À mesure que l’économie absorbait le choc initial de la crise économique, les débats sur la politique budgétaire prenaient une autre tournure. Dans un premier temps, l’attention s’est centrée sur la mise en œuvre des plans de relance pour éviter une deuxième Grande Dépression. Une fois stoppée la chute libre de l’économie, l’attention s’est alors déplacée sur la supposée nécessité d’appliquer des mesures d’austérité pour garder l’accroissement de la dette sous contrôle.
Ces mesures d’austérité dont il est question ne sont pas neutres du point de vue de leur impact sur les différents secteurs de la population. Un exemple clair en a été donné récemment avec la décision du président Obama fin 2010 de prolonger de deux années supplémentaires les très controversées baisses d’impôts mises en place par G.W. Bush. Et ce alors que les mécanismes de protection sociale comme l’assurance chômage ou l’assurance santé n’ont reçu qu’un maigre soutien sur une période de 12 mois. Le prolongement des baisses d’impôts représente du point de vue des finances publiques près de 50 % des récentes mesures prises. Cette situation démontre que la crise est mise à profit par les groupes conservateurs pour poursuivre leur offensive contre les droits de la classe des travailleurs et maintenir un statu quo sans s’attaquer aux racines de la crise.
Dans ce sens, l’aspect le plus préoccupant des mesures d’austérité est lié aux attaques contre le système de sécurité sociale et les institutions régulatrices. Établi en 1935, le système de sécurité sociale protège les personnes qui sont en dehors de la population économiquement active à travers le versement de pensions et la fourniture gratuite de soins médicaux avec les programmes Medicare et Medicaid. Avec de plus en plus d’insistance, le Parti républicain et une frange importante du Parti démocrate soutiennent l’adoption de mesures telles que l’augmentation de l’âge de la retraite, la réduction des pensions de retraite et de la couverture santé. L’argument mis en avant est la nécessité d’équilibrer le budget et de prévenir une crise budgétaire associée à l’augmentation rapide de la dette. En réalité, ces mesures représentent une tentative claire de faire payer la crise aux travailleurs.
Ainsi, les chiffres montrent que la classe des travailleurs aux États-Unis a déjà payé un lourd tribut au désastre économique causé par les politiques de dérégulation financière. La croissance du secteur financier au cours des dernières décennies est la cause principale du creusement des inégalités aux États-Unis. Les bonus et autres rémunérations des banquiers ont altéré de manière préoccupante la distribution des revenus. Aujourd’hui, les États-Unis sont le pays développé où les inégalités de revenus sont les plus prononcées, les 1 % les plus riches concentrant 30 % des revenus. Il faut remonter à l’époque de la Grande Dépression pour retrouver un niveau d’inégalités comparable.
La fraude massive liée aux subprime a eu un impact dévastateur sur des millions de familles aux bas revenus. Depuis 2006, année du début de la chute des prix des maisons, on estime que 14,4 millions de familles se sont trouvées dans l’impossibilité de rembourser et ont perdu leur logement. Cela explique la baisse de 20 % depuis 2007 de la richesse des ménages, la plus importante jamais enregistrée depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Par ailleurs, l’effondrement de l’industrie de la construction a entraîné la perte de plus de 2 millions d’emplois. Au total, la récession a détruit près de 8 millions d’emplois. Si l’on considère le chômage et le sous-emploi, qui concernent 16,1 % de la population économiquement active, les États-Unis comptent plus de 25 millions de personnes en situation de précarité relative à l’emploi. Dans un pays où la couverture santé dépend de l’emploi, un taux aussi élevé de sous-emploi est véritablement dramatique.
Alors que les souffrances endurées par la population perdurent, l’administration Obama n’a fait montre d’aucune volonté de prendre des mesures d’aide pour améliorer la situation des personnes touchées par la crise. Au contraire, ses politiques s’inscrivent dans la continuité de celles de l’administration Bush, comme la poursuite des guerres à l’extérieur, le prolongement des baisses d’impôt et le laxisme face aux excès du système financier. Les nouvelles lois sur la régulation financière et la réforme du système de santé ne sont qu’une molle tentative de changement sans réelle conséquence de fond. Comme signalé précédemment, l’augmentation de la dette publique est en fait utilisée pour intensifier les attaques contre les travailleurs. Si l’on prend la crise des années 1930 comme exemple, alors il devient clair que la situation ne peut changer qu’à travers le renforcement de la lutte des travailleurs. Ce sont la ténacité et l’organisation des syndicats et de la classe ouvrière qui amenèrent l’administration Roosevelt à mettre en place les institutions qui sont ensuite devenues les piliers de la société nord-américaine moderne. Seul un renouvellement de ces traditions de lutte peut assurer une défense victorieuse des conquêtes du mouvement ouvrier. Tout autre scénario promet des résultats désastreux pour la société nord-américaine, et pour le monde dans son ensemble.
(tiré de l’article Les Etats-Unis de la dérégulation financière à la crise globale, CADTM)
17 juin par Daniel Munevar