Il y a 6 mois, le Québec au complet fut bouleversé par le suicide d’une jeune fille de 15 ans, suite à des intimidations répétées auxquelles elle dut faire face à l’école secondaire. 6 mois plus tard sort sur les écrans québécois un film Bully (intimidation) traitant de ce problème majeur dans des écoles aux États-Unis. Entre les deux événements, une grève étudiante sans précédent agite le Québec.
Il est tout à fait regrettable que les discussions tournant autour de cet épineux débat soit le plus souvent centrées de façon très réductrice sur le rôle déficient des parents, ainsi que sur l’impact des jeux vidéos violents, plutôt que d’amener le débat sur le rôle des structures sociales et surtout sur la valorisation à peine déguisée de comportements basés sur l’intimidation pour réussir dans ce modèle néo-libéraliste déifiant la réussite individuelle (et donc par le fait même l’échec des plus faibles et le rejet des différences) et, et ce, jusque dans les plus hautes sphères de l’état.
Lorsque nous observons le comportement paternaliste des membres de ce gouvernement envers le mouvement étudiant, gouvernement de moins en moins soutenu par l’opinion publique, submergé par les affaires de corruption ; lorsque nous écoutons leurs discours méprisants, aux menaces à peine voilées, sur la possible perte des sessions, leur refus de la négociation, leurs campagnes de peur, de salissage, de désinformation ; lorsque nous constatons les tentatives judiciaires de rendre un mouvement de grève illégale, tentatives n’ayant plus grand-chose à envier à la chine communiste ; lorsque nous sommes témoins des comportements violents, provocants et discriminatoires des forces de police dans ce conflit, nous laissant l’impression angoissante que le printemps québécois pourrait finir en printemps de Prague ; lorsque nous entendons parler du comportement humiliant de l’université vis-à-vis de ses professeurs, passant allégrement au dessus de leurs syndicats pour diffuser des informations mensongères sur les possibles dates de reprises de session, bref lorsque nous voyons tout cela, devons-nous vraiment être surpris du comportement de nos enfants à l’école du fait de l’apprentissage par imitation qui est selon le psychologue Bandura, l’apprentissage le plus efficace et populaire ?
Sommes nous assez naïf pour croire que les multiples tensions, rivalités, humiliations et valorisations des rapports de force et de dominations tels qu’ils sont véhiculés par les médias, les émissions de téléréalités, les pouvoirs politiques et financiers et qui sont vécus chaque jour dans les milieux de travail et les milieux de vie n’aient aucune conséquence sur les comportements de nos enfants ?
Sommes-nous rendus aussi stupides que cela ?
Devons-nous vraiment accuser les parents et les jeux vidéo ?
Vraiment ?
Par ailleurs, il serait même légitime de se demander si ce ne serait pas toujours les mêmes humiliations, subies par les mêmes personnes et données par le même type de personne que nous voyons se reproduire ?
La société est-elle basée uniquement sur la réussite individuelle et sur un darwinisme social valorisant les comportements des plus forts et des plus adaptés à l’unidimensionnalité galopante des normes sociales ?
Sont-ce ces mêmes enfants différents, timides, angoissés, sensibles et donc critiques et destinés à une vie dans laquelle ils s’interrogent et interrogent les rapports normatifs, les catégories idéologiques imposées par la société ; sont-ce donc ces mêmes enfants, brutalisés par des futurs chef d’entreprises, patron et homme politiques, déjà guidés par leur soif de pouvoir, de domination et apprenant dès leur plus jeune âge le sadisme nécessaire à ces postes de pouvoir ; sont-ce donc ces mêmes enfants aux carrés rouges qui se retrouvent maintenant dans les rues à subir les railleries des mêmes brutes qui les humilièrent dans leur jeunesse ?
S’il faut se questionner sur l’intimidation, il me semble nécessaire et urgent de se questionner surtout sur les mécanismes sociaux qui font naitre ces intimidations ainsi que sur le comportement agressif et méprisant des hommes politiques à l’égard des paroles discordantes, à l’égard de mouvements de résistance et de protestations qui sont le terreau d’une démocratie en santé et florissante.
Si nous voulons lutter efficacement contre l’intimidation, il faudrait se questionner sur les discours basés sur la peur, sur la précarité sociale imposée par des oligarchies financières pour tenir les peuples en laisse, sous la menace du pire.
Et l’on ose ensuite accuser ces mouvements populaires de faire preuve d’intimidation, au moindre débordement, au moindre geste d’humeur, d’agacement et d’impatience, alors que ces mouvements tentent par les seuls moyens qui leur restent à leur disposition de rétablir un rapport de force plus équitable !
Et même si la violence n’est pas souhaitable, comment en vouloir à une personne, un peuple, subissant l’intimidation constante d’une idéologie mortifère d’un jour se lever et se défendre !
Nous disons Non à l’intimidation.
Nous disons Non à un modèle social basé uniquement sur la réussite individuelle et les rapports de domination.
Michel Sancho étudiant