Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Massacre de Tucson

Diagnostic de la tuerie en Arizona

Après la première réaction d’horreur, les réponses au massacre de Tucson se sont inscrites dans l’habituel discours de langue de bois, et comme la plupart des discours de nos jours, il est passablement inutile.

Certains types du Tea Party qualifient le tireur Jared Loughner de « fou gauchiste" parce que, selon ce qui est rapporté, il possédait des livres d’ Adolf Hitler et de Karl Marx - quoiqu’il n’y a aucune preuve qu’il les ait lus, et encore moins compris, (de toute façon, les écrits de Marx n’ont rien à voir avec la violence individuelle). Dans les médias libéraux du centre et de gauche, il y a eu beaucoup de questionnements à savoir si le massacre aurait été « déclenché » par les élucubrations de Rush Limbaugh, de Glenn Beck, ou par le site de Sarah Palin affichant des états-cibles à atteindre, ou par la « rhétorique surchauffée » du débat politique. Mais nous ne savons pas si Loughner a vraiment écouté Rush ou visité le site Web de Palin ou prêté beaucoup d’attention à la politique en général.

De toute façon, le principal problème avec le discours politique en Amérique n’est pas que c’est "surchauffé"ou "haineux", mais que c’est généralement vide, dominé - des libéraux modérés jusqu’à l’extrême droite - par le pouvoir des entreprises. La « rhétorique haineuse " vient combler le vide de contenu.

Naturellement, il est logique de se demander si Loughner était un tireur isolé ou si peut-être d’autres étaient impliqués, interprétant alors le massacre comme un acte de terrorisme intérieur. Il y a plein de violence dans l’histoire des États-Unis - notamment la vague de lynchages des Noirs à partir de la défaite de la reconstruction jusqu’au mouvement des droits civiques, mais aussi plus récemment lors de l’attentat d’Oklahoma City.

Cependant, il semble maintenant, que Loughner est loin d’être un terroriste motivé par une idéologie. (Certains de ses écrits, apparemment, déplorent ses habiletés de lecture et d’écriture, suggérant un biais raciste contre les immigrants, mais de toute façon ce n’est pas sur eux qu’il a tiré.) Alors que des centaines d’agents fédéraux sont mandatés aux frais des contribuables pour couvrir tous les aspects de sa vie passée, il est de plus en plus clair qu’ils vont découvrir ce qui se dégage déjà des informations données par ceux qui le connaissent - Loughner est un schizophrène non soigné, utilisant possiblement drogue et alcool pour se soulager, ce qui a pu rendre sa maladie encore pire. Bien qu’il ait ciblé la membre du congrès Gabrielle Giffords, il aurait pu viser Sarah Palin ou Glenn Beck, ou ses propres parents ou ses camarades du collège.

Donc, il y a véritablement deux leçons à tirer ici. La première, évidemment, est que si ce carnage fut si dévastateur, c’est qu’une personne souffrant de troubles mentaux a pu acheter un pistolet Glock avec un chargeur de plus de 30-balles, sans qu’aucune question ne lui soit posée. Ce n’est pourtant pas une arme d’auto-défense pour la maison, et je ne pense pas que ce soit utilisé pour chasser l’orignal ou les faisans (bien que je vais essayer de vérifier auprès de Mme Palin et Dick Cheney pour être certain). Il est difficile de voir ce qu’un propriétaire d’arme pourrait faire d’autre avec cela que l’assassinat de masse. Le deuxième point : parce que nous n’avons aucune assurance publique de santé aux États-Unis, et parce que les services de santé mentale tant étatiques que locaux sont sacrifiés sur l’autel des coupures budgétaires, il y a probablement aujourd’hui des dizaines, voire des centaines de milliers de patients dans les rues souffrant de maladie mentale et non soignés.

La plupart d’entre eux ne sont dangereux que pour eux-mêmes (ils constituent une partie importante de la population sans-abri), certains sont un risque sérieux pour leur propre famille, et un petit nombre sont des potentiels Loughners Jared – pas très nombreux mais assez pour causer des torts déchirants et irréparables.

C’est un truisme pour ceux d’entre nous à gauche, de dire que la maladie mentale en soi est socialement conditionnée, et qu’une société malade va produire un plus grand nombre de personnes malades. Les tragédies ne se produisent pas seulement en Amérique. En Chine, il y a eu une série d’attaques mortelles au couteau dans les garderies. En Allemagne, il y a quelques années, un fan obsédé mentalement par la star de tennis Steffi Graff a poignardé Monica Seles lors d’un match, et a failli la tuer. Mais c’est presque seulement en Amérique que les auteurs des crimes ont si facilement accès aux armes d’assaut automatique, lesquels ne sont pratiquement pas réglementés.

Cette situation, nous pouvons en être certains, ne changera pas de sitôt. Tandis que les politiciens passent tout leur temps à utiliser cette tragédie pour faire valoir leurs arguments en faveur de la peine de mort, à se demander si les représentants du Congrès devraient avoir des services secrets de protection 24 / 7, ou si le discours politique doit être censuré pour "protéger la société," cette assassinat de masse ne fera même pas débuter un débat concernant l ’abrogation qu’on veut faire de la réforme des soins de santé. Tant que les maladies mentales et physiques ne seront pas diagnostiquées et traitées, plus de morts et de destruction sociale s’ensuivront - la plupart du temps en toute tranquillité sans que personne ne le remarque - mais à l’occasion sur la place publique, où chacun peut être témoin, mais sans permettre aux gens de comprendre pourquoi c’est arrivé.


Source : SOLIDARITY

Traduction : Françoise Breault

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