Il y a un contexte socio-politique soutenu par un historique de mesures d’austérité et de réformes bureaucratiques sans cesse administrées depuis 30 ans, qui doit être resitué dans le cadre de la négociation du secteur public. Pour parler plus clairement, nous croyons que le secteur public québécois est malmené depuis trop longtemps par le néo-libéralisme et son pendant, le social libéralisme pour le laisser périr par l’autoritarisme de la CAQ et la faible riposte syndicale actuelle.
La CAQ, arrivée au pouvoir en 2018, n’a procédé à aucun changement important dans le réseau de la santé et des services sociaux sauf un rehaussement du personnel dans les équipes d’intervention sociale des CIUSSS et des centres jeunesse après la mort de la petite fille de Granby en 2018. Même après l’hécatombe gériatrique du printemps 2020, il n’y a pas eu de véritables réorganisations pour rapprocher le réseau de la santé et services sociaux des enjeux réels présents dans la communauté. Bryan Miles prétend qu’il y a une hausse de 25% dans le budget global de l’État mais il y a fort à parier que cette hausse n’a pas eu vraiment d’effets directs sur les services en aide à la communauté. (Le Devoir, 1er octobre) La CAQ fait du mimétisme des gouvernements précédents dans le secteur public. Elle dessine sans grande originalité sur les contours dessinés par le parti libéral (Il ne faut pas oublier que Gaétan Barrette est presque devenu ministre en 2020 pendant la pandémie). Les Maisons des Aîné.e.s de Madame Blais sont devenus des exemples négatifs de ce qui ne marche plus dans le réseau de la santé des services. Alors que les ressources pour aînées ont été les principales cibles des mesures d’austérité depuis près de 30 ans, les Maisons des aînés deviennent des solutions dérisoires pour combler les besoins de plus en plus grandissant chez les personnes ainées et ce particulièrement depuis le début de la pandémie.
Il y a un autre déterminant à ressortir pour comprendre la régression actuelle dans le secteur public et particulièrement dans le réseau de la santé et des services sociaux : la faible riposte des organisations syndicales qui doivent être la risée des négociateurs patronaux de la CAQ. Avec les années depuis le sommet socio-économique de 1995, l’orientation social-libérale dominante dans le mouvement syndical a perdu énormément de force et de légitimité auprès de l’État québécois. Il faudrait prendre le temps ici de comprendre pourquoi.
Depuis le sommet socio-économique de 1995, une division s’est effectué au sein de la CSN entre les partisans et les adversaires de l’économie sociale. Les partisans de l’économie sociale occupent, pour la plupart l’exécutif de la CSN et le service de recherche. Ils rédigent à tout rompre des textes et des analyses disant essentiellement que l’État n’est plus en mesure de répondre à nos attentes dans la société. La société civile doit cesser de recourir à l’État et il doit générer lui-même les moyens pour renforcir le tissu social, en particulier par la création d’emploi. Certains diront que notre analyse manque peut-être certaines nuances, mais c’est de cette manière que nous pouvons comprendre l’essentiel du projet d’économie sociale.
Les adversaires de l’économie sociale se trouvent également au sein de la Fédération de la santé et des services sociaux, affiliée à la CSN. L’argument principal qui est évoquée pour s’opposer à la mise en place d’un chantier d’économie sociale et que ce projet devient le faire valoir des compressions budgétaires dans le réseau de la santé et des services sociaux. L’État peut dire : nous ne coupons pas des postes, nous transférons des sommes d’argent qui serviront à la création de vastes chantiers d’emplois qui seront créé dans le champ de la santé et services sociaux.
Plus tard, cette division à la CSN sur les enjeux autour de l’économie sociale a laissé place à une division entre le syndicalisme industriel et le syndicalisme professionnel ou autonome qui a été, pensons-nous, un facteur de régression important dans le mouvement syndical québécois. Au sein de la CSN, la Fédération de la santé et services sociaux prônant le syndicalisme industriel a livré bataille à la Fédération des professionnel.e.s qui reproduisait le modèle du syndicalisme professionnel ou autonome.
En 2003, alors que Jean Charest devient Premier ministre et qu’il s’engage dans le projet de réingénérie de l’État, on a tôt fait de s’attaquer au syndicalisme du secteur public et à celui, en particulier dans le réseau de la santé et des services sociaux. On adopte une flopée de lois très rapidement qui oblige des fusions d’établissements et le mouvement syndical de se reconfigurer d’une manière radicale. C’est alors que le syndicalisme corporatiste professionnel a flairé la bonne affaire pour gagner des membres. Le syndicalisme industriel prôné par la FSSS s’affaiblit d’une manière sensible partout au Québec.
Plus tard, survient un évènement, qui avec le recul, pourrait apparaitre comme un déterminant important dans cette régression syndicale. Lors de la négociation de 2005, la Fédération de la santé et des services sociaux se trouve soumise à un décret du gouvernement alors que la Fédération des professionnels.es réussit à obtenir des gains supérieurs à la FSSS. Le gouvernement libéral refuse d’accorder ces avantages à la FSSS. À partir de ce moment, il y a eu une guerre ouverte entre les deux fédérations qui a paralysé la CSN jusqu’au congrès de 2007. À ce congrès, la Fédération avait travaillé activement pour faire valoir qu’on ne devait avoir qu’une seule fédération en santé et services à la CSN. C’était une manière plutôt rude de vouloir liquider la Fédération des professionnels.e.s au sein de la CSN. D’ailleurs, la Fédération de la santé et des services sociaux fonçait tête première contre un mur, car elle a subi une défaite amère lors de ce congrès. Il n’y a eu à peu près eu que la Fédération de la santé et services sociaux pour voter en faveur d’une fédération unique en santé au sein de la CSN.
À partir de 2007, les divisions se sont maintenues au seins des fédérations en santé et services au sein de la CSN. Et des conflits importants se sont produits également au sein de la FSSS. Et ce sont les raisons, croyons-nous, qui expliquent pourquoi l’APTS a réussi à aller chercher 22,000 membres de la CSN à son profit en 2016. La CSN n’avait plus de projets à offrir aux membres de la santé et des services. Les travailleurs.e.s de la santé et services sociaux avaient sûrement raison de vouloir un changement d’allégeance. Mais choisir l’APTS était loin d’être loin la bonne manière pour revitaliser le réseau de la santé et des services sociaux. Une organisation corporatiste de la sorte a encore moins de projets à proposer pour sauver le réseau public en santé et services sociaux.
Mais d’une manière générale, ce qu’il faut adresser au mouvement syndical dans le réseau de la santé et services sociaux, c’est que la solution pour renforcer la riposte syndicale en période de négociations n’est pas de faire valoir le syndicalisme industriel, autonome ou de proposition. Il s’agit selon nous de revenir à une orientation qu’on a oubliée depuis trop longtemps dans les sphères syndicales : s’attaquer à l’État néo-libéral sans retenue à cause du travail de sape qu’il est en train d’effectuer dans le réseau public en santé et services sociaux. Cette offensive syndicale ne se déploiera pas par des conflits internes sans cesse répétées mais par des alliances syndicales et à l’extérieur du mouvement syndical dans une perspective concrète de mobilisation pour sauver le réseau de la santé et services sociaux.
René Charest
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