Comme des milliers de personnes, Isabel Orellana, professeure au Département de didactique de l’Université du Québec à Montréal et membre fondatrice de la Coalition québécoise sur les impacts socio-environnementaux des transnationales en Amérique latine, actuellement au Chili pour participer à un colloque en éducation relative à l’environnement a participé à la marche pour l’éducation avec son compagnon et sa fille. Elle raconte : « lorsque nous partions déjà, nous avons vu, à un bloc de distance environ, les forces policières s’abattre contre les manifestants avec des chars lance eau. Avant que l’on ait le temps de réagir, de derrière les chars, un grand groupe de policiers sont apparus en courant, certains tiraient de leurs armes. Ils couraient à la chasse aux jeunes. Nous avons su après que c’était des balles de plastique et des balles de peinture. Une de ces dernières a atteint mon compagnon à l’œil. Nous l’avons amené à l’urgence où il a du être opéré. Son état est délicat. Il devra être opéré d’autres fois. Les chances de récupérer la vue sont très minces ».
Le choc et la colère n’a pas seulement heurté cette famille, mais aussi des dizaines d’autres blessés aux yeux, à la tête, au thorax. Les balles de plastique, qualifiées de « moins meurtrières », font partie de ce nouvel arsenal d’armes pour le contrôle des foules. Utilisées dans au moins 110 pays à travers le monde, elles sont considérées dangereuses, provoquant « des décès et des nombreuses blessures, comme des fractures du crâne, dommages au cerveau, la perte de la vue, l’invalidité permanente, des dommages aux tissus mous des organes internes tels les reins, le foie, les intestins et le cœur… »[1]. En 2010, le Sous-secrétariat des Carabiniers, institution militaro-policière, avait signalé le retrait de ce type d’armes lors des manifestions étudiantes, mais elles furent réintroduites en 2012 pour soi-disant identifier et marquer des individus provoquant des désordres importants.
Des démarches pour le dépôt d’un recours judiciaire collectif sont en cours, avec l’appui d’avocats de l’Institut National de Droits Humains, du Chili. « La crise sociale au Chili est profonde, le mécontentement augmente dangereusement et la répression s’est accrue sauvagement. Des pratiques comme dans le temps de dictature deviennent de plus en plus courantes » signale Isabel Orellana. En effet, les actes de répression de la part de la police, complice à l’État, pointés du doigt depuis quelques années par des organismes des Nations Unies, dévoilent de douloureux souvenirs de répression, d’oppression, de violations de droits du temps de la dictature de Pinochet.
Ces horribles événements ne sont pas sans rappeler aux Québécois et Québécoises de vifs souvenirs du « printemps érable » de 2012. Il y a actuellement 65 organisations qui demandent au gouvernement une enquête publique sur la répression et les violations de droits survenues au printemps dernier, commente la Ligue des droits et libertés. Au cours des dernières manifestations du mouvement étudiant, plusieurs personnes ont été blessées par des balles de plastique et des agressions de la part des forces policières. Dans son Rapport sur l’utilisation des balles de plastique lors de manifestations (mai 2002), la Ligue rappelle que c’est dans le cadre du Sommet des Amériques en 2001, que les forces policières québécoises et canadiennes ont fait usage des balles pour la première fois dans une manifestation au Canada. « Dès lors, la Ligue des droits et libertés concluait que « le recours aux balles de plastique n’est ni justifié ni raisonnable, à cause des blessures graves et même de la mort qu’elles peuvent causer »[2] et appelait à l’interdiction immédiate de l’usage de celles-ci comme technique de contrôle de foules »[3].
Nous dénonçons la répression des forces policières des manifestants pour l’éducation, violant et menaçant directement des droits humains, au Chili, au Canada et ailleurs. L’utilisation de projectiles lors de manifestations porte atteinte aux droits de la personne, notamment les droits à la vie et à l’intégrité physique, les droits de sécurité, de liberté d’expression et de rassemblement.
Au Chili et au Canada, un même constat, l’impunité des forces policières face à ces actes de répression et d’abus de pouvoir qui s’apparentent à des crimes. L’ONU a par ailleurs manifesté et exhorté l’État chilien à ne pas laisser dans l’impunité ce genre d’agression à la population civile et de garantir le droit de manifester pacifiquement comme c’était le cas de la plupart des manifestants du 11 avril dernier.Nous dénonçons l’impunité des forces policières et la complicité de l’État.
Que justice soit faite, réclame Isabel Orellana, ajoutée à la voix des blessés de Santiago, du Québec et de la société civile et des nombreuses organisations qui les appuient.
Signataires
Comité pour les droits humains en Amérique latine, Québec
Ligue des droits et libertés, Québec
Coalition québécoise sur les impacts socio-environnementaux des transnationales en Amérique latine
Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté, Université du Québec à Montréal
Aternatives, Québec
Chaire de recherche Nycole Turmel sur les espaces publics et les innovations politiques, Université du Québec à Montréal
Comité chilien pour les droits humains – Montréal, Québec
Comité d’appui au peuple mapuche de Montréal
Groupe de recherche sur l’éducation et les musées, Université du Québec à Montréal (GREM-UQAM)
Groupe d’entraide internationale Spirale, Québec
JUSTE - Justice Transnationales Extractives, Québec
Mexicanxs Unidxs por la Regularización, Québec
Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC), Québec
Notes
[1] Rocke, L. (1983). Injuries caused by plastic bullets compared with those caused by rubber bullets, The Lancet, le 23 avril. Dans Ligue des droits et libertés. (2012). Rapport sur l’utilisation des balles de plastique lors de manifestations, mai 2012.
[2] Ligue des droits et libertés. (2001). Violations des droits et libertés au Sommet des Amériques, Québec avril 2001,Montréal, 14 juin 2001, page 61.
[3] Ligue des droits et libertés. (2012). Rapport sur l’utilisation des balles de plastique lors de manifestations, mai 2012.