Édition du 17 décembre 2024

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Planète

En Angleterre, le mouvement Extinction Rebellion lance l’insurrection pour le climat

En lançant le mouvement Extinction Rebellion, des activistes anglais s’engagent avec détermination dans la lutte contre le changement climatique et la disparition des espèces, raconte notre chroniqueuse. Alors que le changement est possible et urgent, disent-ils, les politiques ne font rien. Aux citoyens de reprendre la main en se soulevant pour inverser le rapport de force.

Tiré de Reporterre.

On devrait plus souvent regarder ce qui se passe ailleurs. Pendant qu’en France on marche pour le climat sous le slogan « il est encore temps », en Angleterre on prépare des opérations de blocage en scandant « We don’t have time » (« on n’a plus le temps »). Il y aurait là matière à faire des parallèles intéressants avec le blocage récent d’une mine de charbon en Allemagne, d’un sommet pétrolier à Pau ou encore avec les principes d’action non violente d’Alternatiba en France. Mais pour l’instant, peu de choses ont filtré en France sur la naissance de ce mouvement pourtant destiné à s’internationaliser.

Mercredi 31 octobre à Londres, plusieurs centaines de personnes se sont regroupées devant le Parlement, à Westminster, munies de panneaux sur lesquels figure un étrange motif : un sablier enfermé dans un rond. Ce rond, c’est notre planète. Le sablier, le compte à rebours de l’extinction. Leur bannière : Extinction Rebellion.

On apprend sur les réseaux qu’il y a eu une quinzaine d’arrestations à Londres, avec la présence remarquée du chroniqueur écologiste du Guardian, George Monbiot, de la députée Caroline Lucas ou encore de Greta Thunberg, cette jeune Suédoise de 15 ans qui a lancé une grève scolaire et marqué les esprits en disant : « Les faits n’ont plus d’importance aujourd’hui, les politiques n’écoutent plus les scientifiques, alors pourquoi devrais-je apprendre ? (…) Puisque les adultes se fichent de notre futur, et bien, moi aussi. » [1]

Chacun peut trouver un rôle à sa mesure

Pour en savoir plus il faut donc aller sur le site d’Extinction Rebellion (XR), au graphisme simple et efficace, où trois panneaux successifs guident le visiteur des principes à l’action. Une vidéo de 50 minutes permet de vérifier dès la deuxième page qu’on est bien sur les mêmes positions. Gail Bradbrook, de l’organisation « mère » de XR, Rising Up, y présente une sélection de données scientifiques récentes sur le réchauffement climatique, explique la fonte des pôles et la perte d’albédo, le risque de retour du fascisme et les mécanismes de sécession de l’oligarchie. La première partie s’achève sur cette conclusion : le changement est urgent, il est techniquement et économiquement possible, les politiques ne font rien [2] : il faut donc établir un rapport de forces et prendre la main.

Et ce rapport de forces est éminemment politique. XR revendique une approche systémique qui prend le contre-pied du sentimentalisme ordinaire, et n’hésite pas à se qualifier de révolutionnaire. Vu de France, il peut sembler paradoxal d’en appeler au soulèvement populaire et de parler de situation de guerre [3] tout en se disant non violent, tant on a essayé de nous fourrer dans le crâne que les insurrections étaient forcément sanguinaires. Il suffit pourtant de se souvenir de la marche du sel de Gandhi ou de la dissidence de militants — noirs et blancs — contre la ségrégation raciale dans les bus des années 1950 aux États-Unis [4].

