Je n’ai pas eu à abandonner mes idéaux communistes. J’y ai plutôt acquis une certaine fierté et une confiance qui me permet de débattre avec quiconque me le propose ou me fait état de sa colère contre le régime. Le défi de faire reculer les idées obtues d’une droite triomphante a même stimuler ma créativité dans la recherche d’argumentaires judicieux.
Débattre avec le PQ sur la place publique ou en conciliabules plus discrets ne remet nullement en cause mes conviction de gauche ou révolutionnaires. Qu’a-t-il de si outrageant à négocier avec une institution, aussi néolibérale soit-elle, pour obtenir une opportunité de diffuser nos orientations de l’intérieur même d’une institution de pouvoir. Est-ce capituler devant le néolibéralisme ou plutôt affirmer haut et fort nos atouts pour nous gagner l’appui de l’opinion publique ? Toutes les réussites d’Amir ne sont-elles pas le résultats de sa présence à l’Assemblée nationale ? Et n’allez pas me dire que nous aiderions ainsi à l’élection de péquistes alors que nous placerions nos pions, comme on dit, pour le mettre devant ses contradictions en Chambres. Ces contradictions apparues au grand jour n’ont-elles pas été le fruit de l’honnêteté avec laquelle Amir a pris la parole pour exposer tout autrement le projet indépendantistes. Que le PQ doive nous reconnaître une contribution à la lutte du Québec pour son émancipation n’est en rien une concession de notre part. C’est tout au contraire c’est un recul pour les néolibéraux inconditionnels qui se retrouvent maintenant mal à l’aise en son sein.
Il y a plus : nous avons une occasion, en étant présents plus facilement en Chambre, de raffiner nos discours auprès des réformistes pour conquérir encore quelques droits nouveaux pour la classe ouvrière. Ce n’est pas rien. Rejeter du revers de la main ces opportunités fait partie d’une tradition gauchiste qui n’a jamais eu de pertinence pour faire évoluer les choses depuis son apparition au début du XXième siècle. Les négociations, même avec les Libéraux sur des projets de loi en conformité avec leurs objectifs néolibéraux, ne sont nullement des atteintes à l’intégrité de Québec solidaire : Amir et Madame David ont discuté avec le ministre des Finances lui-mêmes pour lui exposer nos solutions à la crise des finances publiques. Cela n’est toujours pas une concession au néolibéralisme. C’est une affirmation publique et transparente de ce que les membres de Québec solidaire attendent de leurs leaders politiques.
Connaissez-vous l’histoire de la naissance du réseau des garderies dont le Québec a raison de s’enorgeuillir ? Associés les uns avec les autres des parents de quartiers populaires de Montréal ont fini par louer des locaux aux commissions scolaires (d’où leur importance constestée par la Coalition Avenir Québec parce que les citoyens peuvent y influencer le pouvoir en leur faveur) pour y établir « leurs services de garde ». Peu à peu, « un réseau universel de garderies, financé par l’État, contrôlé par les parents » s’est installé comme revendication politique qui a finalement été reprise par la PQ. Aussi néolibéral eut-il été à cette époque, le PQ n’en a pas moins accepter l’importance pour le soutien aux femmes au travail. Négocier à ce moment là avec un parti de pouvoir qu’y n’y avait pas encore accès était-il une capitulation devant une institution politique déjà caractérisée par son ambivalence face au capitalisme ? C’était tout au contraire une expérience dont on pouvait tirer des leçons pour la société en progrès constant à laquelle la gauche a aspiré durant toute son histoire.
Un parti de gauche de masse, encore à ses balbutiements, peut-il négocier ? Peut-il, sans trahir son programme, en partager quelques revendications avec le PQ ? À mon avis, oui. Et même, il peut le faire compte tenu de l’urgence pour l’avancement de l’indépendance authentique du peuple québécois. Québec solidaire a tout à perdre dans l’attitude sectaire que veulent lui imposer quelques membres au nom d’une ligne monolithique et sans avenir. Quelle peur peut nous paralyser ainsi ? Je pense, en tout respect pour mes camarades révolutionnaires de Gauche socialiste et ses sympathisants, qu’elle a sa source dans un renoncement à apprendre de nos erreurs passées et d’une attitude qui nous a marginalisé dans les années 70.
