Étrange paradoxe. Quand un membre de l’État tient des propos fascistes ou qu’un animateur de radio appelle à la violence contre les manifestants, on dit qu’il est un « iconoclaste », un « pince-sans-rire », qu’il « réfléchit à son geste ». Quand un citoyen en appelle à un « printemps québécois », on dit qu’il insulte les morts des printemps arabes (voir La Presse, 18 avril 1012). Dans le premier cas, il n’y a pas d’insulte, on ne condamne pas les propos, on les excuse même, malgré les millions de vies brisées et de morts causés par les régimes fascistes du 20e siècle ; dans le second cas on condamne automatiquement, sans réfléchir au parallèle entre les situations : lutte contre la corruption, contre la spéculation financière, contre l’autoritarisme de l’État qui impose ses décisions sans consultation, contre la main-mise d’une élite minoritaire sur une population majoritaire, contre la répression policière, contre le traitement des pauvres, contre un avenir bloqué pour les jeunes. Ce double discours fut relevé par le journaliste Robert Fisk, spécialiste du Moyen-Orient pour je quotidien The Independent. Lorsqu’un soldat américain réalise un massacre dans un village ou qu’il urine sur des cadavres, on dit qu’il est « dérangé » en raison des pressions de la guerre, que tout cela doit être bien difficile à vivre, qu’il faut le comprendre, et il n’est pas sanctionné. Quand un « arabe » défend sa terre contre un militaire américain, on dit qu’il est un terroriste et on le tue sans sommation. Quand la démocratie libérale capitaliste supporte des régimes fascistes (Chili), on dit qu’elle défend la liberté, quand des citoyens et des citoyennes de ces démocraties défendent une justice sociale à la base de la liberté et du bien-être collectif, on dit qu’ils sont des enfants gâtés, que c’est du socialisme, c’est-à-dire du totalitarisme, sans réfléchir au débat de fond.
Benoît Coutu
Chargé de cours, docteur en sociologie, UQAM.
18 avril 2012