Autant de filiations dont se réclame XR en annonçant le chiffre de 500 personnes formées et prêtes à aller en prison. Cette mise en avant peut poser question, soit qu’elle semble exagérément sacrificielle (mais la présentation des enjeux, non exagérée, rappelle sa légitimité), trop empreinte de romantisme révolutionnaire, ou qu’elle apparaisse comme un luxe de privilégiés. Et c’est vrai : les mères célibataires, les réfugiés, les salariés les plus précaires ne peuvent pas se permettre une arrestation. Mais précisément : que celles et ceux qui le peuvent soient devant, en première ligne ! Et ne faisons pas non plus comme si c’était facile pour eux. Ce choix n’est jamais simple, pour personne. Il doit être fait de manière délibérée et planifié. Or, préparée, l’opération l’est : dans tout le pays, que ce soit via des réunions physiques, des webinaires sur leur site ou des vidéos sur YouTube, des formations ont lieu depuis des semaines pour mettre en perspective les enjeux scientifiques et politiques du climat, aborder la question de l’effondrement et apprendre à vivre avec, s’organiser concrètement pour bloquer une route ou encore acquérir les rudiments en vue d’une arrestation. Et chacun peut trouver un rôle à sa mesure : des groupes affinitaires existent, des rôles de soutien et de communication moins exposés aussi.

« L’espoir meurt, l’action commence »  

Face au risque d’épuisement militant à aller chercher les masses que l’on connaît, l’un des messages intéressants et à contre-courant que porte XR est qu’il n’y a pas besoin d’être des millions : à la culture du nombre qui préside aux pétitions, marches et manifestations, le mouvement veut aujourd’hui substituer des actions pas forcément massives mais « disruptives » [5], c’est-à-dire perturbatrices et subversives, sans violence contre-productive. Selon eux, commencer une grève de la faim ou se déclarer prêt à aller en prison indique combien l’affaire est sérieuse et montre une mise en danger qui force le respect et réveille l’opinion. En somme, « plus l’enjeu est fort, moins il y a besoin d’être nombreux ». Cette idée fait référence à la « fenêtre d’Overton » un concept qui théorise un espace fluctuant, sous la forme d’une fenêtre dans laquelle se situe ce qui est politiquement acceptable par le public. Donald Trump, par exemple, a rendu le racisme politiquement acceptable aux États-Unis. XR, lui, veut rendre l’inaction face à l’effondrement inacceptable.

Leurs actions ne visent pas à influencer l’orientation du gouvernement ou à lui demander d’agir : cela déjà été fait et a largement échoué. Leurs actions visent à obtenir que la vérité scientifique sur les risques d’effondrement soit dite au grand public (l’idée selon laquelle des chiffres aussi alarmants devraient faire la « une » chaque jour revient souvent dans leurs propos), la mise en place d’une économie zéro carbone d’ici 2025, et que celle-ci soit placée sous le contrôle d’une assemblée de citoyens [6].

Loin d’apparaître comme un mouvement marginal ou gauchiste, on compte parmi les soutiens d’Extinction Rebellion une centaine d’universitaires d’Oxford, de Cambridge, d’Édimbourg, d’Exeter, de Bristol ou encore du King’s College de Londres, rejoints par l’ancien archevêque de Cantorbéry Rowan Williams, qui fut à la tête de l’Église d’Angleterre de 2003 à 2012. Le journal The Guardian assure le relais médiatique. On trouve également dans leurs sources des figures comme Joachim Schnellhuber, fondateur de l’Institut Potsdam sur la recherche climatique, ou Kate Marvel, chercheuse associée à l’Institut d’études spatiales Goddard de la Nasa.

Comme beaucoup de ses collègues dont on voit circuler depuis six mois les témoignages sur les réseaux sociaux, Kate Marvel a décidé de sortir de l’injonction de « neutralité scientifique ». Elle déclare avoir le sentiment d’assister à un « film d’horreur au ralenti » et affirme que ce dont on a besoin aujourd’hui n’est pas d’espoir, mais de courage : « En tant que climatologue, on me demande régulièrement de donner des raisons d’espérer. L’opinion veut qu’on lui dise que tout finira bien. Le problème, c’est que je ne le peux absolument pas. » C’est un des slogans d’Extinction Rebellion : « Hope dies, action begins » (« L’espoir meurt, l’action commence »).

