Le 6 février dernier, la Commission des institutions a conclu ses consultations après avoir entendu et reçu plus de 300 recommandations réunies dans 49 interventions [2] , dont près d’une trentaine issues d’organisations, ainsi qu’un texte collectif. Signé par 166 personnes et organisations, à mon invitation, ce texte venait appuyer plusieurs consensus exprimés.
Si les consensus quant aux trois principales déficiences du projet de loi se sont révélés dès les premières auditions, l’analyse des recommandations de ces 49 interventions les a confirmés et renforcés. Voyons cela.
La première grande déficience du mode de scrutin proposé par le gouvernement est de bloquer sa capacité à transposer proportionnellement les votes en sièges et de causer des iniquités inter-régionales. Ce grave problème, pour un modèle sensé produire un résultat proportionnel, a été décrié dans 33 interventions, proposant diverses manières d’améliorer la proportionnalité et l’équité du vote. À l’opposé, seulement 3 mémoires ont proposé des méthodes la réduisant tandis que 3 autres réclamaient de conserver le mode actuel. Ce consensus clair n’est pas surprenant puisque la question est au cœur des problèmes du mode de scrutin majoritaire.
Si le projet de loi n’était pas corrigé, le respect des choix de la population serait variable selon le lieu habité et selon le parti choisi surtout en raison de l’usage des 17 régions administratives, sans les adapter aux considérations électorales, dont l’équité de chaque vote. Cette décision est responsable de plusieurs iniquités, car la plupart des régions ne disposeraient pas de suffisamment des sièges régionaux de compensation [3] pour respecter proportionnellement les votes exprimés. Soulignons que dans un modèle proportionnel mixte compensatoire, ce sont ces sièges qui permettent de rééquilibrer l’Assemblée nationale de manière à ce que le pouvoir y soit partagé équitablement entre les partis politiques.
La Commission a reçu de nombreuses propositions pour que les régions électorales soient équilibrées et comptent un nombre de sièges suffisant pour effectuer la correction des distorsions. En effet, selon la proposition gouvernementale, 11 régions compteraient entre 0 et 2 sièges régionaux de compensation ce qui empêcherait leurs populations respectives d’obtenir le respect de leurs votes et nuirait à la proportionnalité de l’ensemble. Les critiques n’ont également pas manqué face à la barrière imposée au pluralisme politique, faisant en sorte d’empêcher tout parti n’ayant pas obtenu 10% des votes à l’échelle du Québec, d’obtenir des sièges régionaux de compensation, et ce, même si ce taux a été dépassé régionalement. Des seuils allant de 2% à 5% ont ainsi été largement proposés.
Selon des simulations effectuées en transposant les résultats des élections de 2018, l’application du projet de loi 39 causerait encore de très grandes distorsions, en surreprésentant des options politiques au détriment des autres. Alors que l’indice de distorsion [4] global des élections de 2018 était de 18, sous les règles du projet de loi il serait encore de 11,5. Ce taux serait bien loin du 2,8 observé en Nouvelle-Zélande depuis l’instauration d’une proportionnelle mixte compensatoire, il y a 25 ans. Les indices de distorsions régionaux permettant quant à eux de comparer les régions entre elles, ils laissent voir que la région du Nord-du-Québec obtiendrait toujours un indice de distorsion démesuré, soit de 59. Alors qu’en 2018 toutes les régions québécoises obtenaient un indice de distorsion de 20 et plus, la simulation montre que ce serait encore la réalité de 10 régions [5] si le projet de loi était adopté sans modification. Une si faible différence ne peut être vue comme une amélioration suffisante.
L’autre grande déficience du mode de scrutin proposé par le gouvernement est qu’il ne contient pas de mécanismes efficaces pour diversifier la représentation, dans l’objectif d’obtenir une Assemblée nationale en phase avec la société. Le projet de loi ne contient en effet aucune règle obligeant les partis à atteindre une représentation paritaire des femmes et des hommes, ni une représentation équitable des personnes racisées et de celles nées à l’étranger. Le mot-clic #DéciderEntreHommes aurait d’ailleurs été très approprié aux 36 invitations faites par la Commission des institutions, puisque les points de vue de seulement 8 organisations féministes ont été entendus, et que j’étais la seule femme parmi la douzaine de personnes reçues pour leurs expertises personnelles.
L’occasion était pourtant belle pour inclure dans la Loi électorale des mécanismes structurels concrétisant les valeurs de société que sont l’égalité, la diversité et l’inclusion. En lieu et place, le gouvernement s’est limité à inscrire l’équivalent d’une mesure volontaire, soit que chaque parti fixe son objectif de candidates à recruter et qu’il fasse rapport de ses démarches. Seul le dépôt des rapports compte et non la hauteur de l’objectif, son atteinte et encore moins le nombre de femmes élues.
La timidité du projet de loi a été vertement critiquée devant la Commission, puisque 29 des 32 interventions ayant abordé le sujet ont proposé de renforcer les règles à suivre. La position du Directeur général des élections a été très décevante à cet égard, puisqu’il a demandé de retirer la seule véritable conséquence en cas de non-respect, estimant qu’un parti ne devait pas perde son autorisation s’il ne déposait pas les rapports prévus.
