Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections fédérales 2011

Élections fédérales 2011 : vous l’aurez cherché !

Aujourd’hui, on vote !

Il est midi et je termine l’écriture de ce texte. La journée sera certainement mouvementée et stressante : chaque citoyen et chaque citoyenne a la responsabilité d’aller voter et ce vote aura, encore une fois, une influence limitée, mais réelle, sur l’avenir politique du Canada et du Québec.

Au moment où j’écris ces lignes, personne n’est en mesure de prédire les résultats du vote qui seront dévoilés ce soir. Je ne m’improviserai pas en devin, bien que quelques personnes sont déjà assez téméraires pour le faire. Néanmoins, peu importe les résultats et les conséquences qui en découleront dans les prochains mois ou les prochaines années, une chose est claire dans mon esprit : plusieurs l’auront cherché !

Les Conservateurs : des menteurs et des tricheurs

Si ces élections se retournent contre les Conservateurs, ce qui semble probable, ils auront clairement été les premiers à l’avoir cherché. En ayant déposé un budget catastrophique et inacceptable, qui ne comprenait même pas la compensation au Québec pour l’harmonisation de la TPS-TVQ, ils ont prouvé qu’ils voulaient absolument partir en élection. En ayant censuré et méprisé les médias pendant les quatre semaines de campagne, ils auront prouvé (encore une fois) leur mépris pour la démocratie. En ayant fait une campagne basée sur la peur, les attaques personnelles et le mensonge, ils auront montré leur peu de respect pour l’intelligence des citoyens du Canada et du Québec.

Aussi, n’oublions par que cette élection a été causée directement par le Parti conservateur du Canada, après que plusieurs de ses hauts dirigeant se soient rendus coupable d’outrage au parlement, une première dans l’histoire canadienne ! Ce scandale sera inscrit dans les livres d’histoire.

Les Bloquistes : lents et incohérents

Si on se fie aux prédictions de la multitude de sondages qui affirment à peu près tous la même chose, bien qu’il soit toujours possible qu’ils se trompent, le Bloc québécois pourrait ce soir être balayé de la carte par une percée du NPD au Québec et ailleurs dans le restant du Canada.

Cette percée aura-t-elle l’effet d’une petite vague ou d’un tsunami ? On verra, mais si c’est le tsunami qui se produit, les Bloquistes devront prendre le temps de réfléchir à ce qui s’est passé. Ils devront se demander pourquoi plus de 60% des gens qui affirment vouloir voter pour ce parti étaient prêts aussi à voter pour un autre parti (la majorité pour le NPD, toujours selon les sondages) ? Ils devront aussi se demander pourquoi seulement 6% des Québécois considèrent que la campagne du Bloc québécois a été un succès selon le dernier sondage en date de Léger Marketing.

Justement, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans cette campagne ? J’y vois plusieurs éléments sur lesquels les Bloquistes auront avantage à travailler rapidement après l’élection pour sauver les meubles. Premièrement, la campagne bloquiste a pris énormément de temps à démarrer : la majorité des Québécois avaient certainement l’impression que ces élections allaient ressembler aux autres d’avant et qu’il n’y aurait à peu près aucun rebondissement. En refusant de débattre d’idées dès le début et en préférant se limiter à la fameuse « défense des intérêts du Québec », sans jamais en définir le contenu, le Bloc a donné l’impression de ne rien défendre.

Deuxièmement, il paraît que le Bloc québécois a voulu se donner une image de jeunesse avec ses pancartes aux beaux paysages et son slogan « parlons Qc ». Échec total. Un parti ne se rajeunit pas avec des slogans vides et des pancartes ternes et endormantes, mais plutôt lorsqu’il permet à ses membres de mettre de l’avant des idées, lorsqu’il favorise les débats de fonds, lorsqu’il offre aux citoyens une vision de société, SA vision de la société bonne. Aussi, un tel slogan, vide de contenu, donnait la triste impression que parler était la seule chose dont étaient capable les Bloquistes… C’est assurément faux, mais c’est ce que les gens se sont dit et ils ne les avaient malheureusement pas élus que pour cela.

Troisièmement, Gilles Duceppe a clairement faire l’erreur de commencer sa campagne en martelant qu’il fallait bloquer les Conservateurs, qu’il fallait surtout les empêcher d’êtres majoritaires.

