Période de transition en Espagne : la « Tuerka » (la vis), programme de télé emblématique créé en 2010 par des universitaires madrilènes qui allaient ensuite lancer Podemos, s’est arrêtée en octobre 2017. Diffusée à la fois sur Youtube et sur le site d’info de gauche Público, l’émission quotidienne, longtemps présentée par Pablo Iglesias, avait accompagné le surgissement du mouvement « indigné » en 2011, puis la naissance de Podemos en 2014, avec sa rhétorique contre la « caste ».
Cette télé amateur a joué un rôle clé pour le mouvement anti-austérité : c’est là, dans ce laboratoire à l’origine ultra-confidentiel, qu’Iglesias a appris à maîtriser les codes du débat politique filmé pour devenir l’animal médiatique que l’on connaît. On y a aussi vu défiler la plupart de celles et ceux, de Carolina Bascansa à Iñigo Errejón, qui ont porté Podemos depuis 2014. Pendant des années, la société de production de la Tuerka a aussi été accusée d’être financée par Téhéran et Caracas (à hauteur de plusieurs millions d’euros). Le débat sur le financement de la Tuerka avait constitué l’une des polémiques les plus vives de la campagne des législatives de 2015, certains journaux y voyant la preuve du financement caché de Podemos par le Venezuela.
D’après Juan Carlos Monedero, l’un des co-fondateurs de Podemos, qui a présenté le programme après le départ d’Iglesias, « la mission a été remplie [et il est nécessaire de] se réinventer ». Se réinventer ? Le même Monedero (que Mediapart avait déjà reçu, dans ses locaux, à Paris en 2015) vient de lancer, début janvier « Sur la frontière », un « late-show » à l’américaine, en direct, dont il est l’animateur (on peut voir ici ses dernières émissions).
L’émission lundi 22 janvier
Autre nouveauté : le site Público, qui héberge le talk-show de Monedero (mais aussi l’émission de débat très sérieuse « Fort Apache », toujours animée par Pablo Iglesias), diffuse aussi, en amont, chaque soir de la semaine, un JT alternatif, présenté par des journalistes du site d’info, qui ne fait pas mystère de sa proximité avec le parti d’Iglesias. « “Público al día” [le nom du nouveau JT – ndlr] naît avec l’espoir de s’imposer comme une alternative, à destination de toutes celles et ceux qui ont éteint depuis longtemps leur poste de télévision, à l’heure des journaux télévisés », expliquait Público début janvier.
Público – qui éditait autrefois un quotidien papier mais n’existe plus, aujourd’hui, qu’en ligne – est propriété du groupe espagnol Mediapro, qui détient aussi la chaîne de télé La Sexta, connue pour avoir « révélé » au grand public Pablo Iglesias, lors de débats organisés pendant la campagne des européennes au printemps 2014.
Sur le front politique, Podemos traverse en ce début d’année un trou d’air. Ses partis pris sur la crise catalane ont désorienté sa base. Hors de Catalogne, celle-ci peine à comprendre les positions du mouvement, qu’elle juge parfois trop empathique avec le camp indépendantiste. Développer des formats télévisés nouveaux pourrait permettre à Iglesias et ses proches de limiter la casse et de retisser des liens avec certains militants déroutés, alors que la presse mainstream, El País en tête, ne cesse de se déchaîner contre les prises de position de Podemos sur la Catalogne.
L’éclatement de la crise financière et économique en Espagne, à partir de 2007, a coïncidé avec l’émergence d’une myriade de nouveaux médias, plutôt ancrés à gauche, d’El Diario à InfoLibre (partenaire de Mediapart en Espagne), passant par Contexto. À droite, l’ex-journaliste vedette d’El Mundo, le controversé Pedro J. Ramírez, a lancé en 2015 un site d’enquêtes payant, El Español. Beaucoup de ces titres se sont fait une spécialité de dénoncer la corruption du monde politique, pour bousculer une presse papier souvent très sage (Mediapart l’a déjà raconté ici).
Jean-Luc Mélenchon, interviewé par Pablo Iglesias dans « Otra Vuelta de Tuerka » (un autre tour de vis), en février 2015.
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