L’instauration de l’alternance sur les listes a été fréquemment proposée, de même que l’établissement d’objectifs précis, non seulement en nombre de candidates, mais en nombre d’élues. Soulignons qu’entre 2000 et 2018, les pays de la famille proportionnelle appliquant des mesures structurelles comme l’alternance entre les candidates et les candidats ont en moyenne augmenté le pourcentage de femmes élues de 21 points. Le Sénégal, le Mexique et le Nicaragua ne sont que quelques exemples de pays appliquant l’alternance, dans leurs cas pour des gains de +30 à +36 points. Il est bon de rappeler que le Québec ne progressait que de 12 points durant cette période.
L’absence totale de mécanismes pour augmenter l’élection de personnes racisées ou nées à l’étranger a également été critiquée et des mécanismes adaptés aux réalités démographiques régionales ont été proposés. La représentation des personnes autochtones n’ayant pas non plus été abordée dans le projet de loi, il a été souligné que la consultation de ces dernières était essentielle, pour qu’ensuite leurs demandes soient prises en compte, par exemple dans le cadre du comité évaluant l’application du nouveau mode de scrutin après chacune des trois premières élections.
Enfin, la troisième déficience majeure du projet de loi 39 porte sur le mode d’adoption du nouveau mode de scrutin – ou plutôt sur la manière de repousser l’application initialement promise par le premier ministre pour les élections de 2022.
La tenue d’un référendum aux élections de 2022 a été abordée dans 25 auditions ou documents, et dans 19 cas ce fut pour le rejeter en précisant qu’il n’était pas nécessaire ou obligatoire, ni même souhaitable, de tenir un référendum pour appliquer la loi déjà votée. Une dizaine d’interventions ont suggéré qu’il se tienne avant les prochaines élections, soit en 2021, si le gouvernement persistait dans cette voie. Les règles référendaires proposées ont également été critiquées en raison de l’avantage qu’elles donneraient au statu quo. Pour plusieurs, la seule situation où un référendum permettrait un choix éclairé serait qu’il se tienne après 2 ou 3 élections et serve à valider le changement.
Il demeure que tous les sujets ne peuvent être tranchés par référendum, surtout si la majorité peut alors imposer ses vues sur les droits d’une minorité. Dans le cas du système électoral, c’est ultimement l’accès aux postes de représentation qui est en jeu, le droit de pouvoir exprimer ses idées politiques et celui de les voir équitablement représentées. C’est d’ailleurs ce que les données recueillies par l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance illustrent puisque des 54 pays qui précisent les sujets devant être exclus des référendums, 17 écartent ceux touchant au respect des droits et libertés des personnes, notamment en regard du respect des traités internationaux [6] . Quelques interventions devant la Commission ont ainsi invoqué le respect du droit à l’égalité pour que les règles sur la parité ne soient pas soumises au référendum. Or, c’est plusieurs droits qui seraient soumis au jugement populaire si un référendum se tenait sur le mode de scrutin. Les courants qui correspondent à ceux des partis établis sont généralement surreprésentés, tandis que la sous-représentation systématique touche la population dont les opinions politiques sont minorisées, parce que désignant des tiers partis ou des partis n’obtenant pas de siège. Un référendum ne devrait pas avoir lieu sur le sujet puisque la majorité déciderait que ses droits ont préséance sur ceux des autres.
Le projet de loi 39 contenant près de 400 articles, en incluant les règles référendaires proposées, de nombreux autres éléments ont été abordés durant la première phase des travaux de la Commission des institutions. Il demeure que les trois thèmes présentés ici réunissent les éléments les plus significatifs quant aux effets attendus par l’instauration d’un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire.
Le début de l’étude détaillée du projet de loi n’est pas encore annoncé, mais il faut s’attendre à ce que de nombreuses heures soient nécessaires pour le traverser. Le gouvernement devra cependant se garder de manifester son impatience, comme il l’a récemment fait face aux travaux des commissions. Il serait très mal avisé de ne pas montrer d’ouverture envers les correctifs à apporter ou couper court aux discussions en recourant à un 5e bâillon.
Bien qu’il soit normal qu’une consultation sur un projet de loi fasse davantage ressortir les critiques que les mérites, ce qui impressionne ici c’est l’ampleur des correctifs à apporter et leur répétition lors des auditions et dans les documents déposés. La ministre LeBel ne peut cependant pas les prendre autrement que comme des critiques constructives. En effet, les consensus exprimés avec vigueur proposent des manières d’accroître l’efficacité de sa proposition, pour en faire un mode de scrutin mixte compensatoire vraiment proportionnel et vraiment adapté aux valeurs de la société québécoise.
Mercédez Roberge, 24 février 2020
Autrice de Des élections à réinventer ( 2019 Éditions Somme toute), et notamment présidente, de 2003 à 2010, du Mouvement démocratie nouvelle
www.MercedezRoberge.ca
Un message, un commentaire ?