Néanmoins, même lorsqu’ils étaient minoritaires, les Bloquistes étaient-ils parvenus à bloquer les attaques des Conservateurs à nos institutions démocratiques, à les empêcher de couper les fonds aux différentes organisations de la société civile, à s’assurer que ce parti ne transforme pas le gouvernement en dangereux organe de propagande ? Non, le Bloc n’y est pas parvenu. Après voir réclamé plus de transparence et le maintien d’une information de qualité (notamment avec la survie du recensement long obligatoire), les Conservateurs n’ont pas été forcés de reculer. Le Bloc n’est même pas parvenu à forcer le gouvernement à lancer une commission parlementaire sur les évènements tragiques du G20 à Toronto, où des milliers de policiers semblent avoir commis des crimes en toute impunité ! C’est dans un tel contexte que le discours répété constamment par Gilles Duceppe s’est mis à sonner comme une canne de beans vide. Les citoyens du Québec, plus intelligents et pragmatiques que ce que les stratèges du Bloc semblaient le penser, se sont alors demandés : comment parvenir à réellement bloquer les Conservateurs ? Leur regard c’est rapidement posé sur le NPD, dont les valeurs et les idées rejoignent celles d’une majorité de Québécois. « Why not ? » C’est là que les choses ont commencé à se corser.

Quatrièmement, le chef du Bloc a longtemps refusé de croire ce que les sondages répétaient depuis environ une semaine, soit que les intentions de vote pour le NPD augmentaient lentement à tous les jours, au détriment de tous les autres partis, mais surtout du sien. Ensuite, la stratégie pour mettre fin à l’effritement fut de se présenter au congrès du Parti québécois et d’y annoncer qu’un Bloc fort défendrait pleinement l’élection du PQ lors des prochaines élections québécoises. Quelle erreur monumentale ! Gilles Duceppe oubliait-il que plusieurs militants du Bloc québécois sont aussi membres de Québec solidaire ou de d’autres organisations souverainistes ? Plusieurs se sont sentis abandonnés par ce geste, pour ne pas utiliser un terme beaucoup plus grave. Le message était lancé dans l’esprit des militants et des électeurs du Bloc : on ne veut pas avoir le vote des progressistes et de ceux qui ne militent pas activement au PQ. Le vote s’est éloigné, tout naturellement.

Cinquièmement, le Bloc québécois a aussi décidé par la suite de redéfinir à la hâte son discours dans le but de mettre fin à ce qui semblait être une véritable hémorragie : il sortit alors l’argument de la souveraineté, une autre grave erreur stratégique ! Gilles Duceppe oubliait-il qu’il venait de marteler, pendant presque deux semaines, que l’enjeu le plus important de cette campagne était de bloquer la droite conservatrice ? De plus, les citoyens du Québec ne sont pas si bêtes que ça : ils savent très bien que la souveraineté du Québec se fera au Québec et non pas à Ottawa. Aussi, étant donné que Pauline Marois avait déjà annoncé à maintes reprises qu’il n’y aurait pas de référendum dans les cinq premières années d’un futur mandat du PQ, en quoi la souveraineté devenait-elle l’enjeu le plus crucial de cette élection ? C’était une tentative, très maladroite, de raviver la flamme nationaliste, mais plusieurs l’ont pris comme du mépris : « est-ce qu’il rit de moi ? » Pis encore, c’était oublier qu’une part importante des électeurs du Bloc québécois sont des fédéralistes modérés ayant à cœur les fameux « intérêts du Québec » : comment ces gens étaient-ils supposés réagir quand on leur disait qu’un vote pour le Bloc c’était surtout, voire seulement, un vote pour une position constitutionnelle contraire à la leur ? Toutes ces personnes ont certainement décidé de prendre leur distance.

Sixièmement, dans une dernière tentative de renverser la vapeur, le Bloc a été obligé de demander l’aide de quelques vedettes d’une autre génération, venant ici mettre de l’avant une image contraire à celle qui semblait être défendue au début de la campagne. Aussi, demander à Gilles Duceppe de défendre le PQ peut être une bonne idée, mais était-il bien calculé de demander à Pauline Marois de venir défendre le Bloc québécois ? On dirait que les Bloquistes ont alors oublié que la chef actuelle du Parti québécois est peut-être celle qui a été la moins appréciée par les Québécois depuis la fondation de ce parti. Aussi, cette stratégie est venue renforcer l’idée que le Bloc n’est pas là pour défendre les intérêts du Québec, mais bien plutôt les intérêts électoralistes du Parti québécois, ce qui constitue une nuance importante pour plusieurs.

Bref, dans l’ensemble, la campagne du Bloc québécois fut une suite d’erreurs aux conséquences catastrophiques. Il est impossible de dire à l’heure actuelle si la députation du Bloc québécois va diminuer ou se maintenir avec ces élections, mais c’est presque sûr et certain que ce parti recevra beaucoup moins de votes que lors de la dernière élection en 2008 : les stratèges Bloquistes l’auront bien cherché.

