout son programme sur l’idée qu’une autre politique est possible. Le parti d’Alexis Tsipras demande ainsi le retrait de toutes les mesures d’austérité entérinées depuis 2010, et notamment le rétablissement du salaire minimum à son niveau initial, ainsi qu’une renégociation de la dette grecque alors que la majorité des économistes de tous bords s’accordent à dire aujourd’hui que la dette publique du pays, actuellement autour de 175 % du PIB, est insoutenable. Figure ainsi dans le programme de Syriza la convocation d’une conférence internationale, à l’image de celle de Londres en 1953 qui avait conduit à l’effacement d’une grande partie de la dette allemande. Sans vouloir quitter l’Union européenne ni la zone euro, le Syriza a par ailleurs affiné depuis deux ans ses positions : pour des institutions européennes plus démocratiques, pour une Europe sociale, pour le maintien dans la zone euro mais pas à n’importe quel prix.

Si sa campagne avait démarré timidement, avec quelques couacs sur la composition des listes, le Syriza avait fini par former une liste européenne inédite, avec de nombreuses personnalités issues de la société civile, des intellectuels et des militants associatifs, dont un certain nombre de personnes engagées de longue date dans la défense des droits des migrants. Y figurait notamment Konstantina Kouneva, une femme de ménage syndicaliste bulgare qui avait été victime, en 2008, d’une attaque à l’acide et qui depuis était devenue l’icône de l’exploitation des immigrés en Grèce. Selon les projections dont on disposait lundi matin, cette femme fait partie des six élus de Syriza à entrer au parlement de Strasbourg. À ses côtés, on retrouve une figure de la résistance grecque, Manolis Glezos, revenu à la politique dans le sillage du mouvement des Indignés en 2011 et élu sur les bancs de l’assemblée sous l’étiquette de Syriza en juin 2012, devant alors le doyen de la Vouli. Est également élue Sofia Sakorafa, ancienne transfuge du PASOK, la première à avoir quitté le parti socialiste grec dès la signature du premier mémorandum d’austérité, quand Yorgos Papandréou, alors premier ministre, disposait encore d’une confortable majorité. Les autres élus sont un homme de l’appareil, Dimitris Papadimoulis, et deux professeurs de droit, Konstantinos Chrysogonos, et Yorgos Katrougkalos.

Elections législatives anticipées

Alexis Tsipras peut se targuer d’avoir réussi sa campagne électorale, remplie de meetings tant en Grèce qu’en Europe, où il portait la voix du PGE, le Parti de la gauche européenne qui l’avait désigné en décembre comme son candidat à la Commission européenne. Cette candidature, qui lui a conféré en Grèce une stature internationale, a nettement joué en sa faveur. Pour autant, au niveau européen, les scores de dimanche n’attestent pas de l’« effet Tsipras » escompté. Certes, la coalition « L’autre Europe avec Tsipras » en Italie parvient à placer 3 eurodéputés et semble amorcer la reconstruction d’une gauche alternative, mais le poids de cette formation reste extrêmement faible au regard des 74 eurodéputés que compte l’Italie. Die Linke en Allemagne ne fait que 7,40 % … tandis qu’en France, le Front de gauche ne fait que 6,34 %. La figure de Tsipras semble encore lointaine pour nombre d’électeurs européens et le leader grec a vraisemblablement manqué d’une équipe dédiée à sa campagne européenne. Ce sont en définitive les forces qui siègent également sur les bancs de la GUE (Gauche unitaire européenne) sans toutefois faire partie du PGE, qui connaissaient dimanche soir une progression, à l’image du PCP, le parti communiste du Portugal.

À Athènes, le quadragénaire à la tête de cette gauche de la gauche avait de quoi se réjouir dimanche soir. « Malgré sa propagande manifeste axée sur la peur, le gouvernement Samaras et la politique des mémorandums d’austérité a été condamnée de manière évidente. Et pour la première fois dans l’histoire de notre pays, la gauche a été désignée première force politique et ce, avec un écart important. Et pour la première fois, nous avons un grand renversement dans la plus grande région du pays », a déclaré le président de Syriza depuis le siège de son parti. Tout sourires devant les caméras, il a tenu à féliciter les électeurs : « Nous nous réjouissons de ce grand pas qu’a fait une partie importante de la population qui a bravé les chantages de dernière minute à l’intérieur et à l’extérieur du pays. » Puisque ce résultat « démonte toute apparence de légitimité du gouvernement et de sa politique », la conclusion est évidente, pour Alexis Tsipras : « Le respect de la démocratie exige de faire appel à un nouveau verdict populaire, le plus tôt possible, afin de restaurer la normalité politique. C’est cela, le message des urnes. » Autrement dit, des élections législatives anticipées : c’est-à-dire le credo de Syriza depuis déjà l’été dernier, lorsque le gouvernement Samaras avait entrepris, en quelques heures, de fermer l’audiovisuel public grec, suscitant une vive protestation de la société grecque. Cette fois-ci, le résultat des urnes a confirmé le large désaveu des électeurs face à un gouvernement qui a continué de s’entêter dans sa politique d’austérité, et ce n’est pas le saupoudrage de quelques mesures d’accompagnement social pour les plus démunis, cet hiver, qui a changé la donne.

Transposé à des élections législatives nationales, le résultat de Syriza à ce scrutin européen lui donnerait 130 sièges à la Vouli... tandis que Nouvelle Démocratie n’en obtiendrait que 69, ce qui renverserait complètement le rapport de force actuel au parlement et provoquerait un changement de gouvernement. Reste que pour détenir une majorité au parlement grec, qui compte 300 députés, le Syriza devrait encore trouver des alliances – une gageure quand on sait combien le dialogue est rompu avec le très orthodoxe KKE et quand l’on constate qu’un allié potentiel, Dimar (« Gauche démocratique »), pendant un temps partenaire du PASOK au sein du gouvernement, a définitivement entériné sa disparition de l’espace politique dimanche soir. Dernier scénario, auquel Alexis Tsipras ne s’est jamais formellement opposé : l’alliance avec la droite populiste des « Grecs indépendants », une formation anti-austérité issue en 2012 d’une scission avec Nouvelle Démocratie. Une telle configuration serait toutefois difficile à faire passer auprès de la base, tant l’alliance paraîtrait scabreuse et contre-nature.

Pour l’heure, le gouvernement se tient droit dans ses bottes et ne semble pas vouloir entendre le message des électeurs grecs. « Avec son vote, le peuple grec a envoyé un message au gouvernement, mais il n’a pas réussi à provoquer le renversement que voulait le Syriza ! », a déclaré le premier ministre Antonis Samaras dimanche soir, martelant, comme pendant la campagne : « Le gouvernement reste garant de la stabilité et de la trajectoire normale du pays. » Les deux principaux quotidiens lui ont emboîté le pas. « Victoire sans renversement », titrent le quotidien conservateur Kathimerini et le pro-gouvernemental Ta Nea, réfutant, d’emblée, le scénario d’élections législatives anticipées.

Mots-clés : Edition du 2014-05-27
Amélie Poinssot

Après des années de correspondances en Pologne puis en Grèce, expérience qui l’a amenée à travailler pour des médias aussi divers que La Croix, RFI, l’AFP... et Mediapart, elle rejoint la rédaction de Mediapart en février 2014.

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