Les valeurs de la gauche, et le programme qu’elle se donne pour moderniser le climat politique au Québec, ont tout intérêt à être diffusés largement. À vrai dire, c’est l’objectif principal des socialistes et des communistes que d’ancrer leurs idéaux au sein d’une population avide d’innovations politiques et sociales. C’est un grand atout pour nous que les expérience de l’unité de la gauche et des succès qu’elle a connus jusqu’à date. Quelle confiance nous manque pour que nous renoncions à les partager sur la place publique avec un PQ ouvert à négocier ? Les garderies seraient encore de petites initiatives de quartiers si personne n’avait manifesté dans le bureau de Lise Payette pour en faire un enjeu politique. Et que Madame Payette s’y soit montrée ouverte ne discréditent pas les manifestantes venues pour faire valoir leur engagement envers leurs enfants. Québec solidaire peut certainement s’affirmer avec fierté au côté du PQ comme représentant des forces populaires du Québec. Il n’y a aucunement à avoir honte de cela, « le calcul valant le travail », comme on dit.
Dans ce contexte, si personne n’agit dans un sens ou dans l’autre, pour favoriser l’unité des forces souverainistes, nous manquerons le bateau sans tenter, en toute confiance dans nos revendications, de gagner du terrain sur les attitudes droitières prêtes à céder une partie de leur pouvoir aux couches populaires comme à l’époque de l’établissement du réseau des garderies où les parents ont leur mot à dire.
Les débats entre souverainistes au Québec, au nom d’idéaux de gauche, me semblent plus prometteurs que le support que l’on a donné maladroitement à un NPD fédéraliste qui s’attaque maintenant à un symbole de la cause du Québec à Ottawa, Gille Duceppe. Indépendamment de nos divergences avec lui, il représente un Québec à l’offensive pour ses droits. Et Gauche socialiste se trompe lourdement en le laissant pris pour cible par un supposé allier de « gauche ».
Ce débat public, ou même la confrontation avec la droite néolibérale, fût-elle péquiste, ne doit pas nous effrayer. C’est ce qui a fait le succès d’Amir. Et il avoue lui-même avoir parlé, sans renoncer à ses valeurs, avec tout le monde à l’Assemblée nationale ... même les membres de l’ADQ ! Même le Devoir, un journal libéral, nous ouvre ses pages afin que nous nous expliquions. Devrions-nous nous en tenir à « Presse-toi à gauche » ?
Plus notre discours portera loin, y compris au sein des forces de droite, plus il démontrera sa pertinence au yeux de la population à l’écoute des appareils de droite et y cherchant à la fois quelque chose qui corresponde à ses intérêts.
Finalement, les argumentaires des droites trouvent souvent dans la population des répliques originales. Vous vous souvenez du discours adéquiste sur les « BS » ? Il fallait selon eux les faire travailler ou les couper. C’était radical et sans appel. En discutant avec ceux qui avaient encaissé le coup, je me suis rendu compte que plusieurs salariés en tiraient les conclusions suivantes : « Si on débusquaient les fraudeurs, on en aurait plus pour ceux qui en ont vraiment besoins ». Une opinion qui prend à rebrousse-poil les idées adéquistes sur la pertinence des programmes sociaux. Nous pouvons penser que les argumentaires les plus réactionnaires au PQ trouverons réponse dans une population consciente de ses intérêts sans que Québec solidaire n’ait en aucune façon à pervertir la portée de son discours progressiste pour la rejoindre.
À mon avis, il faut manifester une confiance inébranlable dans la sagesse des forces populaires. Elles feront la distinction entre le discours de droite et les moyens que nous prenons pour les atteindre si nous savons perfectionner tout le temps nos capacités à nous adresser à elles. Il y aura toujours de nombreux apprentissages à faire à partir des audaces que nous prendrons à nous confronter à la droite quelques soit le terrain où elle manifeste ses ambitions. Même électoraux.
Guy Roy