La crainte du pouvoir à la rentrée universitaire
L’an passé, selon l’« Association pour la Liberté de Pensée et d’Expression », dans les affrontements entre étudiants et policiers, 17 étudiants avaient trouvé la mort (ainsi que 8 policiers), 500 étudiants avaient été blessés, 370 avaient été expulsés de l’université pendant que des centaines d’autres avaient été condamnés pour manifestations violentes, appartenance à l’organisation terroriste des Frères musulmans ou actes de sabotage… Ainsi la Cour criminelle du Caire a condamné il y a peu 63 étudiants à 15 ans de prison et 5 autres à 10 ans
Cette année, pour tenter d’éviter que la contestation ne recommence, le pouvoir et les autorités universitaires avaient décidé d’interdire les partis, associations ainsi que toute activité politique au sein de l’université. Elles ont également autorisé l’intervention des forces de police et de forces de sécurité privées au sein des campus. Dans une quinzaine d’universités elles ont mis en place des caméras de surveillances, des portiques électroniques aux entrées et ont chargé la société privée Falcon Security de la surveillance interne.
A l’université de l’islam sunnite Al-Azhar, qui regroupe 36’000 étudiants, dont 17’000 qui résident dans la cité universitaire du Caire, il était demandé à chaque étudiant pour pouvoir y résider de signer un texte où il s’engageait « à n’exercer aucune activité politique dans la résidence universitaire et à ne former aucune union estudiantine sans avertir l’administration (…) à ne prendre part à aucune manifestation dans les locaux… ».
La veille de la rentrée, dans la nuit du 10 au 11 octobre, la police arrêtait préventivement chez eux, dans leurs lits, entre 50 et 70 étudiants de toutes obédiences politiques, de l’extrême gauche aux Frères musulmans, les accusant de vouloir préparer des manifestations les jours suivants.
Le jour de la rentrée, devant des forces de sécurité massives accompagnées de chiens, la carte d’identité et les fouilles étaient obligatoires. Tout ce qui était bombe aérosol, déodorant, parfum était prohibé, leurs gaz étant considérés comme des armes. Les badges à teneur politique sont confisqués mais aussi ceux où figurent des portraits des victimes de la répression. Et le passage dans les portiques détecteurs de métaux était obligé.
Les mesures de sécurité se retournent contre leurs initiateurs
Toutes ces mesures ont fait qu’à l’entrée des universités se sont formées des queues interminables.
Les protestations ont vite germé dans ces queues contre Falcon Security [1] les forces de police puis pour la libération des étudiants qui avaient été mis en prison lors des protestations précédentes. C’étaient des protestations pacifiques. Mais la violence de la police les a vite transformées en manifestations massives contre la violence policière, sa présence à l’université, contre les nouvelles mesures de sécurité et contre les remises en cause des libertés acquises ces trois dernières années.
Très rapidement, dans la première semaine de rentrée, plus de 58 manifestations parcouraient aussitôt l’Egypte dans quasi toutes les universités du pays, mais bloquaient aussi des routes ou voix ferrées. Des portiques étaient détruits ou incendiés. La police tirait des gaz lacrymogènes mais aussi à balle réelle, selon certains, y compris au sein des bâtiments, par exemple dans les bibliothèques universitaires. Cette violence de la police transformait vite un certain nombre de ces protestations en affrontements violents. Près de 200 étudiants étaient arrêtés et, en 5 jours, l’université comptait plus d’affrontements que toute l’année passée.
Bien évidemment, pour tenter de criminaliser les protestations étudiantes et tenter de les couper de la population, le gouvernement les accuse d’être organisées par les Frères musulmans, qu’elle qualifie d’organisation terroriste, alors que le pays est toujours secoué, chaque semaine, par des attentats terroristes.
S’il est certain qu’on trouve des étudiants des Frères musulmans aux avant-postes de la lutte, celle-ci dépasse très largement la confrérie par son ampleur et ses revendications. Les démocrates, nassériens voire même libéraux en sont partie prenante mais aussi bien sûr et surtout les révolutionnaires. Alors que le mois d’août a été marqué par les grèves ouvrières et que le mois de septembre l’a été par la grève de la faim de 600 militants contre la loi qui interdit les manifestations, ce début d’octobre l’est par la lutte des étudiants pour maintenir les libertés démocratiques à l’université qui rejoint bien évidemment celle de tous contre ce qui restreint toutes les libertés dans le pays. Le pouvoir de Sissi n’en a pas fini avec la contestation.
D’autant plus que les étudiants ont averti qu’ils appelaient à continuer leur mouvement et que déjà les manifestations reprennent en cette deuxième semaine de rentrée, avec en plus la revendication de libérer les étudiants qui viennent d’être arrêtés. (18 octobre 2014)
Note
[1] Sherif Khaled, qui se dit menacé, affirme dans un entretien avec Al-Masry Al-Youm (20 octobre 2014) qu’il ne regrette en rien l’intervention dans les universités. Il souligne que les portails électroniques, installés par sa société, n’appartiennent pas à sa société mais aux universités. Cela pour insister sur un fait : la destruction de ces portails ne porte pas atteinte à une société privée, mais à des universités ! Ce grand défenseur du bien public a insisté sur le caractère strictement égyptien de Falcon créée en 2006. « Le principal actionnaire est une banque égyptienne connue, dit-il. Nous avons 10’000 salariés. J’ai commencé ma carrière comme employé dans une banque privée. J’ai connu une promotion jusqu’à ce qu’à être devenu directeur général des relations publiques et de la sécurité. Lorsque la banque a décidé de créer Falcon, il était normal que je prenne en charge la société. Lorsque la société a été créée, nous nous sommes appuyés sur le personnel de sécurité de la banque. Nous n’avons pas eu l’appui de généraux ou autres ayant une expérience antérieure dans la sécurité. Nous avons ensuite commencé à recevoir une partie de cette expertise lorsque la société s’est élargie. Dans tous les cas, obtenir l’appui de spécialistes de la sécurité dans les entreprises de sécurité est normal. » Le patron doit se défendre contre les critiques qu’une partie de la presse émet contre Falcon dans sa répression des étudiants. Face à cela, il affirme qu’en rien Falcon n’est « engagé dans des questions politiques ». Il reconnaît toutefois que ses employés transmettent des rapports sur les étudiants aux autorités ou les font faire au personnel administratif des universités qui, lui, les transmet à la police. Un personnel qui a été scanné grâce à Falcon. Bien que contrôlant 52% du marché de la sécurité en Eygpte, Sherif Khaled nie avoir des liens avec les autorités et avoir joué un rôle, avec sa société, dans la protection du Parti démocratique national (PND), parti de Moubarak, officiellement dissous ! (Rédaction A l’Encontre)