Les Bloquistes : hargneux et orgueilleux

Mais pire encore que les choix douteux des stratèges du Bloc québécois, c’est aussi le comportement hargneux et orgueilleux de plusieurs membres dont plusieurs se souviendront. En allant lire les discussions entre Bloquistes et/ou souverainistes sur différents blogs, mais aussi sur les babillards Facebook, nous pouvions constater que certains purs et durs étaient incapables d’accepter que leur parti avait commis des erreurs graves tout au long de l’élection.

Lorsqu’un électeur hésite à voter pour un autre parti, quel est le meilleur moyen pour le convaincre de voter à nouveau pour ce parti politique qui l’a déçu ? Pour ces quelques Bloquistes la réponse était simple : les insulter et les culpabiliser ! C’est à ce moment-là qu’on a vu surgir les accusations de trahison envers le parti / le mouvement / la patrie / la nation, en même temps que d’autres insultaient ces électeurs qui ne faisaient qu’utiliser leur sens critique, mais pas dans la « bonne direction » : « t’es un naïf qui comprend rien à la politique », « si tu n’étais pas si ignorant de ton histoire, tu comprendrais et tu voterais pour le Bloc », « on ne pourra plus jamais faire confiance à quelqu’un comme toi », etc. Ces personnes pensaient-elles vraiment convaincre les gens en les insultant ? Le phénomène a plutôt été contraire : il a accentué le départ des électeurs qui hésitaient à voter pour le Bloc ou pour un autre parti au départ.

Et que penser de ces « experts », soit-disant objectifs, dont tout le monde connaît l’allégeance souverainiste, et qui ne la cachaient même plus, alors que c’était le cas au préalable, puis qui commençaient à annoncer, dans les derniers jours de l’élection, la chute et la mort du Bloc québécois ? À mon humble avis, il est fort peu probable que le Bloc disparaisse parce qu’il aura perdu une seule élection. Si tel est le cas, c’est que ce parti n’aura été qu’un géant aux pieds d’argile. Ces affirmations ne visent qu’à faire peur aux gens, à les ramener au bercail par une stratégie démagogique : fait-on appel à la raison des citoyens en leur répétant ces sermons ? Aucunement. Mais ce qui est bien pire encore, c’est qu’en répétant cela ad nauseam, ces souverainistes auront encore plus accéléré la chute du Bloc québécois : la pente ne sera que plus haute à remonter ! Et dans l’éventualité, peu probable, que le Bloc ne se relève jamais, vous aurez vous aussi une part très évidente de responsabilité : votre action aura été contre-productive.

« Pourquoi devrais-je soutenir un parti où les militants nous méprisent et nous prennent pour acquis ? Ils se contre-fichent de ce que je pense et ne veulent même pas prendre le temps d’essayer de me convaincre, cherchant plutôt à me faire peur ! » Voilà ce que plusieurs Québécois et plusieurs Québécoises se seront dit tout au long de cette élection, surtout durant la dernière semaine. Et là encore, ces quelques militants, parmi les plus hargneux et orgueilleux, auront bien cherché leur défaite. Dans le cas de ces nombreuses personnes qui ont été attaquées, accusées, méprisées et insultées, les conséquences pourraient être sur le long terme. Espérons que les dirigeants du Bloc québécois seront assez intelligents pour s’en rendre compte rapidement et assez humbles pour l’admettre.

Les Libéraux à genoux sur le sol

Le Parti libéral du Canada va peut-être subir ce soir la plus grande défaite de son histoire (plusieurs lui souhaitent !). Évidemment, l’ombre du scandale des commandites est encore présente, mais peut-elle tout expliquer ? D’autres éléments doivent aussi être pris en compte à mon avis.

Premièrement, Michael Ignatieff est une personne très peu charismatique. Il est dommage que ce facteur ait un poids si important dans la balance, mais c’est le cas et ça le restera tant qu’il n’y aura pas un changement majeur dans le comportement électoral et politique, au sens large, des citoyens.

Deuxièmement, pour plusieurs, que le PLC ait décidé de copier les idées et valeurs défendues par le NPD a clairement démontré que ce parti politique était peut-être là depuis trop longtemps : « ce parti a-t-il une autre utilité que de systématiquement copier le discours de ses adversaires ? »

Troisièmement, outre l’effet psychologique qu’a eu le scandale des commandites, le Parti libéral a-t-il vraiment travaillé à renouveler son image ? Où sont les débats d’idées, surtout depuis la chute de Stéphane Dion en 2008 ? Ce parti est-il vraiment plus transparent qu’il y a 10 ans ? Ce parti est-il à l’écoute des besoins et revendications des citoyens ? À tout cela, plusieurs sont tentés de répondre « non », catégoriquement.

