Définanciariser l’énergie et ne pas confier aux marchés financiers notre avenir énergétique paraît être une condition pour envisager une transition énergétique qui ne se résume pas à faire perdurer le modèle insoutenable actuel. Quelle place dès lors réserver aux marchés et régulations par les prix ? Pour beaucoup, le renchérissement des énergies fossiles, qu’il provienne de leur raréfaction relative, de la spéculation financière ou d’une action volontaire à travers une fiscalité de type taxe carbone, contribution climat-énergie ou taxe kilométrique, serait un vecteur positif de substitution des énergies renouvelables aux énergies fossiles et des processus économes en ressources à ceux qui les gaspillent. De simples modifications des prix relatifs seraient les plus sûres alliées de la transition énergétique.
Pourtant, au moins à court terme, le renchérissement des énergies fossiles a d’abord eu pour effet de rendre rentable l’extraction de nouveaux gisements dits non conventionnels. En raison d’une demande souvent inélastique au prix, du caractère difficilement substituable des sources d’énergie les unes avec les autres et de l’exigence de réduire de façon absolue – et non pas seulement relative – les consommations de ressources fossiles, les seuls mécanismes de marché ne pourront atteindre les objectifs fixés à une transition énergétique digne de ce nom. Qui plus est lorsque ces mécanismes sont intrinsèquement inefficaces et nuisibles comme le marché carbone européen [1]. Et ce d’autant plus que le jeu des marchés laisse de côté l’immense majorité de la population mondiale, non solvable ou non rentable en matière d’énergie.
A ce jour, 80 % de l’énergie produite sur la planète est consommée par 20 % de la population mondiale. Soit les populations les plus riches, qu’elles vivent au Nord ou au Sud, qui profitent du système énergétique mondial, en colonisant une grande part des ressources disponibles sur la planète et une grande part de l’atmosphère. De l’autre côté, un tiers de la population mondiale, près de deux milliards de personnes, survit avec du charbon ou du bois pour seule énergie. Ne pas avoir accès à l’énergie ou avoir accès à une énergie de mauvaise qualité est, à l’échelle planétaire, le plus commun. A ce constat, il est généralement répondu droit à l’énergie – voire à l’électricité – et égalité d’accès. Pris comme l’assurance que nul ne puisse être privé d’une énergie vitale, le droit universel à l’énergie est bien entendu essentiel.
Mais faut-il en rester à ce très générique droit et égal accès individuel à l’énergie ? Ne serait-il pas préférable de travailler sur la définition et la disponibilité d’un certain nombre de services énergétiques de qualité jugés comme prioritaires sur un territoire donné, au sein d’une population donnée ? Plutôt que de s’appuyer sur la notion d’égalité individuelle d’accès à l’énergie, ne faut-il pas s’orienter vers la satisfaction d’un accès collectif égalitaire aux services rendus par l’énergie ? En tenant compte des spécificités territoriales et des populations vivant sur ces territoires, il s’agirait alors moins d’assurer un accès individuel à l’énergie qu’un haut niveau de qualité dans la satisfaction des besoins essentiels à la vie, tout en préservant la planète.
Un service public de l’énergie assurant la continuité du service et les péréquations nécessaires à un accès égalitaire est souvent mis en avant. Ayant l’intérêt décisif de vouloir sortir l’énergie des griffes du secteur privé, cette proposition n’en demeure pas moins insuffisante au regard de l’exigence d’interroger également la source, la qualité et la quantité de l’énergie utilisée. De plus en plus, à l’exigence d’un service public, il est ajouté une proposition visant à rendre gratuites les premières unités d’énergie consommées et de renchérir progressivement les suivantes. Plus novatrice, une telle proposition a pour intérêt d’étendre la démarchandisation de l’accès à l’énergie en la rendant pour partie gratuite. Tout en distinguant un bon usage d’un mésusage visant à réduire la quantité d’énergie utilisée. A ce jour, le gouvernement français est loin de vouloir faire sienne une telle proposition puisque la feuille de route de la conférence sociale – ainsi que de nombreux ministres – souligne qu’un prix modéré de l’énergie est un avantage comparatif de la base industrielle France et cet avantage doit être conservé [2].