Le courage, « la détermination à faire bien, sans certitude de victoire »

Tout ceci sonne comme un retour sur Terre et signe peut-être la fin des « discours rose bonbon » [7]. À rebours de la « positive attitude », de l’injonction de livrer à chacun sa dose de bonnes nouvelles, de plus en plus d’auteurs et de praticiens le disent : le contraire de l’espoir n’est pas le désespoir, mais la douleur. Et face à elle, on trouve le courage, qui peut se définir selon Kate Marvel comme « la détermination à faire bien, sans certitude de victoire ». Comme une réponse à tous ceux qui craignent que la vérité ne démobilise les énergies militantes, comme un écho à mes propres réflexions sur la « dignité du présent »… Il ne s’agit pas de désespérer Billancourt mais de lui donner le courage du combat : celui qui vient avec la perte de ce à quoi on tient.

Des Clash sous Margaret Thatcher à Occupy London en passant par le mouvement contre le fracking [8] (https://reporterre.net/En-Angletererre-les-lourdes-peines-infligees-a-des-militants-anti-gaz-de), les Anglais n’en sont pas à leur coup d’essai. Cette opération de désobéissance civique va s’intensifier graduellement sur plusieurs mois : ce qui s’est passé le 31 octobre à Westminster n’en était que la préfiguration, une sorte d’entraînement. Le point d’orgue de cette première semaine d’actions en Angleterre aura lieu le 17 novembre. Ce sera aussi la date d’ouverture de la COP sur la biodiversité, à Charm el-Cheik, en Égypte : la secrétaire exécutive de la commission biodiversité des Nations unies vient d’annoncer qu’il ne nous restait que deux petites années pour réagir drastiquement, sous peine de devenir la première espèce à recenser sa propre extinction.

London calling to the faraway towns

Now war is declared — and battle come down

London calling to the underworld

Come out of the cupboard, you boys and girls

(L’appel de Londres aux villes lointaines

Maintenant la guerre est déclarée — et la bataille approche

L’appel de Londres à ceux des sous-sols

Sortez au grand jour, vous tous garçons et filles)

The Clash (1979)

Notes

[1] Ce qui n’est pas tout à fait juste : en guise d’école buissonnière, Greta organise un sit-in tous les jours devant le Parlement suédois dans la lignée de sa mère, la chanteuse d’opéra Malena Ernman, qui a décidé de mettre un terme à sa carrière à l’international pour ne plus avoir à prendre l’avion.

[2] Le professeur Kevin Anderson tacle ainsi : « Aujourd’hui, on préfère remettre en cause des faits physiques que le système économique . »

[3] Comme le dit Greta Thunberg : « Nous ne pouvons pas sauver le monde en suivant les règles existantes, parce que les règles doivent changer. Aujourd’hui, les politiques nécessaires pour éviter la catastrophe climatique n’existent pas. Nous devons changer le système. Parce que nous sommes en crise. Et nous devons commencer tout de suite. Comme si une guerre nous menaçait. »

[4] Un mouvement de désobéissance enclenché au départ par seulement 25 étudiants.

[5] non non, on est très loin d’Emmanuel Macron

[6] J’aimerais placer ici des remerciements à Nico Haeringer pour nos échanges qui ont contribué à nourrir ce papier.

[7] Piqué à Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle dans Une autre fin du monde est possible (Seuil), que j’encourage nos lecteurs à lire de toute urgence pour prolonger ces réflexions, on y trouve beaucoup de références communes avec Extinction Rebellion.

[8] La fracturation hydraulique pour exploiter le gaz de schiste.

Corinne Morel Darleux est secrétaire nationale à l’écosocialisme du Parti de gauche et conseillère régionale Auvergne - Rhône-Alpes.

Corinne Morel-Darleux

En charge du développement à l’international de l’écosocialisme pour le Parti de Gauche, Corinne Morel Darleux est également conseillère régionale en Auvergne Rhône Alpes et chroniqueuse Reporterre et Là-bas si j’y suis... Elle vit à Die, dans le Vercors. Son blog : www.lespetitspoissontrouges.org

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