Quatrièmement, où est rendu le Parti libéral des années 1980, dont l’image que nous en avions (peut-être à tort direz-vous) était celle d’un parti défendant les valeurs libérales (au sens philosophique), les droits (surtout individuels) des citoyens, la vigueur de nos institutions démocratiques, bref certains principes chers à plusieurs Canadiens, mais aussi à de nombreux Québécois ? On ne le sait plus trop…

Les souverainistes un peu sonnés

Plusieurs militants souverainistes ont décidé de prendre la chance de défendre le Bloc québécois en usant, justement, de la carte de la souveraineté. Cette stratégie me semble avoir été périlleuse, car si le Bloc québécois subit une importante défaite ce soir, c’est l’image de tout le mouvement souverainiste, dans l’esprit des citoyens du Québec, qui pourrait le plus encaisser.

Aussi, la colère découlant des différentes accusations et insultes envers les souverainistes qui ont décidé de ne pas voter pour le Bloc québécois en 2011 risque d’avoir affaibli le mouvement dans son ensemble. Les différentes organisations souverainistes risquent d’avoir besoin, plus que jamais, de ces personnes s’étant senties méprisées et visées par les attaques de Gérald Larose, Gilles Duceppe, Jean-François Lisée, etc., ainsi que par les insultes de tous ces Bloquistes hargneux. Comment recommencer à militer ensemble pour un projet commun après que tant de haine ait été déversée injustement ?

Les fédéralistes n’auront même pas eu à le chercher…

Les néodémocrates : de belles promesses, de grandes responsabilités !

Finalement, il est évident que le Nouveau parti démocratique récoltera ce soir une bonne part des votes qui seront déposées aujourd’hui dans les urnes. Présumons un instant que les sondages annonçant une percée du NPD disaient vrai et qu’une véritable vague déferle sur le Québec et ailleurs au Canada. Que se passera-t-il ensuite ?

Les promesses de Jack Layton ont été multiples et énormes durant ces élections, mais plus encore : elles ont fait renaître un espoir d’un changement pour le mieux au Canada, qui pourrait devenir plus vert, plus démocratique, plus pacifiste, plus humaniste, plus juste… Après de telles promesses, les responsabilités des Néodémocrates qui auront été élus le 2 mai, particulièrement ceux et celles élues au Québec, seront énormes.

Si ces personnes veulent démontrer leur sérieux et prouver aux citoyens qu’ils et elles avaient raison de leur faire confiance, ces personnes élues devront s’attaquer rapidement à des projets prioritaires, notamment la réforme du mode de scrutin pour y intégrer une part de proportionnelle, comme cela a été promis en élection par Jack Layton (je suggère en passant qu’on adapte au Canada le mode de scrutin défendu par le Directeur général des élections du Québec et par de nombreuses organisations citoyennes québécoises, soit le système proportionnel-mixte compensatoire).

Aussi, après nous avoir fait miroiter une certaine ouverture d’esprit chez les militants anglophones du NPD, depuis l’adoption de la Déclaration de Sherbrooke, il faudra maintenant que ces derniers nous prouvent que tout cela n’était pas que des vœux pieux : comment allez-vous défendre les intérêts du Québec et surtout comment définissez-vous ces intérêts ? Peut-on vraiment changer les mentalités dans le Canada anglais et favoriser de meilleures relations entre le Québec et les autres provinces canadiennes ? La tâche vous incombe maintenant de nous le prouver. Si vous n’y parvenez pas, il se pourrait bien que cette vague orange ait été une inondation printanière qui ne se répètera pas à chaque année. Le nombre de citoyens et de citoyennes cyniques pourraient aussi augmenter si vous ne parvenez pas à réaliser vos promesses ayant inspiré confiance et espoir de changement. Si les Québécois et les Québécoises se sentent à nouveau méprisés et pris pour acquis, on pourra dire que vous l’aurez bien cherché.

Bon, maintenant je m’en vais voter.

Bonne chance à tous et toutes ! J’espère que vous serez heureux et satisfaits du résultats de ces élections au moment de lire ce texte.

Jean-Nicolas Denis

Jean-Nicolas Denis

Université Laval - Baccalauréat Intégré
Philosophie et Science politique

Membre de Québec solidaire ULaval et Lévis

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