Bien qu’on la dénonce depuis les années 1980, la sous-représentation toponymique des femmes au Québec n’avait jamais été pointée du doigt aussi fréquemment que durant les cinq dernières années. La Commission de toponymie a manifestement entendu le message. Dans son plus récent plan stratégique, elle énonce noir sur blanc vouloir officialiser un plus grand pourcentage de noms de lieux rappelant des femmes.
Le comité de toponymie de Sherbrooke a donc bien du pain sur la planche, s’il veut répondre à la volonté populaire et à celle de l’organisme public. Or, les possibilités ne manquent pas. Voici une dizaine d’idées que j’invite le comité à considérer.
1. An Antane Kapesh (1926-2004)
Notre ville a une rue Émile-Nelligan, nommée d’après le célèbre poète montréalais. Suivant le même esprit, il serait tout indiqué d’honorer la cheffe innue An Antane Kapesh, l’une des premières écrivaines autochtones du Québec. Il s’agirait d’un symbole fort.
2. Sannaaq (1987)
Les rues du « Soir d’hiver » et du « Vaisseau-d’Or », nommées d’après des poèmes nelliganiens, montrent que l’originalité a sa place dans notre toponymie municipale. Le roman « Sannaaq » de l’écrivaine Mitiarjuk Nappaaluk, un incontournable de la littérature inuite, mérite une reconnaissance de la même ampleur.
3. Anna Canfield (1772-1825)
Sherbrooke a un pont et une rue Gilbert Hyatt, qui rappellent un important pionnier de la région. Sa partenaire de vie, Anna Canfield, une femme cultivée, originaire d’une importante famille d’Arlington, ne mérite pas moins.
4. Marie Sirois (1865-1920)
Louis Cyr est passé à la postérité ; il n’est toutefois pas possible d’en dire autant de sa contemporaine Marie Sirois, dite Maggie, pourtant dotée d’une force tout aussi colossale. Cette femme forte, rappelons-le, a impressionné les foules de Sherbrooke au début du siècle dernier.
5. Les Innues
Il existe à Sherbrooke une rue du Montagnais, nommée à partir de la désignation masculine que les Allochtones utilisaient encore récemment pour désigner les membres du peuple innu. Alors pourquoi pas, en contrepartie, un lieu au nom un peu plus actuel, cette fois au féminin pluriel ?
6. Les Estriennes
Le nom de la salle Maurice-O’Bready laisse deviner combien le créateur du toponyme « Estrie » était une figure clé de Sherbrooke. Le gentilé dérivé de ce nom pourrait nous donner un nouveau toponyme, comme un parc des Estriennes, qui évoquerait avec élégance l’apport de tant d’anonymes à l’essor régional.
7. Clio
La muse de l’histoire est devenue célèbre dans les cercles féministes du Québec grâce au collectif Clio, qui nous a donné l’incontournable « Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles » en 1982 et 1992. Est-il nécessaire de rappeler que la grande historienne Micheline Dumont est coautrice de ce livre ?
8. Viola Desmond (1914-1965)
En mars 2016, Geneviève Béliveau, Évelyne Beaudin et moi soumettions le nom de Viola Desmond au Comité de toponymie, qui avait rejeté l’idée. Maintenant que cette icône de la lutte antiraciste apparaît sur les billets de 10$, la demande sera peut-être jugée un peu moins fantaisiste ?
9. Antoinette Beaudoin-Giguère (1909-1991)
Alors que Sherbrooke possède une rue Irénée-Pelletier, nulle trace d’Antoinette Beaudoin-Giguère, qui a déjà habité sous le même toit que l’ancien professeur. Fondatrice du Lycée de Sherbrooke, situé sur la rue Wellington, Mme Beaudoin-Giguère a pourtant formé nombre d’adolescents et adolescentes de Sherbrooke dans les années 1950 et 1960. Cette femme autonome était réputée pour son caractère humain et son entregent.
10. Andrée Désilets (1928-2017)
Professeure reconnue, Andrée Désilets a beaucoup écrit sur l’histoire estrienne. On lui doit d’ailleurs le livre « Les noms de rues de Sherbrooke ». Il s’agirait d’un juste retour des choses de cristalliser le souvenir de cette universitaire dans la toponymie locale.
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